LPH s’est rendu, à Jérusalem, dans les locaux d’une association qui s’adresse aux femmes et aux jeunes filles: El Halev.
Créée par Yeoudit Sidikman, américaine d’origine, en 2003, cette structure a pour slogan le fait que chaque femme depuis son plus âge a le droit d’apprendre à se défendre seule.
Une question d’éducation
Les statistiques sont claires: les victimes d’attaques verbales, physiques, sexuelles sont en majorité des femmes et les agresseurs sont en majorité des hommes.
Les violences faites aux femmes sont un sujet de société qui préoccupe les populations du monde occidental. On ne peut plus dire qu’elles soient passées sous silence, ou du moins, pas de façon généralisée. Mais que fait-on pour y apporter des solutions?
Yeoudit Sidikman a subi une violence économique de la part de son mari. Avec quatre enfants et le 5e en route, elle décide de mettre un terme à cette relation nocive. Elle découvre alors le judo et c’est en plein vol vers un congrès dédié aux arts martiaux pour femmes qu’elle rencontre Jane. Cette dernière est assistante sociale et pratique le karaté. Elles sont les deux seules à avoir commandé un repas cacher dans l’avion! Le contact se noue et elles décident de faire leur alya pour créer en Israël, une structure pour les femmes où l’on enseignerait l’auto-défense.
“Les arts martiaux sont un mode de vie”, nous dit Yeoudit. “Ils sont un système de valeurs qui ne se limite pas aux heures de cours. Par ailleurs, la philosophie derrière ces pratiques se rapproche beaucoup du judaïsme; en ce sens que les maîtres restent toute leur vie des élèves”.
Pour Yeoudit et Haguit, la directrice de l’association, l’auto-défense est indispensable pour affronter le quotidien. “Vous apprenez à vos enfants à nager pour qu’ils sachent se débrouiller dans l’eau. Mais la plupart du temps, ils ne sont pas dans l’eau! Que faites-vous pour qu’ils soient protégés?”, demande Haguit.
Et Yeoudit renchérit: “Il existe deux façons de ne pas se noyer: ne jamais entrer dans l’eau ou apprendre à nager. Pour se prémunir des attaques verbales et physiques, il n’y en a qu’un: apprendre à réagir, parce qu’il n’est pas envisageable de se retirer de toute relation humaine”.
Pour elles, les filles ne sont pas assez préparées. Yeoudit nous dit qu’elle constate que souvent on éduque les garçons à être des “hommes” en ne cédant pas, en étant intransigeant, alors qu’à l’inverse on aura tendance à apprendre aux filles à être davantage dans l’empathie et dans le don. ”Je ne dis pas que ces valeurs sont mauvaises, je dis juste que l’on ne doit pas faire de différence dans notre éducation. De la même façon, je suis convaincue, qu’une fille à qui on aurait enseigné les arts martiaux ou n’importe quel sport depuis son plus jeune âge et avec les mêmes exigences qu’un garçon, serait à un niveau identique que le garçon à l’âge adulte. C’est un mythe de penser que les hommes sont prédisposés”.
Et la directrice Haguit ajoute: ” Il est prouvé que la maitrise des techniques d’auto-défense est le meilleur moyen de se préserver des menaces potentielles. Je suis certaine que si on donnait des cours à toutes les filles depuis leur plus jeune âge, il y aurait beaucoup moins de situations inconfortables voire dangereuses pour les filles. La plupart du temps, elles ne savent pas comment réagir. Il y a beaucoup de moyens de se défendre même lorsque l’on n’est encore qu’un enfant. Les femmes occupent aujourd’hui des postes importants dans le monde du travail, mais sur le plan de la sécurité personnelle et de l’auto-défense, elles sont encore insuffisamment préparées”.
Pour Haguit, l’auto-défense est comme une formation aux premiers soins d’urgence: “Il s’agit de prévention mais cela peut aussi éviter que des situations à risque n’empirent voire sauver des vies”. Et dans ce cas, il est normal que les femmes puissent en profiter aussi. Or avant 2003, il n’existait pas d’association pour les sports de défense dédiée aux femmes et jeunes filles.
