Le « dreidel » (Yiddish) ou « sevivon » (Hébreu) est peut-être la coutume la plus célèbre associée à Hanouca.
En effet, divers rabbins ont essayé de trouver un lien intégral entre le « dreidel » et l’histoire de Hanouca. L’explication standard correspond aux lettres « nun, gimmel, hey, shin », qui apparaissent sur le « dreidel »; en diaspora, elles signifient « ness gadol haya sham » – «un grand miracle s’est produit là-bas», tandis qu’en Israël le « dreidel » comporte les lettres « nun, gimmel, hey, pey » ce qui signifie « ness gadol haya po » – « un grand miracle s’est produit ici ».
Une anthologie encyclopédique sur les fêtes célébrées en Israël, ‘le Sefer Hamoadim’ explique que le jeu fut créé à Rome, ou en Grèce antique, et amené en Angleterre par des soldats ou des colons romains – ce qui explique les lettres sur certains faces anglaises, romaines (latines): A pour ‘aufer’ (prendre dans la marmite), D pour ‘depone’ (mettre dans le pot), N pour ‘nihil’ (rien) et T pour ‘totum’ (tout prendre).
Le toton est une toupie en bois, ou autres matériaux comme l’ivoire, constituée d’un cube traversé par un axe. On le lance au-dessus d’un tableau de nombres avec l’espoir qu’elle s’arrêtera sur celui souhaité. Connu dès l’Antiquité romaine, le toton tire son nom du latin totum (« tout ») car il était utilisé pour des jeux de hasard selon le principe des dés. Chacune des faces du pourtour était marquée d’une lettre : A (accipe, « reçois »), D (da, « donne »), P (pone, « pose ») et T (totum, « tout », prends tous les enjeux).
Ce jeu est resté célèbre, notamment en raison du portrait peint par Chardin sous le titre « L’enfant au toton ». Il avait choisi de demander à son modèle de se livrer à ce jeu qui le passionnait : c’était avec l’espoir — récompensé — que cet enfant agité resterait calme le temps de faire son portrait.
La plupart des chercheurs semblent convenir que le « dreidel » est dérivé de la version anglaise de la toupie, appelée « Teetotum ». L’Oxford English Dictionary dit que le « Teetotum » remonte à l’époque grecque et romaine antique, ce qui amène certains à croire qu’il a peut-être été utilisé dans la dynastie hasmonéenne – et d’autres à penser que c’est là que commence son lien ténu avec Hanoucca.
Au XVIe siècle, le jeu de « Teetotum » était devenu de plus en plus populaire en Angleterre et en Irlande, en 1801, les lettres ornant les côtés du plateau ont été modifiées pour servir de méthode, de technique, facilitant la mémorisation. Quant aux règles du jeu en question: H signifierait « la moitié », P « reposer » et N « rien », il devint particulièrement populaire à Noël et fit son chemin vers d’autres parties de l’Europe.
Lorsque « Teetotum » est arrivé en Allemagne, les lettres sur le dessus, appelées « torrel ou trundel », furent à nouveau modifiées pour mieux signifier la langue locale: G = gantz (tous), H = halb (la moitié), N = nicht (rien) et S = stell ein (déposer).
L’Allemagne semble également être l’endroit où les enfants juifs ont eu vent du jeu et l’ont adopté, le transformant en un passe-temps de vacances comme les cadeaux inspirés de Noël qui ont été intégrés aux festivités de Hanouca.
Les Juifs parlant le Yiddish ont changé le nom de la toupie et du jeu en « dreidel », du mot allemand « drehen », qui signifie « tourner ». Ils ont encore modifié le haut, remplaçant les lettres par leurs homologues hébraïques. La valeur et la signification des lettres sont restées les mêmes, mais G est devenu ‘guimel’ (tous), H est devenu ‘hey’ (la moitié), N est devenu ‘noun’ (rien) et S est devenu ‘shin’ (mis).
Bien que l’on ne sache pas exactement quand, les lettres hébraïques ont ensuite pris une signification supplémentaire liée à Hanouca, en désignant la première lettre de chaque mot dans l’expression « Nes gadol haya sham » – un grand miracle s’est produit là-bas. (En Israël, le dreidel sera appelé sevivon, et la lettre shin remplacée par un P, qui signifie « po », ou ici.)
Ceci est une référence à la victoire des Maccabées sur les Séleucides, ou syro-grecs, en 165 avant notre ère et la consécration du Temple à Jérusalem. C’est là que, selon l’histoire de Hanouca, la lumière éternelle a miraculeusement brûlé pendant huit jours en utilisant une réserve d’huile d’un jour.
