Article d’Eden Levi Campana
Jonathan Dekel, cinéaste au talent manifeste, signe avec « Checkout » un premier long métrage aussi captivant qu’insaisissable, une éloge caustique du mensonge dans un monde d’ombres et de faux-semblants. Cette comédie, qui s’ébat entre l’absurde et le tragique, nous invite à explorer la toile complexe des dissimulations humaines, en particulier dans l’univers opaque de l’espionnage. Il sera présenté dans le cadre de la 5ᵉ édition du Festival Dia(s)porama, véritable ode au cinéma juif international.
Le festival illuminera les écrans du 28 janvier au 10 février 2025. Créé en 2021 par le Centre d’Art et de Culture – Espace Rachi et le Fonds Social Juif Unifié, cet événement est devenu un rendez-vous incontournable pour les amoureux d’histoires vibrantes, de mémoires partagées et d’identités multiples.
Cette année, la sélection déploie une palette de récits puissants et singuliers : 16 films, dont 8 fictions, 7 documentaires et 1 œuvre patrimoniale, dessinent un panorama saisissant de la créativité contemporaine et du regard porté sur les mondes juifs. Les spectateurs pourront profiter de 57 projections dans 18 villes de France, tandis qu’une partie de la programmation sera accessible en VOD, invitant ainsi un public élargi à explorer ces univers.
Les jurys de cette édition seront guidés par deux figures emblématiques : Alexandre Arcady, réalisateur dont l’œuvre célèbre les mémoires intimes et collectives, présidera le jury des fictions. Ruth Elkrief, voix et regard aiguisés du journalisme, dirigera celui des documentaires. Leur présence promet une exploration subtile et éclairée des œuvres en compétition.
Porté par une volonté de transmission et d’ouverture, le festival Dia(s)porama conjugue les échos du passé aux résonances du présent. Une célébration vibrante où chaque film devient une fenêtre ouverte sur un ailleurs, une autre époque ou une réflexion universelle.
La programmation ne se limite pas aux films en compétition. Les spectateurs auront également le privilège de découvrir des œuvres hors compétition, dont Le Choix du Pianiste, une réalisation magistrale de Jacques Otmezguine, produite par Nelly Kafsky (Mazel Productions). Ce film, véritable symphonie d’images et d’émotions, sera projeté dans toutes les villes accueillant le festival. Une occasion rare et précieuse, à ne manquer sous aucun prétexte.
Dans cette même lignée d’explorations cinématographiques poignantes, le film israélien Chekout s’inscrit comme une œuvre marquante de cette édition, et mérite une attention toute particulière. Son réalisateur, Jonathan Dekel, est né à Los Angeles. Il a grandi dans un Kibboutz en Israël et a fait son lycée en Californie avant d’effectuer son service militaire en tant que médecin militaire. Plus attiré par le cinéma que par l’armée, il réalise de nombreux courts métrages et documentaires pendant son service. Il intègre ensuite l’excellente école de cinéma Sam Spiegel, à Jérusalem, où il se spécialise dans l’écriture de scénarios et la réalisation. Il a réalisé de nombreux documentaires et courts métrages de fiction et vient d’achever l’écriture de son premier long métrage.
Dès les premières images, Dekel semble jouer avec le spectateur comme un marionnettiste virtuose. La métonymie s’érige en pilier de sa narration : chaque objet, chaque regard, chaque silence détourne l’attention de la véritable intrigue. L’ouverture dans un supermarché, où la banalisation du quotidien contraste avec une tension latente, agit comme une parabole du monde moderne : une vitrine lisse qui masque le chaos interne.
Inspiré des récits du Mossad, Checkout suit Dov (Josh Pais), un agent du Mossad sur le point de prendre sa retraite, souvent jugé trop doux par ses collègues. Déterminé à prouver sa valeur une dernière fois, Dov reporte sa retraite. Dans un hôtel en Turquie, il se trouve face à « Gilgamesh » (Norman Issa), la cible principale du Mossad. Avec l’aide d’Eden (Dar Zuzovsky), une jeune barmaid, il s’efforce de révéler l’identité de ce mystérieux personnage. Cette mission mettra Dov face à un dilemme crucial.

Dekel esquive la grandiloquence pour mieux s’insinuer dans l’esprit du spectateur. Les dialogues minimalistes, ponctués d’un humour acide, résonnent avec intensité. À l’image de « Tinker Tailor Soldier Spy », « Checkout » préfère suggérer plutôt que d’énoncer, rappelant que le mensonge le plus efficace est celui que l’on ne dénonce pas.
L’ironie mordante du film mérite une mention particulière. Chaque personnage, à sa façon, est un Pygmalion qui sculpte sa propre vérité, souvent aux dépens des autres. « Checkout » se présente comme une fable contemporaine sur la consommation de vérités préfabriquées. Dans cette économie du mensonge, chacun devient à la fois client et vendeur, pris dans une chaîne sans fin d’auto-illusion. À ce titre, Dekel emprunte à Orson Welles et son « F for Fake », questionnant la notion même de vérité dans un univers saturé de simulacres. Une vérité mensongère, une fin ouverte qui ferme pourtant toutes les portes. Comme quoi tout se discute. Comme dans un tableau de Magritte, le spectateur est invité à douter de ce qu’il voit, à remettre en question ses propres perceptions. Cette déconstruction de la réalité est à la fois brillante et frustrante, et c’est précisément ce qui fait la force de « Checkout ».
Jonathan Dekel signe un film où le mensonge devient vérité, où l’espionnage est autant une profession qu’une condition humaine. « Checkout » n’est pas seulement un film : c’est un miroir tendu à une société qui, tout comme ses espions, ne sait plus à qui faire confiance, pas même à elle-même. Et dans ce jeu des apparences, Dekel sort grand vainqueur, nous laissant désarmés, mais éblouis.
Renseignements : www.culture-juive.fr/
Eden Levi Campana