Dans le cadre du cycle d’études »Femmes, sources et miroirs du monde », la Présidente du Campus Francophone de Netanya, Claude Brightman, a invité Mme Rama Yade à venir s’exprimer le 15 janvier prochain sur le sujet des femmes en politique.
Rama Yade s’engage, il y a 10 ans en politique, elle a alors à peine 30 ans. Elle fut successivement secrétaire d’Etat chargée des affaires étrangères et des droits de l’homme puis secrétaire d’Etat chargée des sports sous la présidence Sarkozy.
Elle s’est déclarée candidate à la présidence de la République, sous l’étiquette de son propre mouvement politique, »La France qui ose », se revendiquant »ni de droite, ni de gauche ».
Le P’tit Hebdo: Pourquoi avez-vous accepté l’invitation du Campus francophone de Netanya?
Rama Yade: Je suis déjà venue à plusieurs reprises en Israël. La première fois, c’était en 2008, dans le cadre de l’évènement »Cartooning for Peace », organisé par Plantu. Puis j’y ai accompagné le Président Sarkozy. J’ai été séduite par l’invitation de Claude Brightman. Venir dans ce cadre me permet de sortir des considérations politiques, d’aller à la rencontre du pays à travers la question des femmes, qui est l’une des priorités de ma campagne. Elle mérite d’être présidentialisée. Les femmes ne relèvent pas de la diversité, c’est une question éminemment démocratique.
Lph: Etes-vous avant tout une femme en politique?
R.Y.: Lorsque je m’engage en politique, il y a 10 ans, ce n’est pas en tant que femme mais pour défendre des idées, des convictions, un projet. Et finalement, c’est le sexisme qui règne en politique, cette délinquance en col blanc, qui a fait de moi une femme politique. C’est cette transformation que je décris dans mon ouvrage »Anthologie regrettable du machisme en politique »: le sexisme est très présent et vous contraint à réagir.
Lph: Comment expliquez-vous cela?
R.Y.: La classe politique française ne s’est pas beaucoup renouvelée. Beaucoup sont entrés en politique il y a près de 40 ans! A cette époque, la société n’avait encore que très peu évolué au sujet du statut de la femme. Ils sont restés ancrés dans cette mentalité. Ils acceptent les »filles de » et »femmes de » mais difficilement les autres, arrivées par elles-mêmes et nécessairement considérées comme suspectes. Simone Veil a expliqué un jour que c’était une réaction de peur.
Lph: Vous êtes une femme, qui plus est jeune. Vous êtes candidate à l’élection présidentielle. Apres ce que vous venez de décrire, n’est-ce pas un pari risqué que vous vous lancez?
R.Y.: La politique est risquée et difficile pour tout le monde, et oui, encore davantage pour les femmes. Mais j’estime être en mission. Je refuse que les femmes françaises soient uniquement représentées par Nathalie Arthaud, à l’extrême-gauche et Marine Le Pen, à l’extrême-droite. Pouvons-nous laisser les femmes françaises être représentées uniquement par les extrêmes? Les partis traditionnels ne laissant pas leur place aux femmes -toutes ont été ou seront éliminées des primaires- je pense qu’il est de mon devoir de les représenter, certes en dehors du système partisan. Mais le féminisme est une rébellion. .
Dans cette campagne, je veux représenter la France des oubliés : la jeunesse maltraitée, les petits entrepreneurs étouffés par une fiscalité confiscatoire, des territoires malmenés de l’outre-mer aux quartiers populaires en passant par les zones rurales. En figure de proue de cette France des oubliés, les femmes. Quand les femmes ne sont pas représentées, la démocratie est amputée. L’économie aussi au travers des inégalités de salaires. La famille également via les violences faites aux femmes. A l’international, ce n’est pas un hasard si ce sont elles, qui, du Pakistan à l’Afghanistan, en passant par la Tunisie, ont pris la tête des mouvements de libération nationale. Elles le paient d’ailleurs, trop souvent, de leur vie. Martyrs anonymes ou célèbres, nous leur devons notre solidarité, pas seulement notre compassion.
Lph: Etes-vous une féministe?
R.Y.: Oui, mais je prône un post-féminisme. Je revendique l’égalité mais pas l’uniformité. Je suis contre la confusion des genres. Etre égal ne veut pas dire être pareil. Nous devons aussi éviter les faux combats : l’énergie que certaines mettent dans la féminisation des noms, c’est autant de temps que nous ne consacrons pas aux femmes victimes de viols dans les Kivus, en RDC, ou chez nous, à combattre les tenants d’un retour à l’ordre patriarcal et pas seulement dans les quartiers populaires. On voit à des heures de grande écoute médiatique des soi-disant intellectuels dénoncer la féminisation de la société, traiter les femmes en des termes impensables, lancer le manifeste des 343 salauds, en écho défiguré au combat de Simone de Beauvoir pour la libre disposition des femmes de leur corps.
Lph: Quel est votre regard sur la société israélienne de ce point de vue?
R.Y.: J’irai à la rencontre des femmes, de la société civile, je voudrais entendre leurs témoignages, voir les convergences possibles en matière d’égalité. Pour l’heure, je constate que les femmes jouent un rôle central en Israël avec une femme à la tête de la Banque Centrale et une à la tête de la Cour suprême, notamment. Mais qu’en est-il des autres ? Dans le monde du travail, au sein des familles ? Je voudrais en apprendre plus.
Au-delà de cette question, j’arrive en Israël dans un contexte particulier. La France connaît depuis plusieurs années maintenant des actes terroristes particulièrement ignobles qui ont fait des centaines de morts sur notre sol. Nous devons faire face à la peur par les armes de la sécurité et de la justice mais aussi par la force de l’esprit. Nous devons faire preuve de résilience. Il est intéressant de voir comment la société civile israélienne vit avec la guerre, comment le quotidien s’organise face à la violence et l’angoisse. Il est intéressant aussi de comprendre comment malgré cette situation la société israélienne parvient à réinventer le quotidien, à être l’une des plus optimistes au monde, l’une des plus innovantes aussi et pas seulement sur le terrain de l’innovation technologique. Il faut sans doute trouver l’origine de cet état d’esprit dans l’histoire. A Pessah, alors que les Juifs lisent la tragédie de l’esclavage et de l’exode, ils terminent par »L’an prochain à Jérusalem », par cette note de confiance en l’avenir.
Lph: Quel est votre message aux Juifs de France qui ont choisi de venir s’installer en Israël?
R.Y.: Je comprends votre inquiétude face à l’antisémitisme en France. Les attentats d’Ozar Hatorah et de l’HyperCacher, les actes antisémites au quotidien, l’importation du conflit israélo-palestinien, les militaires devant les écoles, sont autant de phénomènes qui me serrent le cœur. La France est votre pays, elle vous porte dans son cœur. Sans vous, la France n’est pas la France. Ces Français d’Israël font aussi partie de cette France des oubliés que je veux représenter.
Je comprends ce que signifie d’avoir une identité hybride : moi-même, j’ai eu une autre patrie avant d’être française. C’est une chance, cette double culture, elle n’enlève rien à ma loyauté, profonde, pour la France.
N’oubliez pas la France, elle ne vous oublie pas. Prenez part au débat démocratique ! Cette élection présidentielle est aussi la vôtre !
Conférence le Dim. 15 janvier
Campus Francophone de Netanya
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Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay