On les appelle, déjà, « les attentats du 13 novembre », ils sont entrés dans l’Histoire, la triste et cruelle Histoire. Ce vendredi soir, sept attaques terroristes quasi-simultanées ont frappé la capitale française, son cœur, ses habitants dont le seul crime aura été de s’attabler à un restaurant ou d’être allé écouter un concert. Au lendemain de l’horreur, nous avons recueilli les impressions de deux journalistes : Brice Couturier, journaliste à France Culture notamment, et Stéphane Amar, correspondant en Israël de BFM TV.
Le P’tit Hebdo : Dans quel état d’esprit êtes-vous au lendemain des attentats qui ont ensanglanté Paris ?
Brice Couturier : Je ne suis pas sidéré comme la plupart de mes confrères. Le choc émotionnel causé par le drame a fait perdre à beaucoup leur esprit d’analyse. Pour ma part, je m’y attendais. La veille, d’ailleurs, j’ai eu une intuition qu’un attentat allait se produire. Il faut dire que nos autorités nous répétaient depuis un moment que la France n’était pas à l’abri d’un attentat de grande envergure.
LPH : Ces attentats témoignent du franchissement d’un cap dans l’horreur terroriste en effet.
B.C. : Ce n’est encore rien ! Les moyens que les terroristes ont utilisés sont relativement limités. Il pourrait se produire des attaques beaucoup plus graves encore !
LPH : Les Français ont donc raison d’avoir peur ?
B.C. : Non, parce que si l’on prend peur alors on donne la victoire aux terroristes. Ce que ceux-ci veulent, c’est que nous abandonnions le Moyen-Orient pris en étau entre des bouchers comme Assad et des groupes d’une violence extrême comme Daech. Si l’on ne veut pas que ce cancer se métastase, alors nous devons limer la tumeur à sa base.
LPH : On entend déjà des voix qui estiment que la guerre en Syrie contre Daech n’est pas celle des Français, qui se demandent ce que la France est partie faire dans cet endroit.
B.C. : Je déplore le fait que bon nombre de Français n’aient pas encore saisi ce qui se joue au Moyen-Orient et les conséquences sur notre quotidien. Certains disent aussi que Daech est le résultat de l’intervention américaine en Irak. C’est faux ! C’est précisément la non-intervention américaine dans ces zones de conflit qui a fait grandir le monstre. Quand Obama a retiré les troupes américaines d’Irak, Daech était un groupuscule bien identifié de 200 personnes. Aujourd’hui ils contrôlent un territoire équivalent à la Grande-Bretagne ! C’est parce que nous n’avons pas été assez sérieux dans notre lutte contre Daech au Moyen-Orient que nous souffrons aujourd’hui sur notre territoire.
LPH : Mais la menace se trouve en France même. Les terroristes sont pour beaucoup, ces derniers temps, des Français, qui sont nés et ont grandi en France. Ne faudrait-il pas commencer par faire le ménage en France ?
B.C. : C’est trop tard ! Et la bien-pensance veut encore nous faire accepter un million de migrants parmi lesquels se trouvent des personnes du même acabit que l’un des terroristes de vendredi dernier… Il y a environ 5000 personnes qui font l’objet d’une fiche S auprès des renseignements français. Si l’on voulait les surveiller correctement, il faudrait mettre derrière chacun environ 20 agents de police. C’est impossible !
LPH : Il n’y a aucune solution ?!
B.C. : Il y en aurait une, mais elle n’est pas démocratique : l’enfermement administratif, construire une base de Guantanamo à la française. Je ferais observer d’ailleurs, que malgré son Prix Nobel, Barak Obama n’a jamais fermé la base, bien qu’il se fût engagé à le faire. C’est parce qu’elle est apparemment une institution nécessaire. Personnellement, je ne serais pas choqué si une telle décision était prise en France. Nous ne faisons pas face à des cas de délinquance classique dans lesquels il faut que les juges interviennent. Nous sommes en guerre.
LPH : Sommes-nous dans une guerre mondiale ?
B.C. : Je ne sais pas. Mais ce dont je suis convaincu, et depuis longtemps, c’est que ceux qui ont tué à Paris sont les mêmes que ceux qui tuent des Juifs en Israël. Je sais aussi avec certitude que les voitures béliers du mois de décembre dernier en France étaient le fait d’Islamistes et non de déséquilibrés comme on a voulu nous le faire croire. C’est le même terrorisme qu’en Israël.
LPH : Faut-il alors mettre sur pied une grande coalition de plusieurs pays pour lutter contre le terrorisme ?
B.C. : Je souhaite que ces évènements unissent les Nations. D’autant plus qu’Israël a une grande expérience en la matière. Mais je dois aussi mettre un bémol à cette idée de grande coalition. En effet, comme le soulignait André Glucksmann, les coalitions permettent parfois à des personnes peu recommandables, comme Poutine par exemple, de se racheter une conduite et de dissoudre leurs propres crimes. Bachar El Assad se déclare prêt à entrer dans une coalition contre Daech ! Donc oui à une coalition, à condition qu’elle ne contienne que des démocraties.
LPH : Pensez-vous que l’approche française va être modifiée par ces attaques ?
B.C. : Je l’espère. Deux options s’ouvrent maintenant : l’esprit munichois et vichyssois d’une part, et l’esprit de la résistance d’autre part. J’espère que le vieux fonds français des résistants, celui qui, comme mon père, avait rejoint le maquis pendant la Shoah, resurgira.
LPH : N’y-a-t-il pas une troisième voie, celle de choisir le Front National ?
B.C. : Le Front National ne se nourrit pas principalement de l’islamisme mais surtout de la pauvreté des Français. Mon pari c’est que nous arriverons à un gouvernement d’union nationale qui fera, enfin, les réformes économiques et sociales dont la France a besoin. Les élections régionales seront déjà un test : la gauche et la droite s’uniront-elles pour contrer le FN ? En 2017, je pense que le Président élu tendra la main à son opposition pour les législatives. Dans le cas contraire, alors, nous aurons le Front National au pouvoir en 2022.
Le P’tit Hebdo : Stephane Amar, dans quel état d’esprit êtes-vous quand vous observez, depuis Israël, les difficiles moments que vit la France aujourd’hui ?
Stephane Amar : Ces attaques confirment que l’Histoire se joue désormais entre Paris et Jérusalem. Des personnalités a priori aussi éloignées que le Rabbi de Loubavitch ou l’écrivain français Michel Houellebecq l’avaient prophétisé et aujourd’hui l’évidence saute aux yeux. Les deux pays sont confrontés aux mêmes défis : identité, terrorisme, démographie. Ils y apportent des réponses très différentes mais on constate qu’Israël brûle de voir la France se rapprocher de ses propres conceptions. Et ce n’est sans doute pas un hasard si les intellectuels juifs français sont à l’avant-garde de la pensée occidentale sur ces questions. En outre, cette tension se reflète dans les échanges extrêmement passionnés entre Juifs de France et Israéliens d’origine française observés sur les réseaux sociaux ces dernières heures.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay
Photo à la une: Laurence Geai/Flash90