Pour les femmes, par les femmes
El Halev propose un cours mixte parmi tous les cours et hougim mais le principe qui prévaut est que les femmes ne sont pas moins compétentes pour enseigner ces disciplines. ”C’est aussi une façon d’offrir une opportunité professionnelle aux femmes qui excellent dans ce domaine et veulent transmettre leur savoir”, insiste Yeoudit.
Taekwondo, judo, karaté, kung fu, boxing,…, El Halev propose tous les cours possibles. ”Nous laissons aux femmes et aux jeunes filles la possibilité de goûter à tout et de choisir ce qu’elles estiment leur correspondre le mieux”, précise Haguit.
Ce sont 260 femmes qui viennent s’entrainer chaque année et pendant l’été des kaytanot pour les enfants attirent encore 300 personnes supplémentaires.
“El Halev est une association qui croit que chaque femme et chaque enfant a le droit de savoir se defendre, physiquement et verbalement. Depuis le gan hova déjà nous prenons les petites filles et nous adaptons nos cours en fonction de l’âge et des besoins”.
Yeoudit attire notre attention sur un passage des Pirké Avot qu’elle garde toujours dans un coin de sa tête: ”Si je ne suis pas pour moi alors qui le sera?”. Pour elle, c’est une injonction aussi à savoir se défendre. Et cette capacité doit également servir à aider son prochain.
Le corps et l’âme
Haguit, tout en nous guidant dans les différentes salles d’entrainement, nous affirme: “Ce que nous faisons ici, ce n’est pas simplement une activité physique. Nous travaillons ici le corps et l’âme. Le fait de préparer le corps donne une tranquillité d’esprit”.
Faut-il apprendre la défense ou l’attaque? Cette question nous intrigue. Yeoudit propose de trouver un équilibre plutôt que d’opposer ces deux notions: ”C’est une question de rapport de forces”, nous dit-elle, ”Nous devons posséder un ensemble d’outils pour être dans les conditions optimales afin de décider de la meilleure réaction possible au cas par cas”.
Ainsi, le processus qu’elles enseignent se décline en plusieurs temps: réflexion, parole ou cris, fuite ou confrontation. ”L’objectif est de maitriser toutes les situations en neutralisant le danger et avec le moins de violence possible. La réponse doit toujours être mesurée et juste avec un bon contrôle de ses émotions. C’est ce que nous enseigons”.
Elle poursuit: “Je pense que tout le monde a été confronté à des situations menaçantes. Les hommes sont mieux préparés. Les femmes aussi doivent avoir en mains, les moyens de se défendre. Déjà la parole, parfois même les cris, la force de manifester sa désapprobation face à certains comportements, est un premier outil pour se défendre. Une femme qui n’a pas les outils physiques pour se defendre n’aura même pas le courage de parler ou de crier de peur que la situation ne s’envenime et de se retrouver démunie”.
La dernière étape que Yeoudit et ses équipes enseignent est l’importance après avoir subi une attaque verbale ou physique, de raconter. “Si j’ai vécu quelque chose de désagréable, même si j’ai pu me défendre, j’ai le droit de recevoir un soutien. Nous voulons apprendre aux enfants et aux femmes, qu’il est important de raconter et que la société les écoutera sans les juger”.
El Halev est aussi un centre d’appel et propose des cours de soutien pour les victimes d’agressions sexuelles. “85% des cas de violences sur les femmes sont le fait d’hommes qui sont proches, famille, voisins, collègues, amis, ce qui ne facilite pas la libération de la parole, pourtant indispensable”, précise Yeoudit.
“Nous ne disons pas que chaque homme est une menace potentielle. Mais la majorité des actes de violences sont le fait d’hommes. Les medias, la société tendent à présenter les actes de femmes et leur façon de s’habiller comme responsables des problèmes. C’est pour cela que nous sommes là, pour leur apprendre à dire non et à ne pas se sentir obligées d’adopter certains comportements pour éviter les ennuis”, conclut Yeoudit.
El Halev veut construire une société plus sûre, plus à l’écoute pour toutes et tous.
Pour plus de renseignements:
Tel: 02-6781764
Site internet: www.elhalev.org
Avraham Azoulay