Trois sœurs, habitantes de la localité de Shilo, dans la région du Binyamin, ont lancé une initiative qui a rapidement pris des proportions inattendues. Baptisée »Imaot lo zminot » (Mamans pas disponibles), cet appel consiste à encourager les mères à couper leur téléphone, tous les jours entre 18h et 20h, afin d’être entièrement disponibles pour leurs enfants et leur maison.
En cette période de vacances, où, plus que jamais, le smartphone dans nos maisons peut devenir envahissant, LPH s’est intéressé de près à cette initiative. Nous avons interrogé, celle par qui tout a commencé: Moria Shapira, mère de 5 enfants.
Le P’tit Hebdo: D’où est venue l’idée de se »déconnecter » pendant deux heures par jour?
Moria Shapira: Je suis ce que l’on peut appeler »accroc » au téléphone. Mon travail de directrice du centre des visiteurs de Shilo l’Antique ainsi que mes affaires personnelles font que je suis constamment occupée avec mon téléphone. Je me suis aperçue que cela commençait à devenir une vraie addiction et qu’il fallait que je parvienne à prendre du recul. J’ai donc décidé, il y a un an, de couper mon téléphone entre 18h et 20h, tous les jours.
Lph: Le Shabbat ne suffit-il pas pour concrétiser cette coupure. Pourquoi avoir tenu à rajouter ceux deux heures quotidiennes?
M.S.: Quelqu’un qui a pris sur elle ces deux heures quotidiennes m’a raconté que sa petite fille lui a fait la remarque: »c’est Shabbat aujourd’hui? ». Effectivement, dans le monde religieux, on se déconnecte pendant une journée entière. Mais en quelque sorte, comme on n’a pas d’autre choix, on ne ressent pas que l’on se détache. En semaine, le rythme est différent et cette pause de deux heures se ressent fortement.
Lph: Cette coupure est-elle facile à faire?
M.S.: Très franchement, les premiers jours, j’avais les doigts qui tremblaient pendant ces deux heures. Je comptais le temps qui restait encore jusqu’à 20h! Mais après avoir passé ce cap, je me suis aperçue, que j’étais tout simplement plus libre, que j’écoutais mes enfants, j’étais attentive à ce qu’ils me racontaient de leur journée. Eux-mêmes s’amusent à dire: »Incroyable! On appelle »Maman » et elle répond tout de suite! ». En réalité, on ne se rend pas compte que lorsque l’on a le portable à portée de main, on n’écoute qu’à moitié les gens qui nous parlent. D’ailleurs, le fait que je ne sois plus en train de regarder mon téléphone pendant ce temps, a modifié aussi l’attitude des enfants. Tout est beaucoup plus calme et serein à la maison. Je m’aperçois de la quantité de choses que l’on peut faire dans sa maison en 2 heures quand on est libéré du téléphone. Le changement est impressionnant. Aujourd’hui j’attends avec impatience qu’il soit 18h!
Lph: Des articles ont été consacrés à votre initiative sur Ynet et bien d’autres medias israéliens. Comment a-t-elle pris une telle proportion?
M.S.: Une fois que j’ai pris cette décision, j’en ai parlé un jour avec mes deux sœurs, Atara et Tsofia (4 enfants chacune et un emploi à plein temps). Elles ont aimé l’idée et nous avons rédigé un message (voir photo) que nous avons envoyé par whatsapp à nos connaissances, pour encourager les mères à couper leur téléphone entre 18h et 20h. Nous n’imaginions pas une seconde que ce message allait devenir viral! Il a été diffusé à des milliers de personnes, il a même été traduit en arabe! Les pères ont commencé à écrire des messages équivalents en version masculine! Puis, notre initiative est arrivée chez la journaliste Sivan Rahav-Meir et la presse s’est adressé à nous!
Les personnes qui ont adopté l’initiative sont issues de tous les milieux, de toutes les origines, de tous les niveaux religieux. C’est inimaginable!
Lph: Vous avez été surprise par l’ampleur qu’a prise votre initiative, mais la comprenez-vous?
M.S.: Je suppose que nous avons touché le point faible de très nombreux foyers. Nous ressentons tous, au fond, que nous exagérons, que les téléphones ont pris une place trop importante dans nos familles et qu’ils nuisent à nos relations. Nous voulons tous lever le pied, mais nous ne trouvons pas toujours le courage, la motivation ou le bon concept. Je pense que dans »Imaot lo zminot », c’est aussi l’équilibre que nous proposons qui plait: il ne s’agit pas de se séparer totalement du téléphone, mais de l’oublier pendant deux heures »seulement ». Ce sont des heures centrales dans une vie de famille. Bien entendu, chacun ensuite s’approprie le concept et l’adapte à ses attentes et à son rythme de vie.
Lph: Avez-vous eu des retours de femmes qui sont devenues »Imaot lo zminot »?
M.S.: Oui, c’est extraordinaire. Nous recevons des messages, nous croisons des personnes qui nous disent à quel point ces deux petites heures ont transformé le quotidien de leur foyer. Ce qui nous a beaucoup plu aussi, c’est que beaucoup de gens nous ont dit qu’il fallait élargir cette initiative. Au départ, nous avons hésité à cibler uniquement les femmes. Mais il nous a paru que l’on pouvait compter sur la force des mamans. Aujourd’hui, les papas nous rejoignent et nous pensons même qu’il serait utile de lancer »Michpa’ha lo zmina », famille pas disponible. Tous les membres de la famille devraient être invités à éteindre leur portable pendant ces deux heures, ou du moins n’en laisser qu’un allumé, en cas d’urgence!
Lph: Ces retours montrent tout de même, que nous en sommes arrivés au point de devoir « s’imposer » deux heures de temps avec notre famille. Qu’est-ce que cela vous inspire?
M.S.: Malheureusement, la vie quotidienne se mène à un rythme effréné. Etre Maman aujourd’hui, c’est vouloir tenir sa maison parfaitement, éduquer ses enfants au top et être un modèle au travail! Tout cela ne peut pas se mener de front et bien souvent, c’est au détriment de notre maison et de notre famille. C’est un défi qui est accentué par le portable qui nous accapare aussi bien pour des raisons professionnelles même après avoir quitté le travail que pour des raisons personnelles. Ces deux heures quotidiennes, je les vois comme une garantie de consacrer du temps de qualité à ce que j’ai de plus important.
Lph: Comment fait-on pour ne pas »craquer »? Un appel de son supérieur, un client qui nous cherche, bref, il ne manque pas de bons prétextes pour décrocher son téléphone ou répondre à un message…
M.S.: Il s’agit de créer une »norme sociale ». Si aujourd’hui cela peut paraitre normal d’appeler les gens à n’importe quelle heure de la journée, le but est de faire en sorte que cela devienne gênant. Il faut que dans la conscience collective, on se dise qu’on ne dérange pas les foyers entre 18h et 20h.
Lph: Face à l’engouement suscité par votre initiative, pensez-vous à la faire évoluer?
M.S.: Comme je le disais, nous avons pris conscience de la nécessite de l’élargir à toute la famille. Aujourd’hui nous cherchons un développeur qui serait prêt à créer une application qui éteindrait le téléphone à 18h et le rallumerait à 20h tous les jours. Une telle application pourrait beaucoup aider à installer la norme sociale dont je parlais à l’instant.