Question :
Cher Rav, peut-on, à Pourim, s’acquitter de la Mitsva des Michloah’ manot en offrant un cadeau qui n’est pas comestible, comme par exemple un livre de Torah ?
Réponse :
Afin d’y répondre, votre question me fournit l’occasion d’expliquer quel est le rôle que la Mitsva de Michloah’ manot est appelée à jouer. À ce sujet, deux thèses sont évoquées par les commentateurs. La première, mise en avant par le Téroumat Hadéchen (cf. chap. 111), défend l’idée selon laquelle la Mitsva avait à l’origine pour objet de s’assurer que même les personnes les plus démunies aient de quoi manger lors du Michté de Pourim. Cependant, afin que ces personnes ne se sentent pas humiliées par une forme de discrimination, serait-elle positive, les Maîtres ont décidé d’étendre la Mitsva à l’ensemble de la population, sans faire de différence entre les nécessiteux et les autres.
La seconde thèse, avancée par le Rav Shlomo Elkabets, l’auteur du célèbre « Lékha Dodi » (cf. Manot Halévy), consiste à dire que la Mitsva de Michloah’ manot est une forme de démenti que nous apportons à l’affirmation/constat de Aman selon laquelle le peuple juif est un peuple « émietté » (Esther 3, 8) et divisé au possible. Cette Mitsva est donc pour nous l’occasion, en s’offrant des cadeaux les uns les autres, à la fois de démontrer notre unité et de la renforcer pour le cas où elle laisserait à désirer.
Loin de n’être que théorique, la différence d’appréciation entre le Téroumat Hadéchen (TH) et le Manot Halévy (MH) se traduit de manière très concrète, au plan de la Halakha, de nombreuses manières. Je voudrai ici citer quelques-unes d’entre elles évoquées par les décisionnaires, ce qui me permettra de répondre à votre question.
- Suis-je quitte de la Mitsva dans le cas où je dépose mon Michloah’ manot sur le seuil de la porte de la personne à laquelle il est destiné alors que je sais pertinemment qu’elle sera absente de chez elle le jour de Pourim et qu’elle n’en prendra possession que le lendemain ? Oui, si je m’en tiens à l’opinion du MH, à condition cependant de l’avoir avertie le jour de Pourim de mon intention de venir lui déposer un Michloah’ manot ; non, si je retiens celle du TH.
- Suis-je quitte de la Mitsva dans le cas où j’offre mon Michloah’ manot en conservant l’anonymat ? Oui, selon la thèse du TH, et non selon celle du MH (cf. Kétav Sofer chap. 141) : dès lors que celui qui reçoit le cadeau ne connaît pas l’identité de celui qui le lui offre, son sentiment de gratitude, n’ayant personne vis-à-vis de qui l’exprimer, demeurera inutilisé et donc inopérant en tant que facteur d’unité communautaire. Il est intéressant de noter que dans ce cas de figure, l’implication pratique que le Kétav Sofer déduit de la thèse du MH est surprenante, car l’on serait tenté d’en conclure exactement le contraire, en affirmant que l’anonymat, loin d’annihiler le sentiment de gratitude de celui qui reçoit le cadeau ne peut, de manière paradoxale, que le démultiplier. En effet, ne pouvant s’exprimer vis-à-vis de personne en particulier, il s’exprimera à l’égard de tous.
- Suis-je quitte de la Mitsva si j’offre en guise de Michloah’ manot un cadeau non-comestible ? Oui, selon la thèse du MH, et non selon celle du TH, qui veut que la Mitsva ne pourrait être accomplie qu’avec des aliments susceptibles de s’inscrire dans le menu d’un repas.
En conclusion, et en réponse à votre question, les décisionnaires stipulent qu’en pratique il est nécessaire d’accomplir la Mitsva d’une manière telle qu’elle prenne en compte les deux thèses évoquées. Vous aurez donc compris que vous ne pouvez vous acquitter de la Mitsva en offrant en guise de Michloah’ manot un livre, serait-il de Torah.
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