Interview réalisée par Anne Da Costa pour AJ Mag numéro 1010
Chen Goldstein-Almog, de Kfar Aza, a été otage du Hamas dans la bande de Gaza avec trois de ses enfants. Ils ont été libérés le 26 novembre après presque deux mois de captivité. Son mari et sa fille aînée ont été tués le 8 octobre.
AJ MAG : Pouvez-vous nous raconter les événements du 7 octobre tels que vous les avez vécus avec votre famille ?
Chen Goldstein–Almog : Au petit matin, nous avons été réveillés par les alertes. L’attaque était massive. À Kfar Aza, nous n’avons que quinze secondes pour nous mettre à l’abri, nous avons donc couru au mamad [la pièce blindée], Yam, 20 ans, Agam, 18 ans, Gal, 12 ans, Tal, 11 ans, Nadav, mon mari, et moi.
Nous avons reçu l’information d’une infiltration terroriste dans notre kibboutz et l’ordre de fermer les stores, de verrouiller la porte du mamad, d’attacher la poignée avec un câble et de mettre un objet lourd contre la porte. Nous avons mis le lit de Yam devant la porte mais nous n’avons pas réussi à attacher la poignée. Les heures passaient et nous étions sûrs que l’armée était sur le point d’arriver. Nous ne comprenions pas pourquoi cela prenait tellement de temps – nous ne connaissions pas encore l’ampleur des attaques.
J’ai vu des gens portant des uniformes marcher en direction de ma maison. J’ai pensé que c’étaient nos soldats ; par la suite, j’ai réalisé que c’étaient des terroristes. Nous avions très peur, nous étions en état de stress. Nous sommes restés enfermés toute la journée et toute la nuit, et nous avons fait nos besoins dans des sacs de supermarché.
Le 8 octobre au matin, nous avons entendu une explosion dans notre maison. Tal a dit qu’il avait peur, et Nadav lui a dit que lui aussi. Nous avons essayé de garder notre sang-froid et nous sommes restés en silence, sauf Yam qui récitait le « Chema Israël ». Rétrospectivement, je me rends compte que Yam avait beaucoup de responsabilités car elle était la seule à avoir un téléphone. Elle nous informait des messages et transmettait les ordres qu’elle recevait, elle implorait de l’aide. Elle était terrifiée.
Je me souviens du moment où nous avons entendu les cris : « Yahoud ! El yahoud ! ». Nous avons compris qu’ils étaient chez nous. Nous étions sous le choc, pour la première fois nous éprouvions la peur de la mort. J’ai demandé à Nadav de s’armer pour nous protéger, il a pris une planche du lit de Yam et il s’est tenu à côté de la porte. Yam, Agam et moi nous sommes assises avec le dos tourné vers la porte de la chambre, protégeant les garçons de nos corps. Je me souviens avoir pensé : « S’ils entrent dans la pièce, ils nous tuent tous. » L’instant d’après, ils étaient à l’intérieur. Ils ont tiré sur Nadav à bout portant, deux ou trois coups sur le côté gauche, je me souviens qu’il était couché sur le sol, les mains levées. Agam se souvient qu’il a dit : « Non, non, non, non, non ! ».
Il y avait cinq ou six terroristes ; ils criaient. Ils ont immédiatement ouvert le placard pour qu’on s’habille, parce que nous étions toujours en pyjama, et ils ont commencé à nous diriger dehors. Je me souviens que nous avons enjambé Nadav et marché autour de lui sans dire au revoir.
Un des terroristes a découvert une chemise d’uniforme qui appartenait à Yam. Il criait. Je ne comprenais pas, il parlait arabe. Yam m’a dit qu’il me demandait s’il y avait une arme à la maison, je lui ai répondu que non. Nous étions en train de sortir lorsque Yam s’est évanouie. On a essayé de lui mettre de l’eau sur le visage et de lui lever les jambes. Dès qu’elle a un peu réagi, Agam est sortie parce que les garçons étaient déjà dehors. J’ai moi aussi couru dehors pour voir où ils les emmenaient puis je suis retournée dans la salle de bain pour voir comment allait Yam et j’ai vu qu’elle avait reçu une balle en plein visage… Je suis restée quelques secondes en état de choc et j’ai couru dehors. Je ne suis pas restée pour m’occuper d’elle, je ne suis pas restée pour lui dire au revoir.