L’Histoire raconte que lorsque les anciens Grecs ont interdit l’étude de la Torah, les enfants Judéens les ont déjoués en jouant avec une toupie – une sorte de jeu populaire – tout en apprenant la Torah oralement. De cette façon, si les Grecs voulaient éliminer les érudits de la Torah, ils trouveraient à la place un groupe de « joueurs » renégats et les laisseraient tranquilles. Cependant, tout le monde ne croit pas à cette chouette histoire. Pendant que les petits jouaient à la toupie, les adultes s’adonnaient à des devinettes, charades et autres jeux d’esprit :
Makabi (« Le Marteau ») est réinterprété comme l’acronyme de Shemot 15:11 (מי כמוך באלים הי «Qui t’égale parmi les dieux, Éternel?», nonobstant la substitution de la lettre kaf au qof) ou les dernières lettres d’Avraham, Yitzhak, Yaakov.
Avec le temps, des significations spécifiquement juives sont trouvées à ce jouet typiquement européen:
les lettres Noun, Guimel, Hei et Shin se retrouvent sous diverses formes dans le Tana”h (la Bible), anagramme en Bereshit 46:28 («Yaakov avait envoyé Yehouda en avant, vers Yossef, pour qu’il lui préparât l’entrée à Goshen. » – Goshena s’épelle guimel-shin-noun-hei) ou acrostiche dans les tehilim 74:2 («Souviens-Toi de Ta communauté, que Tu acquis jadis, de Ta tribu, Ta propriété, que Tu délivras, de ce mont Sion où Tu fixas Ta résidence!»).
Les lettres de la toupie figuraient les quatre royaumes menaçant l’existence du peuple Juif, symbolisés par les quatre bêtes des rêves de Daniel, les différentes composantes de l’être qu’ils avaient voulu détruire, les quatre domaines du monde selon la Kabbale etc…
Au fil du temps, le « dreidel » et ses lettres ont acquis d’autres significations et interprétations symboliques.
La toupie rappelle le « retournement » des événements lorsque les quelques forces de Yehuda Hamacabi ont vaincu et renversé les nombreuses forces de l’armée d’Antiochus. L’enchaînement naturel des événements s’est inversé: les forts sont tombés entre les mains des faibles.
D’autres ont calculé la Gématria (ou l’équivalence numérique) des quatre lettres hébraïques sur le « dreidel », qui totalisent 358 – le même équivalent numérique que Mashia’h (משיח), ou Messie, en Hébreu. Étant donné que les lettres du dreidel sont égales en nombre aux lettres du Mashia’h, beaucoup pensaient que le Messie de la maison de Yehuda serait celui désigné, pour montrer la voie à d’autres miracles pour Israël.
Les quatre lettres sont également numériquement équivalentes à ‘nah’ash’ (נחש), le mot hébreu pour serpent ou mauvais esprit: Le « dreidel » virevolte pour renverser le mal et faire naître l’ère messianique établissant le royaume de Dieu. L’expression hébraïque « Dieu est roi, Dieu gouverne et Dieu gouvernera » équivaut également à 358.
Pendant ce temps, le rabbin Tzvi Elimelech de Dinov, auteur de l’ouvrage hassidique « Bnei Yissachar », a également eu une interprétation élaborée des quatre lettres du dreidel, affirmant qu’elles représentent les quatre anciens royaumes qui ont tenté d’éradiquer les Juifs : N pour Nabuchodonosor (Babylone), G pour Gog (Grèce), H pour Haman (Perse) et S pour Seir (Rome).
Une autre interprétation des lettres dit qu’elles font référence aux composants du corps humain : N pour nefesh (âme), G pour gouf (corps) et S pour sekh’el (esprit) et s’additionnent à H pour hakol, toutes les caractéristiques d’un individu.
En fait, toutes ces explications élaborées ont été inventées après coup. Le jeu de « dreidel » n’avait, à l’origine, rien à voir avec Hanouca; il a été joué par diverses personnes dans diverses langues pendant de nombreux siècles.
La coutume semble s’être enracinée dans l’expérience historique juive ashkénaze (elle est, en fait, absente des sources séfarades), par ailleurs tous les Ashkénazes ne la considéraient pas de la même manière.
Ainsi, le jeu de « dreidel » représente une ironie de l’Histoire juive.
Afin de célébrer la fête de Hanouca, qui célèbre notre victoire sur l’assimilation culturelle, nous jouons au jeu de « dreidel », qui est un excellent exemple d’assimilation culturelle! Bien sûr, il y a un monde entre imiter des jeux non juifs et adorer des idoles, mais l’ironie n’en demeure pas moins.
Rony Akrich, 66 ans (les Passions d’un Hebreu) enseigne l’historiosophie biblique, il est l’auteur de 5 ouvrages sur la pensée hébraïque et écrit nombre de chroniques et aphorismes en hébreu et français. Il est le fondateur du « Café Daat » à Jerusalem (l’universite populaire gratuite de Jérusalem). Il réside à Kiriat Arba en Judée, il est père de 7 enfants et grand-père de 25 petits-enfants.