Lorsque l’on évoque le Hassidisme, vient aussi à l’esprit le mot « mitnagdim », les opposants littéralement. En effet, lorsque le Baal Shem Tov, puis à sa suite le Maguid de Mezeritch et Rabbi Shneour Zalman font grandir le mouvement hassidique, les orthodoxes d’Europe orientale ne le voient pas d’un bon œil. À la tête de ces mitnagdim se trouve le grand Gaon de Vilna. Dans son dernier livre, le Rav Daniel Radford revient dans un style romancé sur cette opposition. Il décrit la genèse du mouvement hassidique, sa survie et sa victoire sur fond de « dissidence », dans la Russie des Tsars sur le point d’être envahie par Napoléon.
Un livre, un roman, accessible à tous tant les mots se transforment en images, les histoires en pièce de théâtre et les leçons en messages qui accompagnent le lecteur bien après avoir refermé la dernière page. La lecture de l’ouvrage est un moment de plaisir autant que d’instruction sur un mouvement et une période centrale dans l’histoire du peuple juif.
Le P’tit Hebdo : Pour vous, qui n’êtes pas né dedans, qu’est-ce que le Hassidisme ?
Rav Daniel Radford : Je me suis attaché au Hassidisme par le fait du « hasard ». Je l’évoque dans mon ouvrage « L’homme aux livres ». J’avais rendez-vous, Rue Pavée, avec le Rav Rottenberg. Mais souffrant, il n’a pas pu venir. J’ai alors aperçu un fascicule du Beth Loubavitch. J’ai appelé, c’est le Rav Shmouel Azimov z”l qui m’a répondu. Après avoir écouté mon histoire, il m’a reçu immédiatement. Par la suite, j’ai étudié avec le Rav Gottlieb, un homme immense qui m’a amené aussi vers la Hassidout. Elle vous nourrit entièrement. Vous devenez ce que vous êtes au fond de votre âme. La Hassidout est le mariage entre l’âme et le corps, entre ce qui se joue dans les sphères supérieures, que nous ne savons pas, et ce qui se joue ici-bas. Et pour parvenir à parfaire ce mariage alors il faut se rapprocher aussi de son frère juif. Parallèlement à une étude rigoureuse, le hassid tend la main à son prochain. D’ aime le Juif, donc pour aimer D’ on doit aimer celui qu’il chérit. La seule manière de féconder sa Torah, c’est d’aider les autres. C’est aussi cela la Hassidout.
LPH : Est-ce pour cette raison que vous avez choisi d’évoquer l’histoire de l’Admour Hazaken par le roman ?
Rav D.R. : J’ai d’abord voulu me raconter ces histoires à moi-même. J’évoque la vie de deux très grands : le Gaon de Vilna et Rabbi Shneour Zalman. Ils sont inatteignables. Il me fallait donc me raconter mon propre judaïsme, mettre en scène les faits. Ce livre m’a nourri. Et effectivement, j’ai voulu qu’il s’adresse à un large public, que l’on puisse le trouver dans les lieux les plus inattendus pour un livre qui parle de ce sujet : les librairies francophones connues. Je suis un écrivain, le Rabbi disait que celui qui a une vocation comme celle-ci ou comme la musique ne devait pas la freiner mais l’utiliser pour rapprocher un maximum de Juifs. C’est ma mission : réveiller par ces écrits la flamme juive.
LPH : Réveiller la flamme juive en évoquant l’histoire d’une « dispute » ?
Rav D.R. : Le livre montre bien qu’au fond les deux hommes qu’étaient le Gaon de Vilna et l’Admour Hazaken se vouaient un grand respect. Je suis, d’ailleurs, très heureux d’avoir écrit ce roman parce qu’il m’a beaucoup appris sur la grandeur du Gaon de Vilna. Ce dernier avait ses raisons de s’opposer : les séquelles du faux messie Sabbataï Tsvi étaient encore vives. Il ne voulait pas qu’une piété trop naïve pénètre le peuple. Mais s’il y avait une leçon à retenir, ce serait de comprendre que le peuple juif a besoin de ces deux courants, tout comme l’homme a besoin d’eau froide mais aussi d’eau chaude.
LPH : La forme de récit que vous avez choisi est très originale. Parmi les particularités, on notera l’intervention du « mainate ». Quel est son rôle ?
Rav D.R. : Il vient me porter la contradiction. Le livre veut poser toutes les questions et apporter des réponses ou des réflexions sur les sujets que soulevaient les opposants au Hassidisme. À vrai dire, petit à petit, ce mainate, ce plumitif, devient hassid. Je veux montrer que se contredire n’est pas un péché. Étant un disciple de l’Admour Hazaken, je voulais être assuré de ne pas tomber dans une description subjective de sa vie, de son enseignement. Je m’efforce d’obéir, non pas naïvement, mais en remettant en cause et en posant des questions auxquelles j’ai trouvé des réponses dans la Hassidout.
LPH : Cette controverse que vous décrivez s’est-elle apaisée après la libération de l’Admour Hazaken, le Youd Tet Kislev ?
Rav D.R. : Non, elle ne s’est pas calmée tout de suite. Mais il est vrai qu’à compter de cette date, le mouvement hassidique a pris une ampleur considérable. Gardons à l’esprit que l’« eau froide » des mitnagduim est toujours nécessaire. Au fil du temps, le mouvement hassidique s’est renforcé grâce à la personnalité des différents Rebbe, et aussi au soutien du monde séfarade. On raconte de très belles histoires sur les liens entre Baba Salé et le monde Habad. Aujourd’hui la controverse s’est estompée.
LPH : Que faites-vous le jour du Youd Tet Kislev ?
Rav D.R. : La date représente vraiment le Rosh Hashana de la Hassidout. C’est la tête qui donne la vie à tout le corps. Cette année, je donnerai une conférence à Toulouse, ce jour-là, dans la communauté du Rav Matusof. Et comme chaque année, je ferai aussi mon examen de conscience. Cette date est une deuxième chance, le dévoilement de la lumière qu’incarnait l’Admour Hazaken. Elle devrait être célébrée par le peuple juif dans son ensemble : fêter la libération d’un Tsadik et de la lumière, victoire du 19 kislev et des voies hassidiques, en prémices de celles toujours montantes de la fête de Hanouka.
Pour se procurer le livre du Rav Radford:
Librairie Gallia et Librairie Vice Versa, Jérusalem
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay