Par Rav David Benitah
Au moment où nous nous apprêtons à célébrer la fête de Hanouka, il apparait utile de se remémorer les différentes raisons qui en expliquent le sens : la victoire miraculeuse de notre Peuple, le miracle de la fiole d’huile, la réinstauration de l’entité politique d’Israël, la purification de notre Temple ainsi que l’émotion suscitée lorsque nous évoquons l’annulation des terribles décrets formulés par les Grecs en vue de détruire les principes fondamentaux de notre identité juive. Cependant, pourquoi le nom retenu jusqu’à aujourd’hui pour conter cette page de notre Histoire est « Hanouka » ?
Cela vient sans aucun doute rappeler l’inauguration renouvelée de l’Autel (‘hanoukat Hamizbea’h), il demeure que parmi les différentes raisons évoquées précédemment, celle-ci apparait comme la moins importante de toutes. En effet l’usage de ce substantif, « Hanouka », (« Inauguration »), n’implique ni miracle, ni victoire, ni même la volonté de souligner la construction du Temple, déjà en activité depuis des siècles, à l’époque des Hasmonéens. Nos contemporains peuvent d’ailleurs y exprimer leur regret du fait que, désormais, notre Temple soit malheureusement en ruine, aussi, il serait envisageable que notre fête nous renvoie justement à l’espoir de sa reconstruction. En revanche, comment peut-on louer Dieu, pendant huit jours par le biais du Hallel, en nous référant à une réalité qui, hélas, n’existe plus ? Cette question amène, par ailleurs, nos Maitres à rejeter l’idée de fixer la récitation du Hallel juste après l’épisode perse, car nous fûmes restés à cette époque, en dépit du miracle de Pourim, sous le joug d’Assuérus.
En outre, il est intéressant de rappeler ce psaume (Tehilim 30) qu’un grand nombre de communautés juives ont l’habitude de lire durant la période de ‘Hanoukka, qui met en relief notre interrogation. A l’exception du premier verset, « louange sur l’Inauguration du Temple » (ibid. 30, 1), il apparait que la suite du psaume traite de l’espoir d’être sauvé et la confiance dans la rédemption future. Pourquoi avoir choisir un psaume qui, mis à part ses premiers mots, ne se referre en aucune façon au faste de cet évènement ? Il est indiqué par ailleurs que cette inauguration est faite par le roi David, alors que son fils Salomon en fut le responsable.
Afin de faire face à cette complexité, il nous faut saisir le sens premier du mot « hanouka ». En recherchant la première évocation sémantique de « ‘Hanouka », nous rencontrons » »Hanoch », fils de Caïn, ainsi qu’une ville, la première, construite en son nom. ‘Hanoch (qui n’est pas sans rappeler « ‘hinouch », l’éducation) est donc lié à la construction comme cela est sous-entendu dans notre psaume (ibid.) qui concerne à juste titre la construction du Temple. Comment le premier meurtrier de l’Histoire, destiné à être nomade, a-t-il eu le droit de construire la première ville de l’Humanité ?
Quelques générations plus tard un deuxième homme dénommé » »Hanoch » apparait (Genèse 5, 21-25), moralement plus respectable, avec l’unique volonté « d’aller selon les desseins de Dieu » mais dont, étrangement, comparée à ses contemporains, la vie terrestre sera de courte durée, de 365 ans seulement ! Pour quelle raison, celui qui semble être l’Ideal de la Création voit sa vie réduite ?
Lorsque nous nous attelons à cette tâche si ardue qu’est l’éducation, nous donnons de nous-mêmes afin de transmettre à l’autre la volonté de réparer les iniquités dans le monde, de faire progresser l’Humanité vers cet Idéal évoqué par la Torah… Afin d’être capable d’éduquer de la manière la plus optimale possible, cela nécessite, au préalable, une grande confiance en l’Avenir qui se traduit par la prise de conscience que nous ne sommes pas ici en vain, que nous n’avons pas d’autre volonté sinon de servir Dieu, de reconnaître que la faculté à réparer le monde est entre nos mains, que cette confiance inaltérable en Dieu, influera positivement sur notre jugement et sur celui de nos contemporains et ainsi mènera le projet divin à cet Idéal du Bien. A l’inverse, penser que tout me revient de droit, que mon propre frère est une gêne quant à l’acquisition égoïste des bienfaits de ce monde, et que par conséquent, honorer la juste rétribution du Créateur, se souciant de chacun avec équité serait intolérable, cela est exactement la conception du monde défendue par Caïn. C’est aussi pour cette raison qu’il assassine son frère. Son châtiment est d’errer sur Terre, puisqu’il récuse la Suprématie de Dieu, puisqu’il ne supporte pas l’idée de ne pas être l’exclusif propriétaire de ce monde, la sédentarisation lui sera bannie. Caïn pense réussir à s’opposer à la volonté de Dieu en construisant une ville et animé par l’orgueil il la nomme du nom de son fils, Hanoch. Le second Hanoch aspire à un idéal diamétralement opposé à Caïn, car totalement désintéressé, il ne se préoccupe que de servir l’Idéal divin. Mais se couper du monde et de ses complexités ne peut hélas faire aboutir cette aspiration. Aussi, Dieu le ramène à Ses côtés, il devient un « ange tutélaire » mais ne peut mener le projet divin à son terme.
La troisième fois où nous pouvons rencontrer un terme qui se rapproche de « ‘Hanoch » est au moment où Abraham s’apprête à livrer bataille contre l’immoralité, il est accompagné de ses 318 « élèves » (‘hanichav », Genèse 14, 14). L’éducateur par excellence est représenté ici : transmettre, faire partager ces valeurs morales sans en attendre une récompense en retour et être prêt même à se battre pour elles s’il le faut.
Nous nous demandions pourquoi le nom du Roi David est invoqué au moment de l’inauguration du Temple, nos maîtres vont évoquer le fait qu’il fut prêt à donner sa vie pour révéler la Sainteté, exprimée par la construction de l’Edifice, justifie sa présence. Cette même volonté est mise en valeur par l’intermédiaire du nom de la fête de Hanouka, il nous est demandé expressément de construire ces valeurs pédagogiques qui prônent la mise en place du Bien sans faillir, et avec l’aide de Dieu nous réussirons si nous persistons à être les élèves d’Abraham et ainsi nous pourrons inaugurer notre Temple très bientôt !
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