(Extrait du LPH NEW)
Lors du Festival du cinéma américain de Deauville, LPH New a rencontré Georges Ghosn, patron du magazine VSD depuis 2018. Journaliste et homme d’affaires franco-libanais, celui qui a successivement racheté La Tribune, Le Nouvel Économiste et France-Soir nous prodigue ici ses conseils édifiants. Depuis son rachat, VSD est passé d’hebdomadaire à mensuel, et la formule de Georges Ghosn prône un retour au « vrai journalisme », avec de nouvelles rubriques, tout en gardant la ligne éditoriale d’origine du magazine (people, sports extrêmes, photojournalisme…).
B.N. Georges Ghosn, vous êtes le directeur du mensuel VSD, qui a été fondé en 1977 par Maurice Siegel. LPH New est très heureux de recueillir l’expérience d’un grand frère ! D’après vous, y a-t-il un avenir pour la Presse écrite ?
Oui, à condition d’avoir une marque forte. Une bonne marque ne meurt jamais. VSD existe depuis 1977. C’est un des plus vieux magazines français (Le Point n’est arrivé qu’en 1979). À l’époque, les supplémentshebdomadaires des grands journaux – comme Le Figaro Magazine – n’existaient pas encore ; j’ai moi-même créé France–Soir Magazine en 1999.
Le créateur de VSD, Maurice Siegel, est mort en 1985, et après que ses deux enfants ont déposé le bilan, en 1996, le magazine a été racheté par le groupe Prisma Media (qui, alors et jusqu’en 2012, s’appelait encore Prisma Presse), qui possède des titres prestigieux comme Gala, Femme Actuelle, Capital… Mais malgré ses efforts et les sommes considérables qu’il a investies, Prisma, n’a jamais réussi à rentabiliser le titre.
En 2018, j’ai proposé de le racheter, et après quinze mois, depuis janvier 2020, pour la première fois de son histoire, VSD est enfin rentable, parce que j’en ai fait unmensuel. Il est plus épais qu’avant, et on a sauvé la marque car on a mis de la qualité : meilleur papier, meilleure impression, des articles de meilleurs journalistes. Nous avons investi principalement sur le contenu : nos articles sont plus longs – six, sept, huit pages –, et ces articles de fond (reportages, enquêtes)seraient illisibles sur une tablette ou un smartphone. Le papier continue d’être important, car tout ne se lit pas bien sur le Net : je vous mets au défi de lire attentivement un long article, une analyse économique du Wall Street Journal ou du Financial Time sur le Net. Et puis, en avion ou dans le train, il est agréable de lire du papier.
Comment, dans ce contexte difficile, la Presse écrite peut-elle s’en sortir ?
Quand on observe les chiffres de la Presse hebdomadaire en France, on s’aperçoit que L’Express est tombé au tiers de sa diffusion, L’Obs a chuté, Le Point résiste à peu près mais perd de l’argent… Il ne faut pas seulement vivre, il faut aussi être rentable. Une condition pour la pérennité de la Presse, c’est d’arrêter d’être subventionnée par un riche tycoon, quel qu’il soit : Perdriel, par exemple, subventionne Challenges, Pinot subventionne Le Point, Arnault subventionne énormément de quotidiens – ce qui veut dire que si un jour ces sponsors changent d’avis et décident de passer à autre chose, ça s’écroule. Il faut donc faire en sorte que le bilan soit rentable.
Que pensez-vous de la Presse gratuite ?
Je pense que les gens ne respectent pas ce qu’ils ne paient pas. Le problème de l’information sur Internet, c’est qu’elle est tous azimuts et gratuite. C’est de l’information générale, diffusée partout, en abondance. Tant que vous n’avez pas une marque, comme le Wall Street journal ou un autre journal professionnel, vous ne pouvez pas faire payer de l’information.
Les grands papetiers ont lancé les quotidiens gratuits il y a vingt-cinq ans et malheureusement, les journaux ont même créé leurs propres clones et leurs propres concurrents. Mais c’est une Presse qu’on voyait autour des métros, par terre – et une Presse qu’on peut piétiner est une presse que l’on ne respecte pas. D’autre part, la Presse gratuite ne peut être financée que par la publicité, ce qui la rend sujette à caution. On respecte davantage l’information lorsqu’on fait l’effort d’aller acheter son journal au kiosque.
Qu’est-ce qui différencie la ligne éditoriale de VSD par rapport à des journaux comme Le Point ou L’Express, par exemple ?
Nous offrons une sorte de buffet : on peut trouver de l’information politique, de l’humour, du sport extrême… Par exemple, VSD, qui a toujours été associé à de grands évènements sportifs, a créé le Paris-Dakar ; il suivait également les 24 Heures du Mans et le Tour de France – mais on parle aussi des sportifs qui accomplissent de grands exploits.
