Qui achète le pétrole de l’Etat islamique ?
Alors que l’Etat islamique (EI) d’Abou Bakr Al-Baghdadi, qui s’était
auto-proclamé en « Grand Califat » en juin 2014, contrôle un tiers de la Syrie et de l’Irak – soit près de 10 millions d’habitants – en ayant réussi à y faire venir quelque 30 000 djihadistes étrangers, il a totalement verrouillé son emprise financière et administrative sur toutes les ressources naturelles de son territoire. Résultats : l’EI est, grâce au pétrole, le mouvement terroriste le plus riche du monde !
Le 7 décembre dernier, le journal britannique The Gardian annonçait l’existence d’un document interne de l’EI de 24 pages daté de l’été 2014 et définissant les « Principes administratifs gouvernant l’Etat islamique » sous la plume d’Abou Abdallah Al-Masri : un texte obtenu par le chercheur anglais Aymenn Jawad Al-Tamimi qui a réuni depuis l’été 2014 et à partir de diverses sources, plus de 300 documents de Daësh en les traduisant en anglais pour les publier sur son blog.
Une économie fondée sur les ressources énergétiques et l’extorsion
On lit dans ce texte que le califat doit constituer « un système englobant » censé « changer la société et éduquer les générations futures selon les lois coraniques », pour leur permettre de se soustraire aux influences de l’Occident, du nationalisme arabe et du tribalisme. D’où l’aspect très pensé et réfléchi de sa solide administration – dotée de 16 ministères – permettant à l’EI de s’implanter dans les territoires qu’il contrôle en exploitant rationnellement leurs ressources naturelles en tant qu’incontournable source de revenus considérée comme la clé de l’indépendance et de la survie du califat. Ce document qualifie de « primordiales » l’appropriation par l’EI de ces ressources et leur gestion centralisée : gaz, or, eau, objets d’art ou d’archéologie, médicaments, cigarettes, industries militaires et alimentaires, kidnappings et bien sûr – et surtout – le pétrole !
Il s’avère ainsi que le Grand califat ne peut maintenir son équilibre financier global qu’en extorquant les populations par le biais de toutes sortes d’impôts, de taxes et de versements obligatoires à son administration…
Le rôle déterminant de l’exploitation et des ventes de pétrole
Dans ce système, le pétrole reste la principale source de financement de l’EI : selon une enquête publiée le 14 octobre par le Financial Times, il rapporterait
1,5 million de dollars par jour à l’EI, soit 500 millions annuels et donc plus d’un tiers de ses revenus. Alors qu’en juin 2014, le prix moyen du baril excédait les 100 dollars sur le marché mondial, il est maintenant tombé à 50 dollars, mais l’EI le vend quant à lui entre 20 à 30 dollars, et même parfois moins – surtout depuis que sa production de l’été 2014, alors comprise entre 70 000 et 100 000 barils par jour en Irak et en Syrie, a nettement baissé puisqu’elle n’atteindrait à présent que 20 000 barils par jour, notamment après les frappes aériennes consécutives aux attentats du 13 novembre à paris. Ainsi, grâce à près de 300 ingénieurs et plus d’un millier d’ouvriers, l’EI contrôlerait encore en Syrie quelque 160 puits de pétrole en activité.
Dès la proclamation de son Grand califat en juin 2014, Al-Baghdadi, lançait un appel à ceux qui pouvaient aider l’EI, dont les ingénieurs et techniciens pétroliers pouvant réorganiser ce secteur paralysé par la guerre civile afin de créer un consortium islamique de l’« or noir ». On a alors vu sur Internet fleurir nombre d’offres salariales alléchantes auprès de ces spécialistes, aussi bien en Syrie, en Irak et en Turquie que dans les pays du Golfe persique.
Résultats : l’EI a mis sur pied une gestion centralisée et rigoureuse du pétrole encadrée par des spécialistes islamiques, où chaque vente est répertoriée dans une banque centrale de données. Il a aussi racheté des raffineries existantes et crée des mini-raffineries artisanales pour exploiter certains produits du pétrole brut, comme le gazole ou le mazout.
Mais en fait, la plupart des barils de pétrole de l’EI sont soit consommés sur place, soit vendus en contrebande en Syrie, notamment aux trafiquants liés au régime de Bachar Assad. Ce que vient de confirmer Adam Szubin, le sous-secrétaire au Département américain du Trésor chargé des Renseignements sur le financement du terrorisme.
Les négociants qui achètent à l’EI doublent souvent leurs prix d’achat, puis revendent ce pétrole brut aux raffineries syriennes locales ou à des gens qui l’envoient par estafettes pour le revendre en Syrie – avec de substantiels bénéfices – dans les territoires de la rébellion sunnite échappant au contrôle de l’EI… Si bien que parfois, des groupes rebelles hostiles à l’EI se voient même obligés de lui acheter son pétrole !
Il semble enfin qu’une partie plus réduite du pétrole de l’EI soit aussi exportée vers la en Turquie dans des jerricans portés sur des mulets, ce qu’Ankara comme le président turc Erdogan s’obstinent à nier…
« Daesh prélève l’essentiel de ses finances exactement comme le ferait un gang bien structuré du crime organisé, explique Howard Shatz, un expert-économiste à la Rand Corporation. Il trafique, extorque, écume, rackette, kidnappe, soutire tout ce qu’il peut et fait les poches »… Richard Darmon pour Hamodia