Après presque cinq années de bouleversements historiques dans tout le Moyen-Orient, il n’est pas fortuit que le régime du président Sissi installé au Caire depuis deux ans et celui du président turc Erdogan combattent, chacun de son côté, l’influence grandissante de l’Etat islamique (Daësh) aux confins de leur territoire national respectif. Car au-delà d’évidentes considérations sécuritaires, ce qui se joue ici est une course au leadership du monde arabe sunnite.
On se souvient comment, dès avant la chute du régime Moubarak en février 2011, le leader turc, Tayyip Recep Erdogan, avait commencé à « monter au créneau » en jouant sur plusieurs tableaux afin de supplanter l’Egypte dans son rôle traditionnel de leader du monde arabe sunnite.
Ainsi, avait-on vu Erdogan faire feu de tout bois contre Israël en soutenant toutes les tentatives les plus extrêmes des islamistes de son pays alliés aux partisans internationaux de la « cause palestinienne » de forcer le blocus maritime israélien de Gaza par l’envoi de diverses « flottilles » : cela commença en mai 2010 l’épisode assez dramatique du bateau Mavi Marmara affrété par l’IHH, une groupement turc islamiste radical, qui fut arraisonné par la marine de Tsahal.
Les tentatives toujours opportunistes d’Erdogan…
Puis, Erdogan, qui a su toujours « surfer » aux plans diplomatique et stratégique avec la vague des forces montantes du moment pour en tirer le meilleur bénéfice, envisagea même de s’ouvrir – au grand déplaisir de Washington et de l’OTA N, dont la Turquie est membre – à une alliance possible avec l’axe Téhéran-Damas-Beyrouth afin de mettre en exergue « la stabilité politique turque » comme le meilleur exemple à suivre pour les pays sunnites en crise dans tout le Moyen-Orient… Un rôle qu’il continua à jouer avec plus d’énergie encore dans le sillage immédiat de la chute du régime Moubarak, alors que le Pays du Nil était en proie à d’immenses bouleversements et à une énorme confusion « révolutionnaire » qui dura plus de deux années… Et ce, jusqu’à ce que l’armée égyptienne, menée par le général Sissi, ne dépose en juin 2013 le président élu Mohammed Morsi, membre des Frères musulmans (FM) : un renversement qui donna l’occasion à Erdogan de protester énergiquement contre « les mesures répressives et expéditives » du nouveau régime installé au Caire à l’encontre de ses alliés de toujours, les FM…
Grand supporter de Morsi, Erdogan a ainsi fait savoir voilà quelques jours par son porte-parole, Ibrahim Kalin, que si les condamnations à mort de l’ex-président égyptien et de 106 membres des FM venaient à s’appliquer, « cela causerait une énorme ébullition dans toute la région »…
Vers une rivalité accrue entre la Turquie et l’Egypte
Même si l’armée égyptienne a su riposter fermement ces derniers mois aux attaques massives et simultanées de plusieurs commandos très bien coordonnés des miliciens locaux de Daësh dans le Sinaï, le régime du président l’ex-général Sissi va devoir poursuivre longtemps encore une lutte acerbe contre les terroristes djihadistes pullulant dans la péninsule du Sinaï et aussi contre les réseaux devenus clandestins de la rébellion des FM qui veulent désormais en découdre directement avec le pouvoir à l’intérieur même de l’Egypte en multipliant les affrontements et les rassemblements violents. Une agitation qui risque fort d’empêcher le Pays du Nil de retrouver enfin un « second souffle » sécuritaire et socio-économique après presque cinq ans de troubles et de confusion.
Cette instabilité et cette fragilité caractérisant l’Egypte se retrouvent aussi d’une certaine manière en Turquie… En effet, la récente semi-défaite électorale de l’AKP, le parti pro-islamiste conservateur du président Erdogan qui voulait, grâce à cette consultation populaire, s’arroger les pouvoirs exorbitants d’un véritable super-sultan, est en train déjà de générer une certaine instabilité politique interne au pays de la Porte Sublime, alors que le camp libéral et social commence quant à lui peu à peu la tête.
En fait, l’Egyptien Sissi constitue en quelque sorte « l’image inversée » d’Erdogan : alors que ce dernier tente d’ancrer profondément l’extrémisme musulman dans son pays en s’appuyant sur toutes les forces conservatrices turques, le premier, s’il s’efforce lui aussi de combattre les djihadistes du Sinaï, veut quant à lui considérablement modérer le message que l’islam transmet au monde. Voilà pourquoi, en dernier ressort, ils sont tout deux en situation de rivalité, Erdogan ayant misé à tort, dès le début 2011 avec le renversement du régime Moubarak, sur l’éclipse du rôle-clé à la tête du monde arabe sunnite d’une l’Egypte en proie à ses troubles et qui serait donc incapable e continuer à assumer son leadership régional comme pendant la période 1960-2010… Richard Darmon pour Hamodia