Texte d’André Kaspi publié dans Actualité Juive numéro 1649
«Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples ». On oublie souvent la suite : « Je savais qu’au milieu des facteurs enchevêtrés, il fallait en être ». Il semblerait que Joe Biden ait suivi le conseil de de Gaulle. Du 13
au 16 juillet, il fera le voyage vers le Moyen-Orient. Il visitera Israël et les Territoires palestiniens. Puis, il se rendra en Arabie saoudite, sans doute pour y rencontrer les représentants de l’Égypte, d’Irak et de Jordanie. La porte-parole de la Maison-Blanche soutient que ce déplacement fait suite au déplacement en Asie, au Sommet des Amériques de Los Angeles, à la rencontre des Européens lors du sommet du G7 et de l’OTAN. À vrai dire, c’est un événement diplomatique. On croyait, en effet, que les États-Unis, déboussolés par la débandade de Kaboul, ne s’intéressaient désormais qu’à l’Europe orientale et surtout qu’aux relations avec la Chine. Washington tient à démontrer que le Moyen-Orient continue d’occuper une place centrale dans la diplomatie des États-Unis.
Il faut ajouter qu’à diverses reprises, les États-Unis de Joe Biden n’ont pas manqué de critiquer Israël, quels
que soient les liens qui unissent les deux pays. En cause : la situation des Palestiniens, le conflit (insoluble
pour le moment) entre Ramallah et Jérusalem. Les relations avec l’Arabie saoudite ont été bouleversées
à la suite de l’assassinat de Jamal Khashoggi, dans l’ambassade saoudienne d’Istanbul. De leur côté, les Saoudiens expriment de vives critiques à l’encontre des États-Unis. Washington ne soutiendrait pas avec
suffisamment de poigne les forces saoudiennes qui combattent, dans la péninsule arabique, la guérilla
des houthis, des chiites qui sont les alliés de l’Iran et les adversaires du monde sunnite. Tout récemment, les Saoudiens ont pris leurs distances avec leurs « amis américains ». Ils ont refusé d’augmenter leur production
de pétrole pour répondre à la demande des pays consommateurs. Ils ont aussi refusé de condamner l’intervention militaire de la Russie en Ukraine. Ils ont montré, chemin faisant, qu’ils sont sensibles à l’influence
grandissante de la Chine. Il faut ajouter que l’Arabie saoudite vient d’exécuter 81 opposants, alors qu’aux États-Unis l’hostilité à la peine de mort est de plus en plus forte. Et surtout, avec l’application des « accords d’Abraham », un nouveau Moyen-Orient prend forme. Israël a noué des contacts fructueux avec les États du Golfe et, sans doute, avec l’Arabie saoudite. Donald Trump a tenu, dans ces changements, un rôle primordial. Joe Biden n’a pas encore clairement défini sa politique, mais il semble emprunter le même chemin que son prédécesseur. Le prochain voyage apportera, peut-être, les éclaircissements nécessaires. À vrai dire, les États-Unis sont encore
et toujours à la recherche d’une politique iranienne. Joe Biden n’est pas le premier président des États-Unis qui tente d’élaborer une politique cohérente à l’endroit de ce régime clérical, dominé par les ayatollahs. L’Iran avance à grands pas dans la recherche scientifiquee pour mettre au point une stratégie nucléaire. Une fois que les Iraniens sauront fabriquer « la bombe », ils ne pourront plus être attaqués sans menacer l’ennemi de leurs représailles. Leur modèle, c’est la Corée du Nord. Ils imposeront leurs volontés à leurs voisins.
Ils viseront leurs cibles privilégiées, l’Arabie saoudite et l’État d’Israël. Voilà pourquoi les États-Unis de
Barack Obama, le Royaume-Uni, la France, la Russie, l’Allemagne, la Chine et l’Union européenne ont
signé en juillet 2015 un accord, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). Les puissances signataires prennent l’engagement de lever les sanctions économiques qui frappent l’Iran, si les Iraniens arrêtent leurs
recherches nucléaires et ouvrent leurs laboratoires aux inspecteurs des Nations unies. Donald Trump n’a pas tardé à refuser de faire confiance à Téhéran. Il a renoncé au JCPOA en mai 2018. Joe Biden, lui, a voulu renouer le dialogue, malgré le soutien de l’Iran à Bachar al-Assad, au Hamas, au Hezbollah, aux houthis, malgré les menaces iraniennes de fermer le détroit d’Ormuz et d’imposer la loi de Téhéran aux sultanats du Golfe. Pourquoi l’Iran céderait-il aux pressions des États-Unis, alors que les Américains ont abandonné l’Afghanistan et paraissent se
désintéresser du Moyen-Orient? À Washington, on n’a toujours pas renoncé au JCPOA, mais le Congrès vient d’adopter de nouvelles sanctions contre l’Iran, comme si elles pouvaient inciter Téhéran à reprendre le dialogue.
Conséquence prévisible : les « accords d’Abraham » poussent les adversaires de l’Iran à l’union – ce qui constitue
un profond bouleversement. Dans le même temps, Israël poursuit sa guerre « secrète » contre l’Iran, procède à des éliminations ciblées de personnalités iraniennes, dans le domaine scientifique, militaire et politique. Les
installations nucléaires de l’Iran sont visées par des attaques aériennes. La sécurité d’Israël l’exige. Dans cette
région du monde, la guerre pourrait éclater à tout moment. Les États-Unis de Joe Biden n’ont toujours pas renoncé au JCPOA. En un mot, la situation est inflammable. Elle peut dégénérer à tout moment. Le prochain voyage du président dans cette région sera peut-être déterminant. Joe Biden ne manquera pas de rassurer les Palestiniens et renouvellera les appels à la négociation avec Israël – ne fût-ce que pour satisfaire la gauche du parti démocrate. Il rappellera que les États-Unis sont favorables à la solution des deux États, même s’ils savent qu’elle est impraticable pour le moment. Il faudra convaincre que les États-Unis continuent de soutenir les États qui leur font confiance. Et que la Chine et la Russie ne sont pas les seuls États auxquels les États-Unis attachent
de l’importance. Joe Biden est tenu de définir sa politique à l’égard de cette région du monde. Sinon, c’est
peut-être une nouvelle guerre, terriblement meurtrière, qui pourrait alors éclater.
André Kaspi
Actualité juive numéro 1649
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