Comme il convient dans une démocratie, les citoyens de l’Etat d’Israël vont bientôt élire les partis qui formeront, après de laborieuses négociations, le prochain gouvernement. Ce rituel en vigueur dans tous les régimes démocratiques, revêt pourtant dans notre pays une signification particulière. Israël connait ces dernières années un regain de religiosité. Les signes en sont multiples et bien visibles et les uns s’en réjouissent, les autres s’en inquiètent. Un nombre croissant de citoyens affirment avoir foi en l’existence du Créateur et Maitre du monde. Pour être plus précis, ils croient en Dieu créateur et protecteur d’Israël. Cela est conforme au récit biblique et aux prières récitées quotidiennement : שומר עמו ישראל לעד. . En quoi ce retour à la foi ou son renforcement dans les mots et dans la pratique concerne-t-il les élections ? Le titre de ce billet l’indique : quel que soit le degré de la pratique des Mitzvot, il est toujours question dans ces déclarations de foi de l’Election du peuple d’Israël.
Bien avant que le peuple grec n’ait inventé la démocratie et l’Europe les élections libres, la Torah a affirmé avec force et sans ambiguïté l’élection d’Israël par Dieu :
« C’est toi qu’a choisi Dieu pour lui être un peuple de prédilection –am segoula- d’entre toutes les nations de la terre » ( Devarim 7,6 et 14,2 ).
Peuple élu : nos prières abondent en ce sens et contester cette élection reviendrait à ébranler tout l’édifice de la Tradition. La bénédiction prononcée par celui des fidèles appelé à monter à la Torah commence par les mots :
Beni sois Tu Hachem notre Seigneur Maitre du monde, qui nous a élu d’entre tous les peuples et nous a donné Sa Torah…
Mais ce serait faire preuve d’orgueil et de légèreté que de ne pas s’interroger sur le sens de cette élection en rien démocratique. Est-ce un choix arbitraire, un favoritisme divin incompréhensiblement renouvelé de génération en génération, un chèque en blanc accordé par le Créateur à un seul d’entre les peuples ?
Il importe au plus haut point de comprendre la différence essentielle entre l’Election divine et les élections telles que nous les pratiquons dans les urnes électorales, alors que l’usage du même mot prête à confusion.
En régime démocratique, les électeurs accordent leur voix à ceux qui prétendent défendre le mieux leurs intérêts et leur sécurité. Pas d’élections sans une campagne électorale qui use et abuse des effets de séduction et de menaces en cas de choix de l’adversaire. A notre époque d’appauvrissement du langage, il suffit d’une photo du candidat et de la légende : seulement Moi ! Moi l’Unique, l’Irremplaçable !
Le public a le choix entre une foi aveugle et le haussement d’épaule de ceux qui se souviennent des promesses trahies dès le lendemain de la grande fête démocratique. Que valent les promesses humaines, demande le Midrach ( Vaykra rabba, Emor ) ? Le Roi de chair et de sang en visite dans sa province, en pleine campagne électorale, promet monts et merveilles, et le lendemain il meurt ou change d’idée, où est-il et où sont ses promesses ?
Qu’en est-il alors de la promesse divine qui nous laisse si souvent insatisfaits et malheureux ? Dieu tient –Il Ses promesses, demandent ceux qui s’attendent à bénéficier de la faveur divine en raison de Son choix qui, lui, est éternel ?
Relisons attentivement les versets de Devarim 10,15-19 :
« C’est sur tes pères que s’est porté le désir d’amour de Dieu, et Il a choisi leur descendance d’entre tous les peuples jusqu’à ce jour ci. Et vous circoncirez l’excroissance de vos cœurs et n’endurcirez plus votre nuque. Car Hachem votre Dieu, Seigneur des seigneurs, fort, puissant et redoutable, ne favorise aucun visage et ne se laisse pas corrompre. Il rend justice à l’orphelin, à la veuve et à l’étranger, lui procurant vêtement et nourriture. Et vous aimerez l’étranger, car vous avez été étrangers en terre d’Egypte. »
Comment comprendre ce passage du rappel de l’Election à celui de l’incorruptibilité divine, de l’esclavage en Egypte et de l’amour divin pour la veuve, l’orphelin et l’étranger, ce dernier en particulier ?
Comme ne cesse de le répéter Emmanuel Levinas, l’élection divine ne signifie nullement favoritisme et privilèges pour les élus, mais élévation à la responsabilité au service de la justice pour tous, et avant tout pour les plus faibles. Corrompre Dieu, ce serait, comme le suggère le Natsiv ( Rabbi Tsvi Yehouda Berlin, Haamek davar, Vaykra 9-6 ) prétexter de notre ardeur à accomplir les Mitzvot et même à « en remettre » pour nous démettre de l’obligation de prêter assistance à la veuve, l’orphelin et l’étranger.
Cette obligation incombe à tous. Les candidats au pouvoir, religieux ou non, se souviennent-ils de cette condition de l’Election, ont-ils procédé à la circoncision du cœur et à l’humiliation de la nuque raide ? A nous d’y répondre avant de glisser notre bulletin dans l’urne. A nous de le leur rappeler sans relâche et sans compromis.
Rav Daniel Epstein
Photo by Kobi Gideon/ Flash 90