L’histoire de Juda et Tamar constitue un interlude en plein drame de Joseph. Juda épouse Bat Choua qui lui donne successivement trois fils. Il choisit pour son fils aîné une épouse du nom de Tamar, mais celui-ci meurt avant de lui avoir donné des enfants et il en est de même pour son frère Onan. Juda, mettant ces malheurs sur le compte de sa belle-fille, la renvoie chez son père, sans lui donner en mariage, comme la loi du lévirat l’exige, son troisième fils Chêla.
Or, Tamar arrive par ruse à tomber enceinte de son beau-père, devenu veuf. Lorsque la chose se sait, Juda ayant appris que sa belle-fille se serait prostituée, ordonne immédiatement qu’elle soit brûlée. Cependant, Juda avait laissé, en gage, à la prostituée, dont il ne connaissait pas l’identité, des objets personnels.
Le texte talmudique rapporte la réaction de Tamar à sa condamnation: “Comme on l’emmenait, elle envoya dire à son beau-père: “Je suis enceinte du fait de l’homme à qui ces choses appartiennent.” Et elle dit : “Examine, je te prie, à qui appartiennent ce sceau, ces cordons et ce bâton.” (Genèse. 38,25). Commentaire du Talmud : “Elle n’a qu’à dire explicitement qu’elle est enceinte de lui !” Rabbi Yohanan a dit au nom de Rabbi Chimon bar Yohaï : “Il est préférable de se jeter dans une fournaise ardente plutôt que de faire pâlir le visage de son prochain en public.” (Sota. 10b).
En effet, prise dans une situation tellement périlleuse, la réaction la plus naturelle aurait été de désigner son beau-père comme le géniteur. Or, elle évite de mettre Juda dans une situation aussi embarrassante face à son entourage.
S’appuyant sur une Michna de Pirqé Abot (III, 11) Maïmonide tranche : “Celui qui inflige un outrage public à son prochain n’a pas part à la vie future.”(Le livre de la connaissance. VI, 8).
Pourquoi la Halakha accorde-t-elle à la honte faite à autrui une telle gravité ? Contrairement à toutes les autres émotions que l’homme peut éprouver, la honte ne laisse à la personne outragée aucune issue. La peur peut entraîner la fuite, la colère, une réaction violente, la tristesse, les larmes, tandis que la honte paralyse la personne qui se sent prise dans une sorte de tourbillon : honte, honte d’avoir honte… C’est, sans doute, le fait de se sentir anéanti sous le regard des autres, qui explique que Rabbi Shlomo bar Tsémah Duran (Harashbatz) déclare qu’outrager son prochain en public relève du meurtre (Magen Abot. p.204).
Mais combien étonnante fût la réaction de Juda lorsqu’il reconnut ses objets personnels ! Devant tout son entourage, il s’exclama : “Elle est plus juste que moi, car il est vrai que je ne l’ai point donnée à Chêla mon fils.” (38,26). Commentaire du Talmud : “Rabbi Hanin bar Bizna au nom de Rabbi Shimon Hassidah a dit : “Joseph qui a sanctifié le Nom (chem chamayim) en secret, a mérité de recevoir une lettre du nom du Saint béni soit-Il comme il est écrit : “Un témoignage qu’il a gravé en Joseph (é’dout béYéhossef samo), lors de sa sortie en Egypte.” (Psaumes.81, 6). Juda, qui a sanctifié le Nom en public en disant “Elle est plus juste que moi !”, a mérité de porter un nom (Yéhoudah) comportant toutes les lettres du Nom de D.ieu.” (Sota. 10b).
Joseph avait, en effet, surmonté la tentation sexuelle en fuyant la femme de Putiphar qui s’offrait à lui, “en secret”, autrement dit sans témoins. Or Juda n’a pas hésité à divulguer sa faute devant témoins !
La grandeur d’âme de Tamar et l’intégrité morale de Juda leur auront valu de donner naissance à Peretz, ascendant du roi David et porteur de la promesse messianique.
David Peretz
Bonjour,
Merci pour votre article qui nous remémore cette histoire.
Bonne journée.
Cordialement.