Il est toujours étonnant de constater à quel point les métiers qui nous touchent le plus au quotidien sont ceux qui sont les moins valorisés. Parmi eux, le métier d’infirmières. Ces personnages centraux du monde médical sont au plus près des malades, travaillent de jour comme de nuit en donnant toute leur énergie pour le bien-être de ceux qui sont dans la douleur et l’angoisse.
Et pourtant, elles restent dans l’ombre. Récemment, elles ont fait parler d’elles en Israël, en raison d’un mouvement de grève qu’elles ont lancé pour dénoncer leurs conditions de travail et le manque de main d’œuvre auquel elles sont confrontées.
Cette mise en lumière a permis de porter à la connaissance du grand public les difficultés que rencontrent les infirmières qui font leur alya. Interrogé sur Aroutz 20, Ariel Kandel, le directeur de Qualita, a exprimé le désarroi dans lequel elles se trouvent puisque même en étant diplômées de France et expérimentées, elles sont contraintes de passer un examen pour pouvoir exercer en Israël. Voilà une solution rêvée pour pallier ce manque de personnel, en faisant entrer ces professionnelles qui ne demandent qu’à pouvoir exercer leur métier. ”Les infirmières françaises peuvent exercer d’office dans toute l’Union Européenne. Elles seraient compétentes pour soigner les 500 millions d’Européens, mais pas les 8 millions d’Israéliens ?”, s’est étonné Ariel Kandel devant des journalistes interloqués.
Pour mieux comprendre cette délicate problématique, nous avons interrogé Esther Blum, responsable chez Qualita du département de la reconnaissance des diplômes et en charge des relations avec les administrations israéliennes.
Le P’tit Hebdo: Quel est le principal obstacle que rencontrent les infirmières françaises qui veulent exercer en Israël?
Esther Blum: Le principal obstacle est l’examen qu’elles doivent passer. Il s’agit du même examen que celui demandé aux étudiants qui viennent de finir leurs études. Il présente plusieurs caractéristiques qui en font une épreuve inadaptée aux olim de France.
Tout d’abord, la plupart des infirmières qui font leur alya, sont déjà expérimentées. Elles ne sortent pas des bancs de l’école et il est difficile de se replonger dans les examens.
Mais surtout, la forme de l’examen est perturbant pour les Français. Il s’agit d’un QCM, à l’américaine. En France, nous ne sommes pas habitués à ce type d’examen où aucune nuance n’est permise.
Sur le fond, les sujets ne correspondent pas exactement à la formation des infirmières françaises puisque beaucoup de questions concernent davantage les compétences des médecins.
Enfin, soulignons que pour réussir cet examen, les candidats doivent s’y préparer de façon intensive. Cela suppose de s’arrêter de travailler pendant plusieurs mois, voire plusieurs années lorsque l’on ne réussit pas l’épreuve du premier coup, ce qui est, malheureusement, souvent le cas. Peu de personnes peuvent se le permettre et ce d’autant plus que les cours ne sont pas toujours donnés près du domicile du candidat.
A cela s’ajoute, bien entendu, l’aspect financier. La constitution du dossier pour pouvoir passer l’examen, les cours et l’examen en lui-même ont un coût non négligeable.
Lph: Combien de personnes sont-elles concernées?
E.B.: Nous estimons à plus de 100, les infirmières bloquées par cette absence de reconnaissance. La moitié sont en France, en attente de faire leur alya, mais hésitent car elles ne veulent pas abandonner leur métier. D’ailleurs, environ 20% des infirmières françaises montées en Israël, ces dernières années, ont dû renoncer à exercer leur profession.
Lph: N’est-il pas logique que l’Etat vérifie le niveau de ces infirmières immigrantes?
E.B.: Ce n’est pas ce principe que nous contestons. Il est certain qu’il existe des différences entre l’exercice de la profession en Israël et en France. Les infirmières françaises doivent apprendre comment cela fonctionne ici et quels sont les rouages du système. Mais cela pourrait très bien se faire dans le cadre d’un stage, en partie rémunéré.
Lph: Quelle est la réaction du ministère de la Santé?
E.B.: Cela fait plusieurs années maintenant que nous nous battons, chez Qualita, pour que les infirmières, comme cela a été fait pour les médecins, les dentistes ou les pharmaciens, soient reconnues d’office en Israël. Il faut bien comprendre que leur diplôme est reconnu mais que cette reconnaissance ne leur donne que le droit de se présenter à l’examen.
Dans le domaine des examens, c’est la direction générale du ministère de la Santé qui possède le pouvoir de décision. Mais, les infirmières se sont détachées des autres professions médicales et du coup, tout relève de l’infirmière en chef. Le vice-ministre Litzman nous a donné son accord de principe pour dispenser les infirmières de France de l’examen. C’est l’infirmière en chef qui se fait un point d’honneur à le maintenir.
Lph: Quels sont les recours?
E.B.: Notre dernier recours est la Cour Suprême. Qualita a déposé une plainte pour contraindre le ministère à donner automatiquement le droit aux infirmières françaises d’exercer en Israël et pour que leur diplôme soit reconnu comme une licence universitaire. En effet, les écoles d’infirmières françaises ne délivrent pas de diplôme académique, ce qui complique les démarches de celles qui font leur alya.
Nous avons monté un dossier très complet, dans lequel nous appuyons sur les compétences particulières des infirmières françaises, sur le fait que leur travail est très apprécié et sur la solution qu’elles représentent face au manque de personnel.
Lph: Depuis que vous avez lancé cette lutte, quels sont les résultats que vous avez obtenu?
E.B.: Nous pouvons déjà nous féliciter d’avancées importantes. D’abord, depuis que nous avons déposé notre plainte à la Cour Suprême, le taux de réussite des infirmières françaises à l’examen est passé de 17% à 90% ! Nous avons obtenu la mise en place de cours de préparation à l’examen, parce que bien souvent, les candidates échouaient car elles ne savaient pas comment aborder ce type d’épreuve. Par ailleurs, depuis que Qualita est intervenu dans ce dossier, il est possible de passer l’épreuve en français.
Il est important de souligner aussi le rôle fondamental du journaliste israélien Tsvika Klein, qui se mobilise avec force dans ce dossier et parvient à faire bouger les lignes de manière impressionnante.
Lph: Quel est le message que vous souhaitez passer aux infirmières françaises qui veulent exercer leur profession en Israël?
E.B.: Notre message est un message d’espoir, nous voyons petit à petit les lignes bouger. La récente grève des infirmières en Israël a permis de donner encore un écho à notre combat. La situation fait réfléchir de plus en plus de monde. Nous avons des soutiens dans les koupot holim, au sein des médecins et des infirmières israéliennes, elles-mêmes.
Nous irons jusqu’au bout, la perte pour l’Etat d’Israël et pour ces professionnelles est trop importante pour baisser les bras.
Pour aller plus loin: