Eliette Abécassis, écrivain, philosophe, scénariste mais aussi femme juive engagée et habitée par des passions, des convictions et des doutes, nous livre son message.
Propos recueillis par Béatrice Nakache
Eliette Abécassis, vous êtes écrivain, philosophe, scénariste, et vous publiez aujourd’hui un nouveau roman chez Grasset, « Nos rendez-vous« , l’histoire d’une passion amoureuse entre deux personnages qui se perdent de vue et se retrouvent plusieurs fois, tout au long d’une période de trente ans. Se dégage de ce livre une certaine forme d’espoir, y exprimez-vous une vision optimiste de la vie qui vous est personnelle ?
C’est un livre d’espoir dans la force des sentiments, dans l’amour, malgré les obstacles qui peuvent exister. Autrefois, ça pouvait être la famille, ça pouvait être des mariages arrangés, mais aujourd’hui, c’est peut-être tout simplement la vie qui est le plus grand obstacle à l’amour. Dans la vie on prend parfois des chemins différents, des bifurcations qui nous entraînent dans un couloir de dix ou vingt ans. Néanmoins l’amour demeure malgré tous les obstacles. En fait j’ai simplement voulu écrire une belle histoire d’amour et c’est un livre optimiste, sur le désir qui perdure malgré le temps, envers et contre tout.
[ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Vous avez publié dans le recueil un couple, une ville, une nouvelle, le fiancé de Jérusalem. On comprend, dans ce texte qui raconte aussi une histoire de séparations et de retrouvailles, que vous connaissez plutôt bien Jérusalem où se déroule une histoire qui s’assimile un peu à celle de votre roman.
Ce qui est vrai, c’est que Jérusalem fait vraiment partie de ma vie, je m’y rends très fréquemment, plusieurs fois par an même. J’y suis allée lorsque j’étais adolescente pour la première fois avec l’école, je suis restée trois semaines au kibboutz et ensuite j’ai servi comme volontaire à la Gadna. Là j’ai eu un véritable coup de foudre pour Jérusalem.
Pour moi, c’est une ville tout à fait unique, dans laquelle on se sent bien. On a l’impression d’être arrivé quelque part. Il y a comme un sentiment d’accomplissement. On se dit : c’est là que j’ai la sensation d’exister pleinement. Et puis il y a cette lumière bien spécifique, tout au long de la journée, qui n’appartient qu’à cette ville.
Dans votre vie, la passion a toute son importance, car j’imagine que vous ne feriez pas ce que vous faites sans en être habitée. Si vous deviez choisir entre une vie passionnée et chaotique, et une vie sans passion mais stable que choisiriez-vous ?
C’est vrai que je préférerais une vie passionnée et chaotique avec beaucoup d’intensité. C’est Rainer Maria Rilke qui enseigne à un jeune homme dans « Lettre à un jeune poète » à devenir un artiste, en lui conseillant de franchir le pas et de se lancer dans une carrière d’écriture, et en fait c’est un message adressé à tout homme de devenir l’artiste de sa vie, de faire de chaque moment un moment intense et de vivre pleinement les choses.
Est-ce que c’est compatible avec une vie rangée, des responsabilités, une famille ?
Je pense qu’on peut arriver à mener les deux si on arrive à ritualiser, à sacraliser certains moments. La question n’est pas comment on vit ce que l’on vit, mais la façon dont on va organiser sa vie, pour mettre du sacré dans sa vie.
Votre personnage féminin, Amélie, est plutôt anticonformiste. Vous identifiez-vous à ce personnage sur cet aspect ?
Oui, dans la mesure où elle consacre sa vie à la lecture, à l’imaginaire, et puis elle possède cet idéalisme, cette volonté de croire à l’amour. En cela, j’ai en effet quelques points communs avec le personnage.
Grâce à Facebook vos deux personnages, Amélie et Vincent se retrouve finalement. Peut-on en déduire que les réseaux sociaux peuvent avoir du bon finalement, ou sont-ils dangereux ?
En fait, les deux. Cela peut avoir du bon, car ici les deux personnages finissent par se retrouver. Et en fait il se perdent de vue à cause du téléphone de l’époque. Ils avaient cette espèce de téléphone qui était branché au mur et dont on tirait le fil jusque dans sa chambre pour passer des coups de fil en privé. Finalement il n’y a pas de portable donc ils se perdent de vue et ils se retrouvent par le biais de Facebook puis Instagram. Donc c’est formidable cette facilité des rapports humains par les réseaux sociaux. Mais après, c’est toute la problématique de l’homme et de la machine. C’est comme le Maharal de Prague qui, lorsqu’il a créé le Golem, et que le Golem s’est retourné contre lui, a été obligé de le désactiver. Donc il faut arriver à maîtriser cette machine infernale qui prend possession de nous et peut nous apporter autant de bienfaits que de désastres.
