La jeunesse est une période de la vie qui est chargée de questionnements, de recherches et de découvertes. Parfois aussi, elle se caractérise par des égarements, voire pire, au niveau comportemental. L’une des déclinaisons les plus courantes de ce phénomène est la violence que l’on peut retrouver chez certains adolescents.
Sophie Artus, jeune cinéaste, a décidé de réaliser son premier long métrage, »Emek », autour de ce thème. Et ce n’est pas par hasard: la violence des jeunes, elle l’a côtoyée de près.
»Devenue prof, j’ai été plongée dans un monde inconnu et difficile »
Pour mieux comprendre le film de Sophie Artus, il faut se plonger dans son parcours. Elle fait son alya de France il y a 20 ans. Elle est alors étudiante en biologie et décide de poursuivre dans cette voie en Israël. Elle passe un doctorat et un diplôme d’enseignante. Parallèlement, Sophie a toujours eu une passion: le théâtre, qui était très forte chez elle.
A la fin de ses études, elle commence à enseigner la biologie en collège: »J’ai été plongée dans un monde inconnu », se souvient-elle, »La violence, le désordre, tout était très difficile à gérer. Je ne savais plus comment réagir, j’étais débordée. Et même si je n’étais pas la seule enseignante dans ce cas, je me sentais bien isolée et coupable de ce qui se passait dans ma classe ».
Cette expérience la décide à se tourner vers sa passion, en la vivant complètement. Ainsi, tout en continuant à enseigner dans un autre endroit, elle se lance dans des études de cinéma à l’université de Tel Aviv. Aujourd’hui, Sophie ne fait plus que du cinéma et a sorti son premier long métrage: »Emek », diffusé dans les salles en Israël depuis un mois.
»La violence ne nait pas de nulle part »
Ses années de prof et d’observatrice de la jeunesse israélienne l’ont naturellement portée vers le thème de la violence chez les adolescents. »J’ai mis à profit mon expérience pour écrire le scenario, mais j’ai aussi rencontré des professeurs, des assistantes sociales. Je me suis portée volontaire dans l’association qui s’occupe des jeunes de Migdal Haemek. J’y ai filmé des moments, j’ai enseigné le cinéma dans les écoles pour être encore au plus près de cette jeunesse dont je parle ».
Ce travail de fond et de terrain explique l’authenticité que l’on trouve dans le film de Sophie Artus. On y découvre l’histoire de trois adolescents – deux garçons et une fille – confrontés à la violence qui les entoure, dans la rue, à la maison et à l’école. A travers les parcours de vie de Josh, Linoy et David, Sophie Artus nous délivre un message profond. »La violence qu’elle soit verbale ou physique n’arrive jamais soudainement, elle a des origines, elle fait son chemin. Ce qui me touche toujours c’est que l’on soit surpris quand on assiste à une bagarre entre deux jeunes. Mais il y a toujours une histoire derrière ces comportements ».
En effet, Emek montre bien la souffrance qui peut se trouver derrière un adolescent violent. Sans jamais légitimer cette violence, le film dénonce l’atmosphère qui est créée dans certaines familles, dans certains lieux et qui amène inexorablement a des attitudes extrêmes et non contrôlées.
Emek, c’est aussi une histoire d’amitié à l’épreuve de ces actes.
Le film de Sophie Artus est touchant dans sa sincérité: »On a pu dire que certaines scènes étaient dures. Mais en réalité, c’est la tension qui sous-tend ces passages qui crée ce sentiment. Je pense qu’il est impossible de faire un film sur la violence des jeunes sans transmettre cette tension ».
Emek énonce-t-il des problèmes spécifiques à la jeunesse israélienne?
»J’ai été dans beaucoup de festivals à l’étranger. Partout, le film a donné lieu aux mêmes réactions. Ces problèmes parlent à tout le monde et concerne tout le monde. La violence n’est pas propre à la jeunesse israélienne. Ceci étant, il est clair que le film montre aussi des éléments typiquement israéliens. Les jeunes ici misent tout sur l’armée, un garçon qui se voit refuser l’entrée dans une unité d’élite le vit souvent très mal, par exemple. Bien entendu, la société israélienne est génératrice de facteurs qui rajoutent à la violence de sa jeunesse ».
La réalisation de ce film vous a-t-elle rendu pessimiste sur la jeunesse?
»J’ai pris conscience de beaucoup de problèmes. Les jeunes ne sont pas responsables de cette situation. En fait, mon pessimisme vient plutôt de l’absence de prise en charge de ces adolescents, ce qui les conduit inexorablement et contre leur gré, dans un cycle de violence. L’école termine bien souvent à 13h et certains parents n’ont pas les moyens de payer des activités à leurs enfants, ces derniers sont alors livrés à eux-mêmes. Ces jeunes ne se projettent pas dans la vie, ils ont le sentiment d’avoir un avenir bloqué. Par ailleurs, le personnel enseignant n’est pas assez soutenu, pas assez préparé et parfois même culpabilisé ».
La jeunesse c’est aussi ces acteurs que Sophie a rencontrés en réalisant ce long métrage. »Tous sauf un participait à leur premier long métrage. Le travail avec eux a été une expérience formidable. Ils ont fait preuve d’un dynamisme qui se voit à l’écran. Ces jeunes comédiens se sont totalement investis dans leur rôle, ce qui rajoute à l’authenticité du film ».
Sophie aimerait que son film serve de support pédagogique dans les écoles, »afin », espère-t-elle, »que les adolescents comprennent la dangerosité de la violence depuis les mots ».
En effet, elle déplore le fait que le sujet soit encore tabou: »On ne parle pas assez de ce phénomène, on en a honte, on en a peur et c’est dommage ».
Un succès qui montre l’importance du sujet
Le film Emek a été présenté dans différents festivals à travers le monde et y a été récompensé. »C’est évident que l’on espère cela quand on réalise un film », confie Sophie, »Un film cela représente beaucoup de travail, plusieurs années même. Je suis heureuse d’avoir reçu le soutien du Keren Hakolnoa. Quand je pense à mon parcours, je suis consciente que ce succès n’était pas gagné d’avance ».
Aujourd’hui Sophie a déjà des projets en tête pour de prochains longs métrages qui devraient aussi parler de phénomènes de société. »Il s’agira d’un thème complétement diffèrent mais qui traitera aussi de social », conclut-elle.
Gageons qu’elle saura une fois encore toucher la sensibilité du public qui s’identifie aux problèmes qu’elle évoque et qui cherche certainement par ce biais aussi une solution ou du moins une compréhension des phénomènes qui l’entourent.
Guitel Ben-Ishay