La droite israélienne et les représentants des partis religieux ont de sérieuses raisons de ne pas porter Yossi Sarid, disparu le mois dernier à l’âge de 75 ans, dans leur cœur. Depuis son entrée à la Knesset à l’âge de 34 ans sur la liste du Parti Travailliste, et jusqu’à la veille de sa mort (quelques jours avant sa disparition il animait encore une émission radiophonique populaire sur les ondes de Galey Tsahal), il fut l’un de leurs adversaires les plus acharnés. Opposé depuis toujours à l’établissement de nouvelles implantations en Judée et en Samarie, grand pourfendeur de l’establishment rabbinique, il fut à l’origine de la fondation du parti Merets dont il prit finalement la direction. Il fut l’un des premiers à appeler à l’établissement d’un État palestinien, à s’opposer à la première guerre du Liban menée par Sharon et Begin, à soutenir avec force les accords d’Oslo, à prophétiser sur leur lancée un nouveau Moyen-Orient, à lutter contre les allocations « démesurées » versées aux Yechivot et pour l’enrôlement des jeunes Haredim à l’armée. Ce que ses adversaires devaient bien reconnaître, c’est qu’il le faisait avec beaucoup de talent, le sens de la repartie et de la rhétorique et dans un Ivrit qui forçait l’admiration. Ce qui le rendait d’autant plus dangereux. Begin, autre maître orateur s’il en fut, demandait aux membres du Likoud de rester à la Knesset lorsque Sarid prenait la parole afin « d’apprendre de lui sur la forme et de savoir quoi lui répondre sur le fond ». Un des grands rabbanim, disparu depuis lui aussi (et dont je tairai le nom pour ne pas m’attirer des ennuis avec les élèves de Rav Ovadia Yossef), l’a même traité un jour d’ « Hamman Haracha » !
À l’approche des « shloshim » marquant la fin du mois suivant son décès, je voudrais tracer ici le portrait d’un autre Yossi Sarid, moins connu du grand public mais que l’histoire devrait pourtant retenir aussi pour avoir de l’homme une image plus complète.
- Une délégation israélienne composée de quatre députés vient de quitter Auschwitz pour Cracovie où ils doivent passer Chabbat. Itshak Levy, du Parti National Religieux, est le seul des quatre qui respecte scrupuleusement les interdits sabbatiques. Le chauffeur de taxi l’informe que, puisqu’ils ont pris du retard à Birkenau, il n’est pas sûr de pouvoir arriver à Cracovie avant l’entrée du chabbat. « Dans ce cas, annonce calmement Levy, vous me laisserez dans n’importe quel village, je me débrouillerai et on se retrouvera samedi soir ». Sarid, à la surprise générale, réagit aussitôt : « il est évident que je descendrai avec toi, Itshak, il n’est pas question que tu passes chabbat tout seul » ! Finalement, le taxi arrivera à l’hôtel de Cracovie trois minutes avant l’allumage des bougies et Levy eut juste le temps de se précipiter dans sa chambre pour ôter son « mouktsé ». Dix minutes après, c’est encore Sarid qui lui montera sa valise restée dans le taxi… « J’ai d’ailleurs eu trois jours plus tard la confirmation que Sarid serait descendu du taxi avec moi sans hésiter, me confia un jour Itshak Levy. Nous étions dans un restaurant à Varsovie. Ils m’avaient convaincu de me joindre à eux pour notre dernière soirée en terre polonaise. Tout à coup, des filles peu vêtues montèrent sur l’estrade et commencèrent à danser. Je pris alors congé en leur expliquant que je ne pourrais pas rester davantage. Yossi se leva immédiatement. Si tu dois sortir, me dit-il, je sors aussi. Gênés à l’idée de se retrouver seuls, les deux autres députés nous emboitèrent le pas et on retourna à l’hôtel. « Yossi Sarid était un homme respectueux ».
- Quelques temps après le massacre à Kiryat Chmona de 18 civils par des terroristes palestiniens, le député Yossi Sarid appelle les Israéliens à renforcer la ville frontalière et donne l’exemple : il décide de venir y vivre trois ans avec sa famille et donne gratuitement des cours d’instruction civique au lycée. En passant, il contribue grandement à la fondation sur place d’une… Yechivat Hesder qui fonctionne toujours ! Yossi Sarid n’était pas uniquement un bon orateur.
- Les israéliens qui, ce jour-là, écoutent l’émission de Benny Bashan à la radio se souviendront longtemps de l’incroyable récit que fait Sarid de sa mort clinique survenue quelques années plus tôt alors qu’il se trouvait en voiture en famille. « J’ai senti distinctement mon âme se détacher de mon corps et j’ai vu pleurer mes enfants la mort de leur père alors que ma femme fonçait à l’hôpital où j’ai revécu, raconte-t-il à l’animateur médusé. Oui, je sais que pour moi, qui ne croit pas à l’immortalité de l’âme, cette expérience va à l’encontre de mes convictions mais c’est exactement ce qui s’est passé ». Yossi Sarid était un honnête homme.
- Yossi se porte volontaire à Tsahal et participe en tant que chauffeur à cette guerre du Liban à laquelle il s’oppose pourtant de toutes ses forces, afin de contrer ses amis gauchistes qui prônent dangereusement le refus d’obéir aux ordres militaires. Yossi Sarid était un vrai sioniste.
Comme quoi, la réalité est toujours plus complexe que l’idée simpliste ou caricaturale que l’on s’en fait. Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Rav Elie Kling