Le miracle de la petite fiole d’huile demeure à jamais, selon la tradition juive, le symbole incontournable de la fête de Hanoukah. Pourtant nul ne s’étonne qu’un événement d’une telle ampleur soit complètement passé sous silence dans la bénédiction spéciale (Al hanissim) qui vient s’insérer dans la liturgie quotidienne pendant les huit jours de fête. Cette bénédiction se réfère de façon univoque au miracle de la victoire militaire des Maccabées sur la puissante armée grecque d’occupation et s’achève sur l’inauguration du Temple sans la moindre allusion à notre énigmatique fiole d’huile. C’est bel et bien l’issue du conflit entre grecs et juifs qui s’impose incontestablement comme le véritable miracle de Hanoukah.
Comment expliquer, dès lors, que le miracle de l’huile se soit substitué dans la tradition à celui de la victoire militaire où du moins qu’il l’ait privé de sa centralité ?
Rabbi Méïr Simha Hacohen, dans son commentaire de la Torah, Méchekh Hokhma, explique cette substitution par l’interdiction de se réjouir du malheur de ses ennemis : « Lorsque ton ennemi tombe, ne te réjouis pas ; s’il succombe que ton cœur ne jubile pas » (Proverbes. 24, 10). Par conséquent, poursuit l’auteur « le seul enseignement de Hanoukah qui nous ait été transmis concerne le miracle de l’huile et l’inauguration de la maison de D.ieu ». L’allumage, au lieu de célébrer « l’événement visible (méfoursam) aux yeux de tous », celui de la victoire, se rattache à « un événement non visible (bilti méfoursam) et dont les Cohanim sont les seuls témoins » (Pérachat Bo).
Méchekh Hokhma compare cet enseignement à celui de la célébration, le septième jour de Pessah, du passage de la mer rouge au cours duquel l’armée égyptienne aurait été engloutie par les flots. En effet, contrairement aux autres jours de fête (Moadim), à Pessah on se contente de lire le hallél intégral le premier jour seulement. Ceci, nous dit le Rav : « Afin de montrer l’excellence de ses commandements à tous les peuples ayant coutume de célébrer leurs victoires et la chute de leurs ennemis, et donner ainsi en exemple Israël qui ne saurait se réjouir du malheur de ses ennemis ».
Dans un monde voué à la violence, les guerres sont malheureusement inévitables, Israël ne peut s’y soustraire. Cependant la haine de l’ennemi ne doit pas pénétrer les cœurs et les endurcir, supprimant toute compassion et transformant ainsi la victoire physique en défaite morale. La guerre est une fatalité, elle ne doit pas devenir une vocation.
Voici l’enseignement le plus précieux de la priorité accordée par la tradition à notre petite fiole d’huile miraculeuse sur la victoire militaire !
David Peretz