Les degrés dans la sainteté
J’aimerais aborder différents aspects de l’enseignement du Rav Yehoshua Zuckerman, qui, bien qu’étant connus, ne sont pas toujours mis en évidence.
Je n’apporte donc ici rien de nouveau et n’englobe évidemment pas l’ensemble de son enseignement.
Il me semble aussi que nous sommes invites à éxaminer s’il existe un lien essentiel entre son enseignement et sa personnalité.
Deux affirmations revenaient fréquemment dans son discours : la foi (émouna) est la vie elle-même, et les mitsvots sont pour nous naturelles. Relevons qu’il y a dans le fondement de ces deux affirmations une nette tendance panthéiste. Identifier la émouna avec la vie elle-même n’est possible qu’à la condition que nous ne ressentons pas d’opposition entre l’existence et le divin. De même pour l’identification des mitsvot et la nature humaine.
Il semble que la motivation pédagogique derrière une pensée tellement immanentiste, est la nécessité de surmonter la déchirure existentielle ressentie par l’homme moderne face aux exigences de la morale et de la religion. Par cela le Rav Zuckerman cherchait à surmonter la réticence que peut ressentir le juif laïque commun, cherchant à être fidèle à la nature, à cause de la crainte que la foi corrompt la vie, et les mitsvot la nature.
Il a en cela été en opposition totale avec le maitre qui le fit entrer dans le monde de la kabbale, le rav Yéouda Léon Ashkénazi (Manitou). Manitou soulignait, dans le sillage du Maharal, le contraste entre l’être divin séparé du monde, transcendant (havaya), et la réalité. Il interprétait tous les dires tendant à faire concorder divin et nature comme se referent a la racine de l’existence et non à l’existence elle-même. Il pensait également que pédagogiquement, il fallait enseigner que les mitsvot sont en adéquation avec la nature de l’âme (nechama), mais non pas avec l’être conscient, le néfech.
Un autre élément fondamental ressort de son enseignement, l’importance de la hiérarchie.
Il soulignait constamment que la spécificité de tout institution de torah provenait de la personnalité de son dirigeant. Sur le verset de Isaïe (12,3) : « vous puiserez avec allégresse les eaux de cette source salutaire », Yonathan Ben Ouziel traduit en araméen « un nouvel enseignement des meilleurs (be’hiré) des justes » ; le rav Zuckerman le comprenait ainsi : « be’hiré » veut dire : celui qui a été choisi, c’est-à-dire nommé, pour enseigner une nouvelle torah. D’où l’accent mis sur le fait que même le contenu d’une expérience religieuse n’est qu’une révélation suprême : la prière est du haut vers le bas.
Sous l’influence directe de la doctrine du Ari, il plaçait la droiture humaine se tenant sous le rayonnement de l’infini, comme base du travail des vertus (midot), dirigé vers la mida centrale, avec comme réceptacle de la lumière divine une l’humilité absolue ; qui comme la lune n’a aucune lumière d’elle-même. C’est la son point de rencontre avec la transcendance, accompagné d’une négation de la théologie, qui enchaîne l’homme à la pensée au lieu de lui permettre de se connecter à la volonté.
Il expliquait également que la spécificité du peuple d’Israël provenait de son identité collective. Ainsi, la connexion au judaïsme par les fêtes ou à la terre d’Israël par ses paysages, était à ses yeux négligeable. Pour lui le « concept » est le fondement du jugement de la réalité, une dogmatique.
Dans cet ordre d’idées, il disait que la notion de collectivité (klal), n’existe que chez le peuple d’Israël. Il interprétait les dires selon lesquels seul Israël possède une âme, comme se référents à l’âme collective uniquement.
Bien qu’étant un élève fidèle, il n’effaçait pas son identité propre face au maitre. Il disait : « un élève est celui qui pense presque toujours comme son maitre ; alors que s’il pense toujours comme son maitre, ce n’est plus un élève mais un ‘hassid. »
Afin d’élever son public, il choisissait de parler au-dessus du niveau de l’auditoire. il révélait parfois des secrets de la Torah enveloppés dans un langage profane, afin d’éveiller la soif de progresser.
La bienveillance, un regard positif sur la réalité, était son guide. Au lieu de condamner, augmenter la lumière.
Il était une synthèse exceptionnelle entre un style direct et tranchant, exigeant la vérité absolue, et un visage rayonnant et captivant, et des yeux pleins d’amour.
Oury Cherki