Emmanuel Navon est un géopolitoloque qui enseigne à l’Université de Tel-Aviv et au Centre interdisciplinaire de Herzliya. Il est Senior Fellow à l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité (The Jerusalem Insitute for Strategy and Security – JISS) ainsi qu’au Forum Kohelet, et est analyste pour la chaîne i24news. Il nous éclaire sur les prochains grands défis sécuritaires d’Israël, à l’heure où nous changeons de Chef d’Etat-major.
Le P’tit Hebdo: Comment analysez-vous l’approche que Gadi Eizenkot a appliqué pendant son mandat, notamment le recul face à un conflit avec le Hamas?
Emmanuel Navon: Gadi Eizenkot a dû faire face principalement à deux menaces simultanées. L’une au nord avec le Hezbollah et l’autre au sud face au Hamas. Il a jugé que la menace du nord était plus urgente à contenir que celle du sud. Il voulait d’abord détruire les tunnels que le Hezbollah avait creusés vers notre territoire et donc ne pas s’éparpiller en se lançant dans un conflit au sud.
Lph: N’est-ce pas l’échelon politique qui prend les décisions en fonction des estimations de l’échelon militaire?
E.N.: L’armée propose des plans d’actions, mais c’est au gouvernement de déterminer la stratégie. Tsahal a la capacité d’agir contre le Hamas à Gaza, mais pour quelle stratégie? Eizenkot a mis le gouvernement face à ses responsabilités lorsqu’il a posé cette question élémentaire. Une opération militaire à Gaza est possible, mais elle serait coûteuse en vies humaines et ne suffirait pas pour stabiliser la situation à long terme.
Lph: Le gouvernement a-t-il selon vous, une stratégie claire par rapport à Gaza?
E.N.: Gaza est un casse-tête, et n’a pas de solution à court terme. Mais cela ne justifie pas qu’il faille s’en tenir à une politique strictement réactive et attentiste. Quant à la force de dissuasion d’Israël, elle a été mise à mal par les décisions de Netanyahou de libérer des terroristes du Hamas, d’autoriser le transfert d’argent du Qatar au Hamas, et d’accepter un cessez-le-feu humiliant avec Yahia Sinwar.
Lph: Quelles sont les options?
E.N.: La reconquête de Gaza est souvent proposée par certains politiciens. Mais une reconquête permanente implique l’imposition d’un gouvernement militaire sur une population hostile de deux millions d’habitants. Cela exige un nombre important de soldats postés en permanence pour remplir toutes les fonctions d’un gouvernement, depuis l’éducation et la santé jusqu’au ramassage des poubelles. Et ce dans une zone densément peuplée dans laquelle Tsahal devra faire face à une guérilla permanente. Que ceux qui parlent à la légère de “reprendre” Gaza réfléchissent bien avant de parler.
Nous avons à l’heure actuelle trois atouts qu’il faut utiliser pour désamorcer partiellement cette bombe à retardement qu’est Gaza: 1. La détermination de l’Administration Trump à isoler l’Iran; 2. Notre coopération avec A-Sissi (le président égyptien) et sa dépendance économique vis-à-vis des États-Unis; 3. Le partenariat tacite entre Israël et l’Arabie saoudite contre l’Iran. Il faut essayer de combiner ces trois facteurs pour convaincre A-Sissi (moyennant des pressions politiques et des contreparties financières) d’ouvrir la frontière entre Gaza et la Péninsule du Sinaï. Les Gazaouites méritent de vivre dignement, mais Israël ne peut pas se permettre d’ouvrir sa frontière avec un territoire densément peuplé et dirigé par le Hamas. C’est en direction du Sinaï qu’il faut soulager Gaza, mais A-Sissi exigera à raison des contreparties pour réintégrer à l’Égypte (même partiellement) cette “Somalie méditerranéenne” (je vous rappelle que l’Égypte contrôlait la Bande de Gaza entre 1949 et 1967). Il faudra également songer à la levée du blocus de Gaza tout en maintenant un mécanisme de contrôle pour empêcher l’importation d’armement lourd en provenance de l’Iran.
Lph: Tout est une question de volonté politique donc. La campagne électorale que nous vivons, permettra-t-elle de dégager un gouvernement avec une telle ambition?
E.N.: Non, tout n’est pas question de volonté politique mais beaucoup en dépend. Quant à la campagne électorale, elle est plus axée sur les candidats que sur leurs idées. La politique israélienne se réduit aujourd’hui à une obsession émotionnelle autour de Netanyahu. Les réseaux sociaux amplifient cette dichotomie primaire et souvent violente entre culte de la personnalité et hostilité systématique. Dans cette campagne personnalisée et émotionnelle, nous n’avons pas de débat sur les questions importantes. Or l’élaboration d’une stratégie pour le Bande de Gaza fait partie de ces questions.