Dans le roman vous décrivez un Paris mythique, poétique, le charme des différents quartiers, c’est une invitation à la promenade. Ressentez-vous toujours le Paris d’aujourd’hui de la même façon ?
Oui je trouve que Paris dégage un charme incroyable. C’est une ville très contrastée, de quartier en quartier, et entre chaque quartier il y a tout un univers, tout un monde que j’aime beaucoup. Il y a une géographie amoureuse aussi car dans »Nos Rendez-vous » on part du Quartier Latin et de La Sorbonne, et l’on revient au Quartier Latin et à ses anciennes amours, là où tout a commencé, et c’est un quartier que je connais très bien pour y avoir fait mes études puis pour y avoir habité.
Eliette Abécassis vous êtes engagée dans un certain nombre d’associations, dans la défense du droit des femmes et des enfants, que pensez-vous en tant que juive de la place de la femme dans le judaïsme ?
C’est un sujet essentiel je pense, car c’est par la femme que se transmet le judaïsme et il y a beaucoup à faire mais dans le cadre même du judaïsme orthodoxe, afin que la femme puisse avoir accès à l’étude, et pour résoudre cet horrible problème de Guet qui reste finalement une répudiation. Il faudrait trouver des solutions halakhiques pour remettre un peu la femme au centre de la vie juive. Je trouve qu’elle n’a pas la place qu’elle devrait avoir, et qu’il y a beaucoup de misogynie dans les institutions juives.
Vous êtes la fille d’Armand Abécassis, écrivain, philosophe, spécialiste de la pensée juive, suivez-vous la lignée de votre père dans votre façon de concevoir le judaïsme ? Faites-vous partie de ses élèves ?
Oui j’étudie avec lui depuis toujours, ses cours de Talmud à l’Alliance sont absolument exceptionnels. Son judaïsme est à la fois pratiquant et extrêmement ouvert. Mon père vient de publier un livre qui s’appelle « Jésus avant le Christ », et il y fait toute une analyse des prières de Jésus et de ses paroles en montrant que c’était un vrai rabbin. Donc mon père est quelqu’un qui est très ouvert au dialogue judéo-chrétien. Il est philosophe avant tout et il a une vision philosophique du judaïsme, unique en son genre et passionnante, et qui est la mienne.
Est-ce difficile d’être la fille d’une telle personnalité ? Comment le vivez-vous ?
Je pense que c’est plus facile pour une fille que pour un fils et justement ce qui est problématique quand on a un père qui a un tel charisme, c’est d’arriver à vivre sa vie sentimentale. Mais dans l’accomplissement personnel et dans la transmission intellectuelle, c’est une richesse et une chance incroyable d’avoir cette grande figure comme père.
Vous avez écrit en 2015 un roman intitulé « Alyah », à une période où s’enchainait les attentats antisémites en France. Depuis les choses ne se sont pas arrangées…
Non, je dirais même que c’est une catastrophe. Je pourrais écrire la suite de ce roman. Parce qu’aujourd’hui, avec le non-jugement de l’assassin de Sarah Halimi, je dois dire que je suis effondrée. Et autant dans « Alyah » il y avait encore cet amour de la France, autant là je dois dire que je perds espoir parce que quand la justice en vient à ne plus condamner un assassin antisémite, là on peut vraiment dire, comme Zola, que « c’est une société en pleine décomposition ». C’est très grave ce qui vient de se passer.
Et vous personnellement, envisagez-vous l’alyah ?
Eh bien je l’envisage tellement, à chaque instant ! Il faut trouver le moyen de partir mais c’est sûr que l’idée de l’Alyah demeure présente. Parce qu’Israël est dans mon cœur et dans ma vie et j’y vais très souvent.
Et pour vos enfants aussi ?
C’est vrai que lorsqu’on est juif en France, on ne voit plus tellement d’avenir pour les enfants. Non pas seulement à cause de l’antisémitisme de banlieue, islamiste et musulman, mais lorsque cet antisémitisme n’est pas condamné par les lois de la République alors là effectivement il est temps de faire ses bagages. Bien sûr idéalement il ne faut pas faire ses bagages pour fuir, il faut partir parce que tout simplement on aime Israël, et parce que c’est la patrie des Juifs.
Propos recueillis par Béatrice Nakache
[/ihc-hide-content]