Le silence régnait dans le kibboutz. J’avais l’espoir que quelqu’un me fasse signe depuis les buissons, m’appelant à courir, je pensais peut-être dire aux garçons de courir, mais j’avais peur. Ils nous ont assis tous les quatre à l’arrière de ma voiture et en sept minutes nous étions à Gaza.
J’avais encore l’espoir que les militaires arriveraient à temps pour sauver Nadav, car Yam avait reçu un message que les militaires allaient passer dans les maisons et qu’ils nous donneraient un code pour que nous sachions que c’était bien eux. Par la suite, j’ai appris qu’il y a eu un combat et que personne n’a pu atteindre notre maison avant le 10 octobre. C’est seulement mardi que les corps de Nadav et Yam ont enfin pu être évacués de Kfar Aza.
Vous n’avez pas eu le temps de faire votre deuil puisque vous avez été prise en otage : comment avez-vous réagi aux événements ?
J’étais en état de choc. Tant de choses si dures, de pertes si lourdes survenues en si peu de temps. J’étais habitée par la peur de la mort… Très vite, j’ai compris que si j’étais vivante et que mes enfants étaient vivants, je devais être un modèle, être forte et fonctionner. Cela signifie que s’il y avait de la nourriture, nous devions manger et ne pas sombrer dans les sentiments, surtout pas moi, car je devais montrer l’exemple. Cela aurait été plus facile de se laisser couler – mais j’ai senti que je n’avais pas cette option, et que je devais fonctionner et vivre pour mes enfants.
Quelles étaient vos conditions de détention à Gaza ?
Au début, ils nous ont amenés directement dans un tunnel où nous sommes restés pendant deux jours. Après, ils nous ont déplacés dans des appartements et la dernière semaine dans un autre tunnel. Dans les tunnels il y avait beaucoup de sable, de moisissure, d’humidité : vous avez du sable dans la bouche, du sable partout, et vous êtes sur un champ de bataille.
Il y a eu des jours très difficiles de combats d’artillerie et de bombardements. Ce qui arrive à votre corps pendant un bombardement, vous ne pouvez pas l’imaginer. Vous vous recroquevillez complètement ; après, cela prend du temps pour reprendre le contrôle de votre corps. Sous terre, c’est plus calme, car les bruits des combats sont étouffés.
Chaque fois que nous avons été déplacés, on nous disait de ne parler à personne, de garder la tête baissée. Nous étions en danger face aux Gazaouis. Tout le monde savait déjà qu’il y avait des Israéliens à Gaza. Si les Gazaouis nous prenaient, ils pouvaient nous lyncher.
Dans l’appartement où nous avons passé cinq semaines, il n’y avait pas d’eau dans les toilettes, il n’y avait pas vraiment d’eau dans l’évier, et quand il y en avait, c’était de l’eau salée. Quelquefois il y avait de l’électricité pendant une heure, mais la plupart du temps il n’y en avait pas. Quand il y en avait, cela affectait les pompes et il y avait un meilleur débit d’eau, alors on pouvait prendre une douche, mais il fallait décider qui : les gardes ? Un de mes enfants ? J’ai laissé mes enfants et les gardes prendre des douches. Je ne me suis douchée qu’une seule fois en sept semaines.
L’obscurité totale s’abattait vers 16h30-17h : de très longues nuits qui commencent tôt et ne finissent pas…
Au début, ils essayaient de nous fournir de la nourriture, ils nous disaient qu’ils voulaient que nous allions bien. Nous avons compris que nous étions une monnaie d’échange. Par la suite, il y avait moins de nourriture, j’ai compris ce qu’était la famine. Quelquefois, ils nous donnaient une bouteille d’eau de 330 ml et nous disaient que c’était pour vingt-quatre heures. J’étais très angoissée, parce qu’on peut vivre sans manger mais pas sans boire.
