Question :
Cher Rav, pourriez-vous m’expliquer, à l’aide d’exemples concrets, en quoi consiste l’interdiction de « Guénévat Daat (littéralement : vol de la conscience d’autrui) »?
Réponse:
La Guénévat Daat consiste à donner à une personne le sentiment que l’on fait quelque chose en sa faveur ou à son avantage alors qu’il n’en est rien. Cet interdit est à ce point grave que nos Maîtres enseignent que celui qui se conduit de la sorte à l’égard de son prochain est considéré comme s’étant conduit de la sorte à l’égard de D. (Cf. Pith’é H’ochen, chap.15 note 22). Et la Tossefta de renchérir en tenant cette forme de vol pour le plus grave des sept niveaux de vol qu’elle répertorie.
Ce dont il s’agit, c’est ni plus ni moins que de s’introduire dans la conscience d’autrui et de s’en emparer afin de la manipuler à volonté. Ainsi, lorsque je fais croire à une personne que je me suis dépensé en termes de temps, d’efforts ou d’argent en sa faveur, alors que la réalité est toute autre, je crée chez cette personne un lien de dépendance vis-à-vis de moi que rien ne justifie, l’obligeant ainsi à se sentir, sans raison, redevable à mon égard.
Donnons à présent quelques exemples concrets illustrant dans la pratique cet interdit.
- Lors des préparatifs du mariage de ma fille, il m’est interdit d’y inviter avec insistance une personne dont je sais pertinemment qu’elle ne pourra s’y associer, par exemple parce que je la sais être en deuil, et ce dans le but de lui faire croire que je tiens vraiment à sa présence, ce qui n’est pas le cas. Il me sera néanmoins permis de l’inviter pour la forme et sans insister afin de ne pas risquer de l’humilier. Si je ne l’invitais pas, les gens qui ne sont pas au courant que cette personne est en deuil pourraient croire que c’est par manque de considération à son égard que je ne la convie pas au mariage. Quoi qu’il en soit, je serais autorisé à inviter avec insistance une personne se trouvant dans l’impossibilité d’y répondre si c’est dans la seule et unique intention de l’honorer sans attendre d’elle le moindre retour. (Notez que cette dernière remarque vaut aussi pour le second exemple qui suit.)
- En l’honneur d’un invité de marque, j’ai ouvert lors d’un repas en milieu de semaine, et de manière exceptionnelle, une bouteille de vin grand cru très onéreux. A la fin du repas, pour une raison ou une autre, cette bouteille est à peine entamée. Le Chabat qui suit, j’ai à ma table un invité en l’honneur duquel je n’aurais jamais ouvert une pareille bouteille. Dans cette circonstance, il m’est interdit de lui faire croire que c’est en son honneur que je l’ai débouchée. De plus, s’il m’en remercie, ce qui suppose qu’il est persuadé que c’est en son honneur que je lui ai servi ce grand vin, il est de mon devoir de le démentir, sauf si cela peut créer une situation gênante ou lui faire honte.
- C’est aussi, mais pas uniquement, au titre de cet interdit que toute forme de plagiat est proscrit, y compris celle consistant à rapporter des paroles de Thora en omettant de citer leur auteur.
Cependant, lorsque dans une situation donnée rien de particulier ne suggère que j’ai agi en faveur d’une personne, mais que celle-ci par ses propos me fait comprendre qu’elle est persuadée que tel est bien le cas, je n’ai pas l’obligation de la démentir. Ainsi, par exemple, si la densité de circulation m’a obligé à faire un détour pour me rendre en voiture à mon travail, et qu’ en chemin, j’aperçois un ami à une station d’auto-stop; s’il me dit: « Que c’est gentil de ta part d’avoir fait un grand détour juste pour venir me prendre et m’éviter un trajet à pied! » je ne suis pas tenu de le détromper.
Je terminerai en citant les cas où il est permis de se livrer à Guénévat Daat:
- Dans le but de protéger une personne d’une autre qui la menace.
- Dans le but d’éviter à une personne de transgresser un interdit.
- Dans le but d’aider à solutionner un conflit entre deux juifs.
- Dans le but de trouver un moyen de subsistance: par exemple, le candidat à un poste a le droit de témoigner à un employeur potentiel des marques de respect appuyées afin que celui-ci l’engage.
Rav Azriel Cohen-Arazi
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