Le voyageur qui arrive à Tel Aviv par le train et descend à la station Ha-Shalom est accueilli par un immense panneau qui orne la façade du Beit Ha-Itonout, portant ce slogan : « La démocratie est plus grande que la politique ». Pour l’observateur nourri de philosophie politique classique, ce slogan peut sembler paradoxal. La démocratie est en effet considérée traditionnellement comme une catégorie de la pensée politique et comme une forme particulière de régime politique. Mais ces deux affirmations axiomatiques ont été remises en cause ces dernières années par de nouveaux axiomes politiques, qui ont fini par s’imposer dans une large partie du public occidental. C’est dans ce contexte nouveau qu’il convient de prendre au sérieux et d’analyser le slogan affiché à Tel-Aviv.
Si la démocratie est « plus grande que la politique », c’est de toute évidence parce qu’elle ne désigne plus une catégorie politique, mais bien quelque chose d’autre. La démocratie est devenue une catégorie qui échappe au politique, ou qui le transcende. Pour comprendre cette réalité nouvelle, il suffit de voir les dizaines de milliers de manifestants qui scandent « Demokratia ! » dans les rues d’Israël, à la manière d’un mantra. Oui, il y a bien quelque chose de religieux dans la manière dont ils scandent le mot démocratie et dont ils perçoivent ce concept ancien, qui revêt aujourd’hui un sens nouveau. Quel est-il ?
Afin de mieux l’appréhender, nous partirons de cette observation éclairante de Pierre Manent, qui faisait remarquer que l’attrait exercé par le gouvernement des juges tient au fait que ceux-ci « prétendent de plus en plus parler immédiatement au nom de l’humanité[1]… » C’est précisément ce qui distingue la nouvelle notion de démocratie de son acception classique. Dans cette dernière, la démocratie reposait largement sur l’idée de représentation, en vertu de laquelle le peuple délègue son pouvoir… Cette délégation constitue l’essence même du régime démocratique, qui est comme disait Churchill, « le pire des régimes politiques, à l’exception de tous les autres ». Or c’est précisément cette notion essentielle qui est remise en cause dans la religion de la démocratie qui se fait jour actuellement.
Si la démocratie semble, dans sa nouvelle acception, « plus grande que la politique », c’est aussi parce qu’elle parle presque exclusivement de « droits » et de libertés, là où la politique parle aussi de devoirs civiques.et d’obligations citoyennes. La religion démocratique, qui célèbre les droits de l’individu et ses identités multiples et « fluides », se moque de la représentation politique et de ses contraintes, dont elle ne comprend plus la nécessité. Elle exalte, comme le faisait remarquer Shmuel Trigano, non plus « le citoyen et le sujet de droit, l’Homme avec un grand H » mais « le petit homme avec son identité, son sexe et son choix sexuel changeant »[2].
A l’ère de l’individu roi, la souveraineté populaire est une idée considérée comme obsolète et comme appartenant à un passé révolu. Le désaveu pour la démocratie traditionnelle apparaît donc comme tout à fait compatible avec l’exaltation d’une « démocratie » largement abstraite et déconnectée des problèmes réels de l’État et de la société. Peu m’importe les problèmes de mon voisin ou ceux de mon pays, pourvu que je puisse exprimer mes sentiments et mon identité sans entrave… « Jouir sans entrave », fameux slogan de mai 68, est bien devenu l’idéal des adeptes de la nouvelle religion progressiste et démocratique, comme cela apparaît au grand jour pendant le « mois de la fierté » qui s’est ouvert la semaine passée à Tel-Aviv. La religion de la « démocratie » est aussi, nous le constatons jour après jour, un culte du moi, de l’identité sexuelle arborée comme un étendard et de l’égoïsme individuel.
De même, dans la nouvelle religion progressiste et « démocratique », il n’y a plus de place pour le débat authentique ou pour la confrontation des idées et des opinions. Chacun se bat pour faire triompher sa propre vision du monde, comme sur les réseaux sociaux, en effaçant les avis qui déplaisent ou qui fâchent. La vieille démocratie, avec son parlement, ses débats et son alternance de coalitions élues par le peuple, est donc logiquement synonyme de passéisme ou de réaction. Qui se soucie encore de la majorité, quand sont exaltés constamment les seuls droits des minorités et ceux de l’individu ? (À suivre…)
- Lurçat
- Mon dernier livre, Quelle démocratie pour Israël?, est disponible sur Internet et à la librairie française de Tel-Aviv.
[1] P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Fayard 2001, p. 310.
[2] S. Trigano, « Démocratie ou théocratie judiciaire ? », Menora.info 16.3.23.
Dommage que la traduction du panneau visible dans l’article soit inexacte….
Dites-vous bien que pour la gauche c’est la démocrassie.
et pour la droite c’est la démocratie.
Il y a des mondes et des mondes entre les deux !
Il ne faut pas tout melanger dans un fatra semi intellectuel d’affìrmations auto proclamees.Non Mr. Lurcat la democratie a ete definie , a l’epoque des Lumieres , elle implique en premier
la separation des trois pouvoirs , seule garantie des droits de tous les citoyens.
C’est la raison pour laquelle les gents manifestent et non pour une soit disant communaute mystique.
M.Lurçat, vous avez terriblement raison, et je crains pour l’avenir d’Israël.,…
Claude, vous êtes à côté de la plaque. La démocratie veut dire “peuple souverain” et cela se traduit par l’élection du peuple de ses représentants. Il se fait que les goychistes ont perdu les élections et ils font tout ce qu’ils peuvent pour reprendre le pouvoir par la force, cela s’appelle dictature. Et en Israël depuis 1992 à travers le Juge dictateur Barak, Israël ait devenu une dictature des Juges que ce Gouvernement veut y mettre fin. L’article de Pierre Lurçat est exact, car les manifestations des perdants des élections démocratiques se comportent comme des fanatiques d’une nouvelle religion.
Pour défendre ce gouvernement le monsieur de l’article ci-dessus (bibiste transparaît-il) biaise bien des termes.
Le peuple doit être dominé par la loi.
Comme ses élus doivent l‘être.
Autrement c’est la dictature des élus.
Argumenter avec le gay pride et autres bizarreries est démagogique.
Je ne condamne pas telle tendance sexuelle –
c’est une affaire personnelle pas un cirque.
À mes yeux, la bizarrerie démagogique consiste à réduire tout cet article à un petit exemple, relatif à la gay pride, exemple qui prend deux lignes sur cent et qui n’est pas du tout traité de manière fantaisiste.
C’est donc vous qui biaisez ce texte, manifestement (c’est le cas de le dire) pour défendre votre tendance gauchiste (qui transparaît dans vos interventions).
Il est vrai que, chez les gauchistes, l’heure est au wokisme et que l’homosexualité est taboue.