Depuis une centaine d’années, le corps rabbinique a subi des turbulences importantes. Autrefois, le rabbin était presque toujours un enseignant de la Thora et un décisionnaire en matière de Hala’ha: faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire … Mais aujourd’hui, et pour prendre un exemple banal, je cherche la maîtresse de maison qui apporte le gésier d’une poule en demandant au rabbin local, chose courante à l’époque, si la volaille vivante qu’elle a achetée au marché, est Kacher ou non.
Par contre, les communautés s’adressent aujourd’hui à leurs dirigeants spirituels dans des domaines autres que celui de la Hala’ha: la vie de couple, les rapports parents-enfants, la philosophie juive, etc … Autant de sujets presque jamais abordés dans le cursus d’études rabbiniques. On lui demande d’être psychologue, sociologue, animateur, assistant social, conseiller matrimonial, conciliateur et autres … Mais comment l’être alors qu’il n’a pas été formé à toutes ces disciplines?!
Il y a certes une réponse passe-partout à toutes les questions: « Je sais que je ne sais rien ». A ce propos, on raconte qu’aux derniers instants de la vie du Baal Chem Tov, ses disciples lui demandèrent: ‘Rabbi, tu vas nous quitter pour un monde meilleur, mais comment reconnaitre celui qui te succèdera?’. Ce à quoi il répondit: « Posez-lui la question de savoir comment vaincre l’orgueil. S’il a une solution, ce ne sera pas lui mon successeur. Par contre, s’il dit: « Que D.ieu vous vienne en aide », c’est lui auquel vous vous attacherez. Pour le Maître, c’est une vraie modestie qui reflète une personnalité hors du commun, mais pour ceux qui le suivent c’est plus de la prudence, bien que l’on attende d’eux de posséder la science infuse.
Il y a également les réponses inévitables, qui tombent comme un couperet, et qui ne permettent aucune discussion. Notre maitre, le rabbin Emmanuel Chouchena ז »ל disait souvent que le rabbin n’est que le dépositaire du Choul’han ‘Arou’h. La loi, c’est la loi qui ne laisse place à aucun sentiment. Bien sûr, il faut toujours s’efforcer de trouver des circonstances atténuantes, mais un Cohen ne pourra jamais se marier avec une femme divorcée ou convertie au Judaïsme et un enfant adultérin le restera toujours. Et le rabbin de terminer: « Je lui dirai quelle est la Hala’ha et je pleurerai avec lui ».
On pose des questions de tout genre au rabbin parce qu’on a confiance en lui, parce que l’on voudrait savoir quel est l’avis de la Thora sur tel ou tel problème. Mais la Thora est une règle de vie, un Livre qui nous enseigne comment être « bon et droit » et ne répond pas toujours aux problèmes techniques ou à une certaine marche à suivre. Il pourra toujours s’appuyer sur ses connaissances générales, son bon sens, son quotient intellectuel ou émotionnel, mais l’erreur est facile surtout à notre époque, où le domaine de la recherche est si développé et où les informations se transmettent en une seconde d’un bout du monde à l’autre. A l’ère de l’industrialisation à outrance, le rabbin devrait ressembler plus à un médecin traitant, assurant la coordination avec ses confrères spécialistes.
En fait, je voudrais retourner la question. Si l’on s’adresse à lui, c’est qu’il y a problème et s’il y a problème, le rabbin doit le savoir, sinon en quoi dirige-t-il une communauté? Quelles sont les familles qui ont des difficultés financières, celles qui n’arrivent pas à s’intégrer à la société. Quels sont les enfants ou adolescent(e)s qui ont des fréquentations douteuses et ceux qui sont déconnecté(e)s de leur milieu scolaire ou militaire. La liste est longue mais les solutions existent.
C’est ce qu’a dit Joseph à l’homme mystérieux alors qu’il errait: « Ce sont mes frères que je cherche. Veuille me dire où ils font paître leur bétail ». (Gn. 37: 16).
Chabbath Chalom
Yaakov Levi
Rav Kehilath Atrid (Arnona Hatse’ira, Jérusalem