Un vent nouveau souffle à Bnei Brak, fief des juifs ultraorthodoxes, qui constituent l’une des principales poches de pauvreté du pays. Les « hommes en noir » commencent à intégrer le monde du travail et la « nation start-up » leur tend les bras.
La high-tech israélienne compte 6.000 ultra-orthodoxes, sur un total de 300.000 employés. Forte de 830.000 individus, la communauté ultra-orthodoxe représente 12 % de la population israélienne et devrait doubler de taille d’ici à vingt ans. Les hommes ultrareligieux restent pour partie à l’écart du monde du travail, avec un taux d’activité de 45 % en 2014, contre une moyenne nationale de 76 %.
TECH ET THORA.
« Il faut impérativement intégrer de nouveaux groupes, arabes israéliens, résidents de la périphérie et ultraorthodoxes, aux entreprises high-tech », déclarait il y a peu Avi Hasson, le directeur scientifique du ministère de l’Economie.
Un message reçu cinq sur cinq par Yossi Vardi. En 2011, le gourou de la high-tech israélienne, qui a soutenu plus de 86 jeunes pousses, dont Mirabilis, l’inventeur d’ICQ [cédé à AOL pour 400 millions de dollars, NDLR], est abordé lors d’une conférence par un jeune entrepreneur venu présenter son produit.
« En quarante ans d’activité dans la high-tech, c’était la première fois qu’il se retrouvait nez à nez avec une start-up fondée par un ultraorthodoxe ! » se souvient Moshé Friedman, trente-six ans, qui, il y a seulement cinq ans, faisait partie de ceux qui se consacraient exclusivement à l’étude des textes sacrés.
Jusqu’à ce que ce petit-fils de grand rabbin de Jérusalem, lui-même prédestiné à prendre la tête d’une école talmudique de renom, décide de prendre part à l’écosystème local en créant une jeune pousse spécialisée dans la vidéo en ligne.
De sa rencontre avec Yossi Vardi naîtra en 2013 KamaTech, un projet visant à encourager l’emploi des ultraorthodoxes dans la Valley israélienne. Aidé par Zika Abzuk, la responsable du développement commercial de Cisco Israël, Moshé Friedman parvient à convaincre une cinquantaine de groupes technologiques, d’Amdocs à Google en passant par IBM, Microsoft ou Intel, de recruter des haredim.
« Au début des années 1990, la high-tech israélienne a bénéficié de l’immense apport de l’immigration massive d’ex-Union soviétique. La même impulsion peut se produire avec le monde ultraorthodoxe », pointe Moshé Friedman, dont l’association a déjà permis à 400 personnes de trouver un emploi.
Mais KamaTech ne se contente pas d’appeler de ses voeux la pratique d’une discrimination positive en faveur des ultrareligieux, qui pour l’heure seraient à peine 6.000 (hommes et femmes confondus) à travailler dans le secteur high-tech.
L’organisme s’efforce aussi de favoriser l’entrepreneuriat ultraorthodoxe par le biais d’un accélérateur. Sponsorisée par l’entreprise israélienne Mobileye, la couveuse a reçu l’an dernier 224 dossiers de candidatures pour une short-list de 8 heureux élus (des femmes pour moitié) qui ont levé 5 millions de dollars, tout en créant 44 emplois.
Début février, c’était au tour de Nir Erez, le PDG de l’application Moovit, le « Waze des transports en commun », qui compte notamment Keolis et Groupe Arnault (propriétaire des « Echos ») à son capital, de faire le déplacement à Bnei Brak pour raconter sa success-story dans le local de l’association.
Au sein du comité consultatif de KamaTech figurent d’ailleurs de nombreuses célébrités locales, dont le cofondateur du fonds de capital-risque Pitango, Chemi Peres, fils de l’ex-président de l’Etat, Shimon Peres ; ou encore le serial entrepreneur franco-israélien (et père de douze enfants) Jérémie Berrebi.
L’ex-dirigeant de Kima Ventures, le fonds de Xavier Niel, qui a créé voici un an Magic Capital, associe un mode de vie ultraorthodoxe à celui de « business angel » et espère même créer un hub pour les « startuppers » ultrareligieux de Bnei Brak, sa ville d’adoption…
par Nathalie Hamou Correspondante à Tel-Aviv du journal Les Echos (Copyrights)