Mon ami, le rav Ouri Cherki, a récemment déclenché une petite polémique (pour ne pas dire : a soulevé un tollé général) en affirmant, lors d’un cours diffusé sur internet, que les réactions rabbiniques traditionnelles face aux derniers attentats à l’arme blanche le laissaient songeur. « J’entends trop souvent dire que la seule réponse à la vague de coups de poignard actuelle est la téchouva, la prière et le renforcement dans l’étude de la Thora. Comprenez-moi bien, a-t-il ajouté avec son humour habituel, je n’ai rien contre l’étude de la Thora ou contre la téchouva, bien au contraire, mais en quoi cela est-il lié aux coups de couteau » ? Et à un élève qui demanda alors quel devait être la recommandation des rabbins face à ce nouveau terrorisme, rav Cherki a répondu : faire une vraie téchouva, corriger nos points faibles, apprendre le krav maga, par exemple !
N’étant pas assez courageux pour reprendre à mon compte l’enseignement pertinent de mon collègue et néanmoins ami je le laisse, assez lâchement j’en conviens, se défendre seul face aux accusations qui, comme il devait s’y attendre, n’ont pas tardé à fuser de toutes parts… Ceci dit, je dois avouer que tout ceci m’a fait penser au rêve de notre père Jacob qui occupe le début de notre paracha. Imaginez un instant que vous receviez une révélation prophétique cette nuit dans laquelle Dieu vous apparaîtrait, disons sous forme d’une échelle très haute dont le sommet atteint le Ciel et dont les pieds touchent le sol et que sur cette échelle montent et descendent des anges. Quelle aurait été votre réaction au petit matin ? Moi, personnellement, je me serais demandé : « que signifie ce rêve » ? Ou : « pourquoi Dieu m’est-il apparu précisément à moi » ? Ou : « pourquoi justement cette nuit » ?
Or, pour notre père Jacob, pour qui il s’agit de la toute première révélation prophétique, le sens de cette révélation n’a pas l’air de poser de problème. Il ne se demande pas non plus pourquoi justement lui ou pourquoi justement maintenant. En se réveillant, il dira : « Comment, Dieu réside dans cet endroit là ? Cela, je ne le savais pas » ! C’est l’endroit qui l’interpelle ! Comme si, si le songe prophétique avait eu lieu ailleurs, tout aurait été limpide… Étonnant, non ? Voici l’explication que j’entendis un jour de mon Maître, le Rav Moshe Botchko, zatsal : Jacob, en fait, ne voulait pas vraiment quitter les tentes de son père dans lesquelles il étudiait tranquillement la Torah. Si sa mère, puis son père, ne le lui avaient pas demandé, il serait certainement resté étudier là-bas !
C’est donc en traînant un peu les pieds qu’il prend le chemin de son oncle Lavan où il va devoir travailler une vingtaine d’années. Or, voici qu’il s’endort et que Dieu lui montre cette échelle qui n’a pas seulement la tête au Ciel, symbole de l’étude et de la haute spiritualité, mais également les pieds sur terre, symbole de l’emprise directe avec le monde matériel et ses exigences. Jacob comprend le message : s’il veut être cette échelle qui relie le ciel et la terre et que les anges pourront emprunter, il se doit de quitter provisoirement les tentes de son père et de rechercher aussi la présence divine à Haran, chez Lavan, le plus dur des patrons, auprès duquel il devra passer un difficile stage de formation matérielle.
C’est pourquoi à son réveil, il dira : « Dieu est aussi présent ici, sous-entendu : sur la route de Haran, loin des tentes de mon père, et ça, je ne le savais pas ! Je pensais que la présence divine n’était sensible qu’à l’ombre des tentes de mon père, dans l’étude et la méditation ».
Et si vous trouvez qu’il y a un rapport entre cet enseignement autour de l’échelle et la petite phrase choc du Rav Cherki, sachez que vous en portez l’entière responsabilité…
Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Rav Elie Kling