Vous avez des correspondants qui couvrent chaque évènement ?
Nous avons des pigistes. L’idée, c’est d’avoir un staff fixe qui connaît la ligne éditoriale du journal, qui allie la variété à la curiosité. Un journal, au fond, c’est comme une conversation lors d’un dîner : de quoi est-il question dans un dîner entre amis ? On parle des enfants, de politique, de religion, de loisirs…
Justement, avec la Covid-19, les loisirs ont la vie dure… Sentez-vous un manque par rapport à la raréfaction des événements culturels ?
Les gens font une sorte de voyage immobile. Nous avons bien vendu pendant la Covid-19, malgré le fait que les kiosques avaient disparu – 25000 points de vente en France – et que les Relais H (gares, métros, aéroports), 2000 points de vente, avaient fermé, qui représentaient 25% des ventes.
Les ventes ont donc été déportées vers les moyennes et grandes surfaces, là où les gens continuaient à faire leurs courses, et nous avons regagné un peu de terrain chez ces distributeurs.
Nos lecteurs voyaient des photos de bonheur – car il faut aussi apporter de bonnes nouvelles, ce que j’appelle le good news feeding, et pas seulement toujours les catastrophes, qu’on peut trouver largement sur Internet. Au contraire, nous cherchons à distiller du bonheur et des instants parfois inédits ou insolites, un peu à l’image du magazine Life d’autrefois. Le cocktail d’humour, de politique, de reportages, d’enquêtes, de lifestyle et de jeux : c’est ce qui fait un bon magazine.
Êtes-vous obligé de vous limiter sur la publicité pour laisser de la place au contenu ?
Quand j’ai fait mon business plan pour reprendre le VSD, j’ai prévu la chute de la publicité. C’était assez inattendu. Aujourd’hui, la page de publicité se vend dix fois moins cher qu’il y a quinze ans, parce que les annonceurs privilégient avant tout la télévision, la radio, le Net, les quotidiens régionaux et autres, et que les magazines ne viennent qu’en dernier lieu. Quand vous regardez les chiffres d’affaires des magazines, à l’époque l’ensemble des hebdomadaires comme Le Point ou L’Express faisaient 3 à 5000 pages de pub par mois, et ils multipliaient les numéros spéciaux, les numéros hors-séries, comme l’immobilier en France, etc. Tout cela a disparu. Moi, je peux me passer de publicité. Comment est-ce que je réussis à équilibrer le magazine ? Avant d’avoir de la publicité, il suffit que j’aie mes abonnés et mes acheteurs en kiosque. Quand un journal est utile, les gens s’abonnent spontanément, pour recevoir des conseils de santé, des conseils de vie, des informations sur un métier – la chimie, le bâtiment et travaux publics… –, tout ce que l’on ne peut pas trouver sur le Net.
Georges Ghosn, êtes-vous un journaliste ou un homme d’affaires ?
Je suis un homme de Presse, doté d’un certain bon sens qui fait peut-être la différence par rapport à tous mes confrères.
Qui est le vrai lecteur de la Presse écrite, finalement « archaïque » ?
Ce sont des gens à partir de la quarantaine. En dessous de cet âge-là, c’est le Net. Mais souvent, en vieillissant, les jeunes, par identification, vont faire comme leurs parents. Et puis, quand on avance en âge, on a davantage de temps, et c’est agréable de lire un magazine. En plus, avec toutes ces informations négatives qui circulent sur le Net – le nombre de malades, le nombre de morts… –, on finit par devenir insensible. Dans un magazine, on voit une photo qui véhicule une émotion que les informations à la télévision ne sauront pas faire passer.
Vous dirigez le journal, vous écrivez… Participez-vous également à la sélection des journalistes ?
J’estime qu’il faut toujours préserver la qualité des équipes – tout en évitant de dépenser un argent inutile –, car la qualité fait vendre. Je suis effaré quand, dans les quatre premières lignes d’un article, on ne trouve pas une indication sur ce qui va se passer après. Le style doit être incisif, provocateur, et il faut aussi faire de l’humour, car c’est un véhicule intéressant : le lecteur s’intéresse davantage à une parole exprimée avec humour.
Par ailleurs, une page, c’est comme une pièce de théâtre : il faut la mettre en scène. Pourquoi choisit-on tel type de caractères ? Pourquoi fait-on ressortir tels mots ? Par exemple, il ne faut pas que tous les titres hurlent systématiquement. On croit à tort qu’il faut vendre la page – non ! Quand quelqu’un achète un magazine, il est déjà dedans, vous n’avez pas besoin de lui crier l’info, parfois vous pouvez chuchoter.
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