Eliahou Akerman est psychologue éducatif depuis trente ans. Il a été amené à beaucoup travailler avec la jeunesse et s’est vu de nombreuses fois demander conseil pour des problèmes de couple et de sexualité. Il a créé, pour répondre à toutes ces questions, un institut dont le nom est très révélateur de son objectif : « Bekdusha » (dans la sainteté).
Nous nous sommes entretenus avec lui sur le sujet du harcèlement sexuel, qui, on le constate avec effroi, n’épargne pas non plus les enfants et les adolescents.
Le P’tit Hebdo: En quoi consiste votre travail à Bekdusha?
Eliahou Akerman: Nous nous occupons de toutes les questions qui ont trait à la sexualité dans le monde religieux. Nous travaillons sur deux axes. Le premier est celui de l’éducation partant du constat que, bien souvent, ni les parents, ni les éducateurs n’abordent ce sujet comme il faut avec les enfants. A cela s’ajoute les influences d’internet, des smartphones et par conséquent d’une exposition à la pornographie qui n’est pas contrôlée et qui est précoce. Nous souhaitons apprendre au maximum d’enseignants, de parents, de rabbanim, de cadres éducatifs, en d’autres termes à tous ceux qui sont en lien direct avec les enfants, à parler de sexualité de manière vraie, pudique, dans la kdousha et sans tabou.
Parallèlement, nous avons une branche clinique qui s’occupe de former des thérapeutes et de traiter les adolescents qui présentent des troubles dans leur rapport à la sexualité.
Cette mission s’effectue, et c’est fondamental, dans le respect de la mentalité religieuse. En cinq ans d’existence, nous avons déjà pu constater que notre institut avait une véritable raison d’être vue la masse de travail à accomplir.
Lph: Le monde religieux, de par ses règles comme la non-mixité, est-il moins exposé aux problèmes de harcèlement sexuel?
E.A.: Les problèmes liés à la sexualité existent dans tous les secteurs, le monde religieux n’est pas le plus touché, mais il est loin d’être épargné. La non-mixité présente un certain nombre d’avantages mais ne préserve pas totalement, malheureusement. Nous constatons qu’il y a des atteintes sexuelles même entre garçons.
Ce qui caractérise le monde religieux c’est trop souvent des tabous, des non-dits, et ce alors que la Torah, elle, traite absolument de tout avec pudeur. Ces réticences à aborder ces sujets créent des aberrations: on rencontre beaucoup de jeunes de 18-19 ans auxquels les parents n’ont jamais parlé de sexualité. Cela peut entrainer des comportements qui sont pathologiques et créer des déséquilibres. Ce n’est pas la seule raison qui amène une personne à être un harceleur mais cela peut le favoriser.
Lph: Quand commence l’éducation sexuelle des enfants et plus particulièrement comment leur parler du risque d’atteintes sexuelles?
E.A.: Dès la maternelle, à l’âge de 4 ou 5 ans, il faut que les enfants sachent que ce danger existe. Il ne s’agit pas de les effrayer mais de leur dire avec force que personne n’a le droit de les toucher, en particulier les parties cachées de leur corps. Il faut qu’ils sachent que si quelqu’un tente de le faire alors ils doivent crier, s’enfuir et surtout en parler. Les enfants doivent comprendre qu’il est interdit d’entretenir le secret autour de ces comportements même si l’adulte agresseur leur a demandé de le garder. Ce point est d’autant plus sensible lorsque l’on sait que beaucoup d’agressions sexuelles sont commises par des proches.
Ces principes sont à répéter aux enfants tout au long de leur enfance et vers 12-13 ans, il convient de commencer à les éduquer aux différences physiologiques, à la sexualité. Il s’agit d’énoncer des réalités et de les mettre en garde.
Lph: Comment faire pour les mettre en garde, même de personnes respectables (des Rabbins, par exemple) sans créer une psychose et un comportement trop méfiant?
E.A.: D’abord, il faut savoir que la plupart des atteintes sexuelles ont lieu entre les jeunes eux-mêmes et ne sont pas le fait d’une personne adulte ayant autorité. Ceci étant, les jeunes doivent bien savoir que personne, qui que soit cette personne, n’a le droit de les toucher. Ils doivent apprendre à différencier un lien à caractère sexuel et un lien normal de relations chaleureuses. Ceci passe par être attentif à des comportements trop intimes comme des cadeaux, des paroles à connotation sexuelle, par exemple.
Dans les récents cas d’agressions commises par des rabbins, on s’est aperçu où pouvait mener la confiance aveugle, les victimes sont dans le déni et ne se rendent même pas compte qu’elles sont agressées. C’est pourquoi, il est fondamental de prévenir nos enfants le plus tôt possible des risques d’atteintes sexuelles.
Mais, restons positif. Le message à faire passer à nos enfants c’est que la sexualité est quelque chose de bon, de naturel, que c’est ainsi que l’on peut fonder une famille. Tout ce qui sort de ce contexte est nuisible. Il ne faut pas avoir peur de la sexualité, il faut savoir être attentif aux comportements qui sortent du cadre dans lequel elle doit s’exprimer.
Lph: L’école a-t-elle un rôle à jouer dans cette éducation?
E.A.: Il existe un département du ministère de l’éducation qui s’occupe de ces questions et qui accomplit déjà du travail. Mais, malheureusement, ce n’est pas suffisant parce que le sujet crée une grande gêne.
Les enfants veulent des réponses et, souvent, les adultes ne leur en donnent pas. Donc ils vont voir Google, la pornographie et ils sont confrontés à une sexualité qui est totalement éloignée d’une sexualité saine et juive. Les chiffres sont affolants, même dans les milieux religieux entre 70 et 80% des garçons de 14 à 19 ans ont déjà visionné de la pornographie!
Notre rôle est d’être capable de trouver les outils pédagogiques qui auront plus de force que ce que nos jeunes peuvent trouver ailleurs.
Lph: Bekdusha intervient-elle dans les écoles?
E.A.: Notre rêve est de pouvoir entrer dans les écoles, les yeshivot, les oulpenot, les midrashot. Nous viendrions ajouter à ce qui est déjà fait. Il y a beaucoup de travail dans ce domaine. Pour le moment, nous intervenons de façon assez ponctuelle. Nous sommes également prêts à nous déplacer si un groupe de parents se constituent et souhaitent recevoir une formation sur ces sujets. Le plus important est de savoir comment faire passer le message.
Lph: Etes-vous inquiet face à la multiplication des affaires de harcèlement sexuel et face à cette jeunesse qui apprend la sexualité par internet?
E.A.: Je ne suis pas inquiet. C’est le défi de notre génération, celui que D’ nous a envoyé pour réparer quelque chose dans le domaine de la kedousha, de la sainteté. Notre combat doit être celui de donner un sens à la sexualité, c’est d’ailleurs le message du judaïsme. La sexualité est une force de vie, elle peut semer la destruction et même la mort, nous devons apprendre à la gérer pour qu’elle soit utilisée dans son but réel: créer de la vie.
Institut Bekdusha
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay