Lorsque le Moyen-Orient s’est réveillé ce vendredi 3 janvier, il a compris rapidement l’importance de ce qui s’était passé pendant la nuit. Le numéro 2 du régime iranien, le chef de la force armée Al Qods, Qassem Souleimani, a été éliminé, en Irak, par un raid américain ciblé. Quelles seront les conséquences de cette disparition ? Est-on entré dans une nouvelle ère au Moyen-Orient ? LPH a voulu y voir plus clair grâce au Dr Ephraïm Herrera, spécialiste de l’Islam. 6 questions pour mieux comprendre.
- QU’EST-CE QUE L’IRAN FAIT EN IRAK ?
Dr Ephraïm Herrera: Pour le comprendre, il faut remonter au schisme au sein de l’Islam entre les Chiites (15% des Musulmans aujourd’hui) d’une part et les Sunnites d’autre part. Ils se disputent la légitimité du pouvoir en Islam avec pour but commun la domination du monde et à terme la venue du Mahadi, chef spirituel et politique de l’Islam. Celui-ci doit rester caché jusqu’à la fin des temps pour éviter qu’il ne soit tué comme les 11 Imams qui l’ont précédé depuis Ali, le fils adoptif de Mohamed.
L’Islam chiite demeure passif dans son attente jusqu’en 1979 où l’idée qu’il faut participer activement à sa venue prend le dessus. Pour commencer, les Chiites vont donc renverser le Shah d’Iran pour prendre le pouvoir et exporter la révolution progressivement. Depuis, ont eu lieu différentes tentatives plus ou moins réussies, comme lors de la guerre Iran Irak qui a duré 8 ans.
Les responsables chiites sont arrivés à la conclusion que la meilleure méthode était d’agir à travers des unités militaires et para-militaires qui vont se charger d’exporter la révolution, comme au Liban (Hezbollah), en Irak, au Yémen, en Syrie.
Le chef d’orchestre de tous ces groupes était le général Qassem Souleimani.
2.QUEL ETAIT LE POIDS REEL DE SOULEIMANI ?
Dr Ephraïm Herrera: Il pouvait se vanter d’une réussite exceptionnelle. Il effectuait son travail de manière incroyablement efficace. Il suffit, pour s’en convaincre, de prendre un exemple proche de nous : il était parvenu à faire du Hezbollah au Liban, une force imposante aussi bien sur le plan militaire – avec un stock d’armes de plus de 100000 missiles – que sur le plan politique. Il a sauvé Bachar El Assad des Sunnites, qui sont pourtant majoritaires en Syrie. En Irak, il a infiltré tous les étages du gouvernement et des institutions. Quant au Yémen, les Houthis se mesurent de manière efficace aux Etats-Unis et à l’Arabie Saoudite.
Souleimani est un génie qui a causé la mort de centaines de milliers de personnes afin de réaliser le projet chiite.
3.SOULEIMANI EST-IL IRREMPLACABLE ?
Dr Ephraïm Herrera: Il n’est pas irremplaçable mais le régime iranien va avoir des problèmes à se maintenir sans cette pièce maitresse. Les sanctions américaines imposées par Donald Trump font leur effet, le système est en danger avec une inflation galopante et une gronde populaire que le même Souleimani avait réprimé par la force et le sang.
4.QUELLE PEUT ETRE LA REACTION DE L’IRAN ?
Dr Ephraïm Herrera : Dans l’histoire de la révolution, on relève deux réactions possibles. La première est celle du dos rond : une méthode employée par Mahomet, lorsqu’il a perdu son combat face aux gens de la Mecque. Il était laissé pour mort et là, il a conclu un accord de trêve pour 10 ans, qu’il a rompu 2 ans plus tard avant de conquérir la Mecque. C’est sur ce modèle qu’ont été signés les accords d’Oslo par Yasser Arafat, notamment. Cette stratégie permise dans le droit musulman consiste à s’avouer vaincu mais uniquement dans le but de disposer de temps pour reconstituer ses forces et attaquer de plus belle.
La seconde réaction possible est une réaction militaire ou terroriste qui peut être fatale pour le régime iranien lui-même, mais qu’importe. Le 3e Imam, Hussein, a ainsi été vers un combat perdu d’avance uniquement pour montrer qu’il représentait le véritable Islam. Au 19e siècle, les Russes maltraitent les Shiites en Russie. Les Imams imposent alors au Shah de rentrer en guerre, même si le résultat est connu d’avance : le Shah perd des territoires énormes, est entrainé dans deux guerres successives. Faire la guerre, jusqu’à la mort, est le mot d’ordre. L’essentiel est de montrer au monde que l’Islam ne baisse pas la tête. La mort en martyr a souvent été l’arme ultime du monde islamique, cette réaction irrationnelle est ancrée dans la tradition chiite.
Dans ce type de scénario, on pourra voir des attaques directes contre les Etats-Unis ou indirectes contre les pays du Golfe qui ont une peur bleue de l’Iran.
5.ET ISRAEL DANS TOUT CA ?
Dr Ephraïm Herrera : L’Iran est présent aux portes d’Israël à travers le Hezbollah mais aussi à Gaza. Le financement du Djihad islamique et du Hamas, mouvements sunnites peut paraitre contradictoire. Mais en réalité, cela rentre aussi dans la stratégie chiite d’étendre son pouvoir. Pour ce faire, tous les moyens sont bons, y compris financer des mouvements sunnites, dans l’objectif de les retourner en faveur du mouvement chiite par la suite.
Pour la doctrine chiite, les Juifs sont l’ennemi numéro et l’ennemi principal de l’Islam en général. Ils ont falsifié la Bible en effaçant toute trace de la venue de Mohamed et visent à dominer le monde. Le combat n’est pas uniquement contre Israël mais bien contre tous les Juifs, comme l’ont montré les attentats de Buenos Aires ou de Bulgarie, entre autres. Les Juifs sont des impurs qui doivent être soumis à l’Islam. D’ailleurs, ce n’est pas, par hasard, si le groupe armé de Souleimani s’appelle »Al Qods », qui est le nom arabe de Jérusalem.
Israël symbolise naturellement les Juifs aux yeux des chiites. Ainsi le Hezbollah – « notre slogan est la destruction d’Israël – comme le régime iranien ne cachent pas leur ambition : rayer Israël de la carte.
Cependant, depuis 2006 et la deuxième guerre du Liban, les choses ont changé. Bien que la gestion de cette guerre ait pu être critiquée, les dégâts ont été tels pour le Liban que le pays ne s’en est toujours pas remis. Même la population chiite critique l’action du Hezbollah qui peine à recruter des jeunes.
6.DE L’HUILE SUR LE FEU ?
Dr Ephraïm Herrera : Ce slogan répété à tort et à travers par les Démocrates américains et les chancelleries européennes est dénué de tout sens. Si on écoute ces théories alors on doit carrément s’abstenir de lutter contre le terrorisme ! L’Europe qui a tué 6 millions de Juifs pense que l’on peut discuter avec l’Iran qui veut détruire Israël ! Personne au Moyen-Orient n’accorde d’importance à la parole européenne.
La faiblesse de l’Occident n’aura pour unique conséquence que l’obtention à terme par le régime iranien de l’arme nucléaire. Et si tel est le cas, le danger ne concernera pas qu’Israël.
Trump a surpris les responsables iraniens, ils ne s’attendaient pas à une telle manifestation de force. Avec ce coup de génie, le président américain a, incontestablement et durablement, placé l’Iran des ayatollahs dans une situation difficile.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Photo by Hassan Jedi/Flash90