Question :
Cher Rav, est-il permis de répondre Amen à la bénédiction de Asher Yatsar lorsqu’on entend une personne la réciter en sortant des toilettes, ou bien n’est-ce pas convenable en raison du thème abordé par cette bénédiction ?
Réponse :
Votre question appelle de ma part une réponse ponctuelle sur laquelle viendra se greffer une remarque plus générale à propos de l’arrière-plan idéologique qui la sous-tend. Il vous suffira de lire attentivement la bénédiction de Acher Yatsar, en vous attardant sur sa signification, pour vous convaincre qu’elle n’a rien d’inconvenant. Bien au contraire, elle nous offre l’occasion de louer D. pour nous avoir fait la grâce d’un corps miraculeusement conçu jusque dans le moindre de ses détails, et elle nous permet de Le remercier de veiller à chaque instant à le maintenir en bonne santé. Par conséquent il est clair qu’il convient de répondre Amen à cette bénédiction qui constitue un chant d’amour et de gratitude envers notre Créateur.
Pour le reste, ne soyons pas prisonniers de la soi-disant culture « judéo-chrétienne » que l’on a voulu nous inculquer, entre autres pour tout ce qui concerne l’« en dessous de la ceinture ». Il me semble en effet que le judaïsme se fait une conception toute autre du corps et de ses besoins. Je voudrais ici m’en expliquer en m’appuyant sur un enseignement que je tiens de mon père, que D. lui prête longue vie : dans la Paracha de Béréchit, après avoir relaté au chapitre 3 de La Genèse la faute d’Adam, le premier homme autour du fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal, la Torah introduit au chapitre suivant l’épisode mettant en scène Caïn et Abel par ce verset : « Et Adam avait connu (VéhaAdam Yada) sa femme H’ava. Elle conçut et enfanta Caïn etc. » (Genèse 4, 1). Et Rachi de commenter : « Et Adam avait connu sa femme » : Déjà, avant le récit précédent. Avant la faute à cause de laquelle il a été chassé du Jardin d’Eden.
Se fondant sur la forme verbale utilisée par le Texte, un plus-que-parfait ( VéhaAdam Yada) au lieu de l’habituel passé simple (VaYéda haAdam), Rachi s’attache ici à démontrer que l’ordre selon lequel les évènements relatés se sont réellement déroulés ne correspond pas à celui dans lequel le Texte les présente. Alors que dans le Texte l’intimité conjugale surgit après la faute, Rachi tient à souligner que celle-ci est en réalité déjà présente avant la faute. En quoi cette correction chronologique a-t-elle valeur théologique ? Rachi, semble-t-il, porte ici le fer contre les Chrétiens à propos du statut à conférer à l’intimité conjugale en s’inscrivant en faux contre la vision qu’ils en ont. Tandis que selon ces derniers l’intimité conjugale fait suite à ce qu’ils nomment le Péché originel et en est en quelque sorte la conséquence, Rachi tient à montrer que pour le Judaïsme l’intimité conjugale précède la Faute et en est donc, dans son essence, indemne. S’opposant aux Chrétiens selon lesquels l’intimité conjugale est nécessairement entachée par la faute, Rachi se fait ici l’avocat d’une intimité conjugale pouvant prétendre à la pureté. D’un côté, chez les Chrétiens, dichotomie radicale entre l’esprit et le corps avec la tentation de nier le corps afin de faire place à l’esprit ; et de l’autre, chez les Juifs, volonté d’union entre l’esprit et le corps, lequel acquiert ses lettres de noblesse en se mettant au service de l’esprit. Pour les uns une intimité conjugale comprise comme un mal nécessaire qui s’accomplit sur le compte d’un amour idéalement platonique, et donc en quête d’une perpétuelle absolution, et pour nous une intimité conjugale envisagée comme un don du ciel lorsqu’elle se met au service de l’amour et se hisse au niveau de l’esprit.
En conclusion, appréciez combien est belle notre Torah, elle qui sait si bien sanctifier jusqu’aux plus prosaïques de nos actes !
Rav Azriel Cohen-Arazi
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