La dernière semaine de juin a été marquée par les attentats de « loups solitaires » de l’État islamique : décapitation d’un chef d’entreprise et tentative de faire sauter une usine de gaz en France, assassinat de dizaines de touristes en Tunisie, des dizaines de morts dans un attentat contre une mosquée de chiites, « falsificateurs du Coran », au Koweït. Ces loups solitaires font partie de la meute des combattants qui réalisent l’idéologie qui voit dans ces actes individuels, sans qu’il y ait besoin de la lourdeur d’une organisation ni d’ordres explicites d’en-haut, la voie royale pour semer la terreur dans le cœur des ennemis. Le Coran ne dit-il pas : « …vous effrayerez l’ennemi d’Allah » (8:60) ? Mais ces attaques ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le nom que se donne l’État islamique est « l’État du califat » : le rôle du calife est de réaliser le but de l’islam – la domination politique et juridique du monde. Tout territoire qui passe sous son contrôle ou qui lui prête allégeance s’appelle « province » (wilâya), telles les provinces du Sinaï, du Yémen, de Lybie, d’Algérie. Le calife a pour premier devoir de libérer les terres de l’islam : d’après le droit musulman classique, toute terre ayant été une fois dans l’histoire sous domination musulmane reste à tout jamais terre d’islam. Ainsi, toute l’Espagne (Al-Andalous) et la quasi-totalité du territoire français doivent revenir au sein du califat. De plus, si cette reconquête est considérée comme un djihad défensif, l’existence d’un califat ouvre la voie du deuxième devoir du calife : le djihad offensif contre les pays des mécréants, même si ces pays n’ont jamais été conquis par l’islam dans le passé. L’Europe dans son ensemble devient donc un but central de conquête pour l’État islamique.
La stratégie qu’il a mise au point pour y parvenir est relativement simple : inonder l’Europe de centaines de milliers d’immigrés musulmans, venant pour la plupart pour des raisons économiques bien plus qu’idéologiques. Cette immigration vise à changer l’équilibre démographique en faveur de l’Islam, et de ses fils grandiront les soldats du futur contre les pays d’accueil. De plus, une partie de ces immigrés ne seront autres que des soldats infiltrés de l’État islamique. Cette politique semble réussir : l’année dernière, environ 150.000 immigrés sont arrivés en Europe. Une infrastructure adéquate a été mise en place pour parvenir à 500.000 immigrés par an : conquête de la ville de Syrte sur la côte libyenne, base à partir de laquelle, en coopération avec la mafia italienne, il envoie les bateaux d’immigrés, en prélevant des milliers de dollars de chaque voyageur. L’Europe reste impuissante et n’arrive pas à endiguer ce flot d’immigrés.
Mais l’État islamique n’est pas seul à agir dans cette direction. Le cheikh Qaradawi, président de l’Union Internationale des Savants musulmans, maître spirituel des Frères musulmans, dont l’émission sur al-Jazeera est suivie par des dizaines de millions de fidèles de par le monde, a décrit il y a une dizaine d’années la voie royale pour conquérir l’Europe : inonder le continent d’immigrés musulmans, mettre en place d’un réseau de formation de la jeunesse musulmane à l’islam orthodoxe, et appeler à l’islam les populations autochtones (daʿwa). De fait, son projet réussit bien aussi : la jeunesse musulmane d’Europe est plus religieuse que la génération des parents et des grands-parents, et adhère plus à l’islam orthodoxe. Réussite au-delà des prévisions : des milliers de jeunes musulmans occidentaux s’enrôlent dans les rangs de l’État islamique et partent combattre en Syrie, passant de la conquête pacifique de l’Europe à la guerre ouverte de l’islam pour dominer le monde. Dans le plan de l’État islamique, une partie d’entre eux reviendra en Europe pour y semer la terreur et mener la deuxième phase du combat.
Sans volonté de traiter le problème à la racine et sans prise de conscience de la nature de la guerre en cours, le Titanic européen, qui renie l’existence même de l’iceberg islamique, risque fort de sombrer dans les poubelles de l’histoire.
Ephraïm Herrera est docteur en histoire des religions, diplômé de la Sorbonne et vient de publier « Le Jihad, de la théorie aux actes » aux éditions Elkana, et « Les maîtres soufis et les peuples du livre » aux Éditions de Paris.