“Apprends ce que Laban l’araméen voulut faire à Jacob notre père. Le pharaon ne promulgua un décret qu’à l’encontre des enfants mâles tandis que Laban voulut tout détruire comme il est dit : l’araméen voulut détruire mon père…” Ce passage de la Haggadah de Pessah soutient, paradoxalement, que Laban est plus dangereux pour Israël que le Pharaon !
Or que désirait Laban si ce n’est garder auprès de lui ses filles et ses petits-enfants, quoi de plus légitime ? Lors de sa rencontre avec Jacob, en fuite, il s’exclame : “Qu’as-tu fait ? Tu m’as dérobé mon cœur ! ” (31,26).
Quelle sorte de danger représente donc Laban ?
Si l’équivalent moderne du Pharaon c’est Hitler, celui qui représente l’attitude de Laban c’est l’abbé Grégoire lorsqu’il déclare à l’assemblée constituante en 1789 : “Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus.” Propos, certes généreux, mais qui préconisent l’assimilation totale des Juifs.
C’est précisément ce que désire Laban en toute innocence : conserver sa famille auprès de lui ce qui conduirait à la dissolution totale de cette identité spirituelle héritée d’Abraham.
Le pharaon et Laban représentent les deux figures paradigmatiques de l’antisémite et du démocrate que Sartre a décrites dans ses Réflexions sur la question juive : “L’antisémite reproche au Juif d’être juif ; le démocrate lui reprocherait volontiers de se considérer comme juif.” (p.69). Le démocrate est l’ami du Juif, allergique à toute particularité, il le considère exclusivement comme un homme : “cela signifie qu’il souhaite séparer le Juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules.” (p.67).
Comme le démocrate, Laban a accueilli Jacob, lui a donné ses deux filles et a trouvé en lui un serviteur travailleur et docile, exploitable à merci, tout autre particularité propre à son gendre est de trop. Il le considère comme un “homme” et non pas comme le fils d’Isaac et de Rebecca, détenteur d’une tradition remontant à son grand-père et d’un attachement inconditionnel à la terre d’Israël.
Sans vouloir mettre sur le même pied d’égalité la haine antisémite et la générosité démocratique et tout en reconnaissant que la démocratie a été et reste une bénédiction pour les minorités, il s’agit, néanmoins, pour le Juif de deux formes d’anéantissement : “Celui-là veut le détruire comme homme pour ne laisser subsister en lui que le Juif, le paria, l’intouchable; celui-ci veut le détruire comme Juif pour ne conserver en lui que l’homme, le sujet abstrait et universel des droits de l’homme et du citoyen.” (p.68).
De nos jours, en France, les descendants de Laban se confrontent aux héritiers du Pharaon. L’allergie à la différence a pour nom “laïcité” : les “signes ostentatoires” et le communautarisme sont vilipendés comme des aberrations.
Or sans communautarisme c’est la victoire de Laban : le judaïsme est voué à l’assimilation !