Lph: Au nord, la menace est-elle mieux contenue?
E.N.: Elle est contenue mais pas éliminée. Israël a une liberté d’action assez large en Syrie pour le bombardement des bases iraniennes. Mais ce n’est pas le cas au Sud Liban, zone densément peuplée où la moindre action militaire peut causer de grosses pertes civiles. Depuis la seconde guerre du Liban en 2006, Israël a maintenu sa force de dissuasion face au Hezbollah. Mais l’arsenal de missiles du Hezbollah (plus de 100000 missiles dirigés vers Israël)! constitue une menace stratégique.
Lph: Vous évoquez les bases iraniennes en Syrie. La menace iranienne brandie par Netanyahou est-elle destinée, comme certains le prétendent, à faire diversion pour éviter d’autres sujets ou est-elle bien réelle?
E.N.: La menace iranienne est réelle. Elle inclut le programme nucléaire, les missiles de longue portée, le soutient actif des milices chiites à travers le Proche-Orient, et les réseaux terroristes pro-iraniens en Afrique et en Amérique latine.
Lph: Quels seront les dossiers prioritaires pour le Chef d’Etat-major entrant, Aviv Kohavi?
E.N.: Kohavi remplace Eizenkot peu après que Tsahal a achevé la destruction des tunnels creusés par le Hamas au nord d’Israël. Or cette opération cruciale fut l’alibi utilisé par Netanyahu pour justifier le cessez-le-feu avec le Hamas à Gaza. Maintenant que l’opération au nord est achevée, les yeux vont se tourner vers le premier ministre et vers le chef d’Etat-major avec la question : quid de Gaza? Encore une fois, l’armée pourra proposer des plans d’action, mais ce sera au gouvernement d’élaborer une stratégie.
Lph: Dans ce contexte, quel impact pourrait avoir le fameux ”deal du siècle”, le plan de paix promis par les Etats-Unis?
E.N.: Cela fait deux ans que l’on entend parler de ce plan de paix. Le journaliste Barak Ravid affirme avoir obtenu les détails de ce plan, mais ses révélations ont été démenties par l’envoyé de Trump au Proche-Orient, Jason Greenblatt. En tout état de cause, l’Administration Trump a déjà annoncé qu’elle ne dévoilera pas son plan de paix avant les élections israéliennes. Et vous pouvez compter sur les Palestiniens pour rejeter ce plan qui leur sera moins favorable que ceux qu’ils ont rejetés dans le passé (Paramètres Clinton en 2000; offre d’Éhud Olmert en 2008; proposition Obama/Kerry en 2014).
J’espère que Trump soumettra des idées nouvelles qui prendront en compte les nouvelles réalités et opportunités géopolitiques du Proche-Orient, et qu’il ne se contentera pas de recycler sous une forme modifiée une “solution” qui ne cesse d’échouer.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Crédit photo: Reuven Kapochinsky
Très clair exposé des problêmes de politique étrangère de notre pays en ce jour. Nous avons eu la solution au nord pour des raisons entachées de propagandes électorales.Malheureusement pas de réelles solutions au sud .Il semble toujours que la peur d”‘occuper Gaza et de la remplir de trop de nos soldats occupés à se battre contre la gerilla” est la même chanson qu’on nous chantait la veille du départ inutile de Gush Katif .La moitié de la population à Gaza ,selon des enquètes sérieuses ,veulent quitter ce territoire dès que Hamas le permettra. Il ne reste donc à Israël ,non à faire des accords inutiles avec ces terroristes , que de faire une vraie guerre contre eux et ,comme Tsahal sait le faire,savoir la gagner enfin et comme il faut. Gaza ,la vraie,veut la paix avec Israël .Un nid de bandits ,d’incendiaires et d’assassins n’a rien á faire sur notre frontière sud. Annexons Gaza :son passé est aussi juif que la Judés -Samarie.
Envahir Gaza est manifestement une solution hasardeuse et très coûteuse en vies israéliennes mais il y a d’autres options.
Quand Israël peut dérober des tonnes de documents ultra secrets à l’Iran je me doute qu’il a des informations suffisantes pour viser personnellement des hauts responsables gazaouïs. Une politique d’éliminations ciblées devrait faire réfléchir le Hamas et serait plus efficace que la destruction de bâtiments vides.
Le plan de Trump sera présenté après les élections, il faut donc maintenir le statu quo à Gaza d’ici là; c’est la seule stratégie possible et c’est celle utilisée par Netanyahu .
Ceux qui critiquent Netanyahu jouent aux échecs avec un coup d’avance, lui avec au moins 5 coups d’avance.
C’est la différence entre des amateurs et des professionnels.
Ceux qui ne sont pas capables de négocier l’achat d’un vase de 50€ croient savoir comment il faut négocier avec les Palestiniens.