Les enfants étaient extraordinaires. La plupart du temps, ils se prenaient d’eux-mêmes de façon inspirante. Ils ont gardé leur sang-froid, ils ont dessiné, ils ont écrit…
Le groupe qui nous gardait était composé de six hommes, mais la plupart du temps ils étaient trois ou quatre, les deux autres disparaissaient soudainement pendant une semaine, allaient se battre et revenaient. Ils avaient un contrôle total sur nous, ils déterminaient ce que nous avions le droit de faire ; nous n’étions pas autorisés à pleurer. Chaque jour, nous pensions à Yam et Nadav. Si nous pleurions, nous devions le cacher. Si nous réfléchissions un instant, ils nous demanderaient à quoi nous pensions. Ils se moquaient de nous ; ils disaient « Gilad Shalit » et souriaient. Cela me brisait, parce que je me disais : « Est-ce que je vais rester ici pendant des années ?! » C’était une forme de violence psychologique. Ils envahissaient notre espace personnel et nous n’avions aucune intimité. Ils s’asseyaient en face de nous et nous fixaient, attachés à nous vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Quel était votre sentiment après les premières semaines de captivité ?
Au début, nos gardes pensaient que dans deux jours ils nous laisseraient partir. Ils nous ont même dit : « Mardi, vous êtes en Israël. » Après, les jours passaient très lentement, les combats devenaient plus intenses, nous étions en danger. Nous étions habités par un sentiment d’impuissance, de peur et de solitude. Vous ne savez de la guerre que ce que les gardes vous disent et ce que vous entendez de temps en temps quand ils vous laissent écouter la radio. Quelquefois, les nouvelles ne vous mentionnent pas. On se sentait oubliés.
Et depuis votre libération ? Comment ce qui s’est passé vous affecte aujourd’hui ?
Le plus important pour moi était de reconstruire une routine pour les enfants, qu’ils retournent à l’école le plus vite possible, parce que leur vie quotidienne est notre force et nous donne la sécurité. Les enfants ont une vie très remplie, ils sont à l’école et ont beaucoup d’activités après l’école. Nous sommes accompagnés par des psychologues et des professionnels, individuellement et en famille.
Nous étions une famille forte et heureuse, aujourd’hui nous sommes une famille blessée et meurtrie. Mais nous avons encore l’énergie de la vie, même s’il est difficile de composer avec le manque. Avant, je pensais qu’on pourrait vivre ensemble, avec les Arabes, maintenant je ne pense pas que ce soit possible.
Interview réalisée par Anne Da Costa pour AJ Mag numéro 1010
Abonnez-vous à AJ !
0584 616262
https://www.actualitejuive.com/abonnement
Quelle tristesse. Et dire qu il y a des otages prisonniers depuis bientôt 9 mois et je n ose imaginer dans quel état ils sont ? Moral psychique physique
Faites quelque chose pour eux svp
À part prier, depuis nos écrans, que faire ? Ne pas voter pour ce qui nous haïssent, et n’ont pas dénoncé, avec véhémence, ces horreurs, en tortillant leur misérable carrière politique.
Quoi d’autre…
Aujourd’hui, nous autres Juifs, soldats comme habitants, résidents, devons être,… sommes des héros.
Pour ne pas pratiquer un génocide, comme toutes ces nations qui nous en n’ont suspectés l’aurait fait !
Ce qui est raconté ici est terrible, et malheureusement pas exhaustif. Épouvantable…
Et il y a eu pire, et toujours en cours ! Au 7 juillet, dernier vote en France, nous serons à neuf mois révolus…
Quel cauchemar, quelle tristesse, que Dieu vous aide dans un épreuve si dure.
Quelle tristesse, que HaShem vous fortifie
Impossible de vivre avec les Arabes
Am Israel Haï
Qu Achem les aide
La seule chose que nous pouvons faire c est prier
( ce que je fais chaque nuit pour tous nos otages et nos soldats)
Mais surtout n accepter aucun accord avec le diable
Après toute l’horreur que cette famille a enduré (l’arrivée des terroristes, l’assassinat de Yam et Nadav, les conditions de détention), j’aurais bien aimé qu’on ne zappe pas le moment de leur libération… Je crois que c’est un moment très important aussi, et je pense que nous avons toutes et tous besoin de le lire !