L’Assemblée générale des Nations-Unies a condamné par 128 voix pour et 9 contre le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Les 9 pays qui considèrent donc qu’Israël a le droit de considérer Jérusalem comme sa capitale sont : Israël, les Etats-Unis, le Honduras, le Guatemala, le Togo, les Iles Marshall, la Micronésie, les iles Palaos et les iles Nauru, (ne cherchez pas, c’est en Océanie…).
Quelques semaines plus tard, le 13 Juin, la même respectable Assemblée, réunie en urgence, a adopté à une forte majorité un projet de résolution condamnant « l’usage excessif de la force par Israël contre les civils palestiniens lors de la flambée de violences meurtrières à Gaza« . Elle demande, en outre, au secrétaire général, Antonio Guterres, de recommander la mise en place d’un « mécanisme de protection internationale » dans les territoires occupés.
Le texte a été adopté par 120 voix pour dont la Russie, l’Espagne et la France, huit contre (on ne sait toujours pas si c’est le représentant de Palaos ou celui de Nauru qui était sorti téléphoner à sa femme pour lui souhaiter joyeux anniversaire au moment du vote!).
Dix jours plus tard, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a adopté une résolution appelant à « envoyer de toute urgence une commission internationale indépendante » pour enquêter sur les violations et mauvais traitements présumés « dans le contexte des assauts militaires menés lors des grandes manifestations civiles qui ont commencé le 30 mars 2018 ». 29 voix pour, et deux contre (les Etats-Unis et l’Australie).
Devant une telle constance dans la condamnation universelle d’Israël, comment ne pas songer aux paroles de Bilam dans notre Paracha: « ce peuple vivra en solitaire et ne se confondra pas avec les Nations » (Bamidbar 23, 9)
120 ans après le premier congrès sioniste de Bâle, force est de constater que si le mouvement fondé par Herzl peut se vanter d’avoir été une réussite autant éclatante qu’improbable dans tant de domaines, il en est cependant un, et non des moindres, où son échec est cuisant. Contrairement aux souhaits et à l’analyse de ses membres fondateurs, la création de l’Etat juif n’a pas mis fin aux vieux réflexes du monde à notre égard. Bien au contraire. Elle a donné à tous les adversaires du peuple hébreu un nouvel exutoire à leur haine ancestrale. Il semble bien que la prophétie de Bilam soit finalement plus fiable que celle du visionnaire de l’Etat Juif!
Le verset prononcé par Bilam figurant dans ce qu’il est convenu d’appeler ses « bénédictions », notre peuple a fini par se faire à l’idée que cette mise à l’écart du monde n’est finalement pas si regrettable que ça. Ne s’agit-il pas tous comptes faits de se retrouver sur les traces d’Avraham qui, le premier, entendit l’injonction « va t-en! », détache-toi de ton entourage et poursuis ta route en solitaire, « le monde entier d’un côté du fleuve et Avraham sur l’autre rive », comme le décrira le Midrash? Et puis, s’il s’agit d’une constante incontournable de notre histoire, à quoi bon s’efforcer de chercher des amis ou des alliés, l’effort étant à terme inéluctablement voué à l’échec?
Et pourtant….
Et pourtant, la Thora n’a jamais encouragé la solitude. Le mot « badad », employé par Bilam, ne se retrouve qu’à trois autres reprises dans la Bible: une première fois concernant le lépreux qu’il convient de maintenir à l’extérieur du camp, en solitaire (Vayikra 13, 46). La seconde en se lamentant sur le sort de la Jérusalem isolée et vidée après l’Exil (premier verset du livre des Lamentations). Comme vous le voyez, la connotation n’est pas vraiment sympathique. La seule occurrence positive du mot se trouve dans Devarim 32, 12. Mais là ce sont pour d’évidentes raisons théologiques, puisqu’il s’agit de Dieu: « l’Eternel, seul, le dirige (le monde) »! D’ailleurs dès les premières pages de la Thora, la solitude est mal vue: « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Berechit 2,18). Bilam, qui annonce ainsi la solitude d’Israël, n’est d’ailleurs pas vraiment un ami du peuple hébreu. C’est lui qui conseillera d’envoyer les femmes de Moav séduire Israël pour le faire chuter (avec cette fois plus de réussite: nous perdrons 24000 hommes dans cette scabreuse affaire!).
En fait, il n’est écrit nulle part dans la Bible qu’Israël est appelé à vivre seul et haï de tous. Il faudra attendre rabbi Shimon Bar Yohaï et l’époque douloureuse de l’occupation romaine pour apprendre que: « c’est une halakha: Essav porte une haine à Jacob ». Et même là, Rabbi Shimon modère lui-même son propos puisqu’il ajoute: « mais à ce moment-là (lors de la fameuse rencontre entre Jacob et Essav au retour du premier après le long séjour chez Lavan), il eut pitié de lui et l’embrassa de tout son cœur ».
Il semble bien que la bénédiction implicite derrière la phrase de Bilam n’est pas la solitude en elle-même mais bien la capacité que nous avons à l’assumer si le besoin s’en fait un jour sentir.
En fait il s’agit de tenir bon jusqu’au jour où la prophétie d’Isaïe (un prophète qui, lui, ne souhaitait que le bien d’Israël) se réalisera: « A la fin des jours… toutes les nations se rendront (sur le Mont du Temple) et diront: venez, montons vers la montagne de Dieu, la demeure du Dieu de Jacob pour qu’ils nous enseignent ses voies et que nous les suivions car c’est de Sion que sortira la Thora et la parole de Dieu de Jérusalem » (2,3). Et celle de Zacharie (8,23): « En ces jours, dix hommes de toutes nationalités s’agripperont à un Juif et se diront: marchons avec eux! »
C’est la raison pour laquelle, je ne partage pas l’extrême méfiance que ressentent certains de mes amis dès que des non juifs expriment leur soutien et leur amour pour notre peuple ou notre pays. Les jours dont parlent Isaïe et Zacharie ne sont plus très loin. Les dizaines de millions de chrétiens qui, aujourd’hui déjà, clament et enseignent l’amour d’Israël sont pour la plupart absolument sincères. Même s’il convient de rester vigilant, il faut les encourager avec bienveillance à persévérer dans ce sens. L’isolement d’Israël n’est pas un but en soi, ni une bénédiction, encore moins une situation dans laquelle il faudrait se complaire. La Macronésie et les sympathiques habitants des iles Palaos ne sont que les signes précurseurs de l’époque messianique. Si nous le voulons, ce ne sera pas un rêve et « dans 5 ans peut-être, dans 50 ans sûrement », nous constaterons que le visionnaire, une fois de plus, aura eu raison.
Arrêtez-moi si je dis des bêtises….
Rav Elie Kling