Nous avons observé les effets bénéfiques de la musique vivante, en l’occurrence le violoncelle, dans une chambre de malade au moment des soins douloureux.
Il se trouve que les vibrations acoustiques du violoncelle sont les plus proches de la voix humaine.
Musique de chambre
Elle officie à l’hôpital parisien Sainte-Périne, un établissement classé depuis vingt ans « centre de référence pour la douleur chronique et les soins palliatifs ». Après des études de violoncelle au conservatoire de Moscou, une maîtrise de philosophie à la Sorbonne et un diplôme universitaire d’art thérapie de la Faculté de médecine de Tours, Claire Oppert est à l’origine du « pansement Schubert », une technique au bilan éloquent : une atténuation de la douleur de 10 à 30 %.
Propos recueillis par Salomé Touitou
Qu’est-ce que le “pansement Schubert” ?
Dans l’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) où j’intervenais, il y avait une patiente atteinte de démence. La morphine n’avait aucun effet sur elle : elle hurlait, mordait, elle était inapprochable. Et j’ai eu l’idée de jouer pour elle le mouvement lent du 2e Trio de Schubert. Immédiatement, elle a été apaisée, soulagée. A ce moment-là, la musique de Schubert a opéré comme un miracle, la patiente a donné son bras en 3 secondes et s’est laissé soigner. Je suis revenue plusieurs fois dans la semaine pour qu’on lui administre ses soins.
Comment en arrive-t-on à poser son violoncelle dans une unité de soins palliatifs ?
Depuis toute petite, j’ai toujours aimé et cherché à jouer dans des lieux éloignés des salles de concert et leur mondanité. Dès 14 ans, j’ai joué pour les personnes âgées, puis plus tard, dans les prisons. J’ai aussi travaillé pendant 7 ans avec Howard Buten, un merveilleux clown psychologue et écrivain, auteur de ‘Quand j’avais cinq ans je m’ai tué’, qui dirigeait un centre pour jeunes autistes profonds. Nous y avons établi des chemins de communication. Je me suis rendu compte que la musique, et particulièrement la voix du violoncelle, atteint une personne quelles que soient sa pathologie, sa souffrance, son état, au plus profond d’elle-même.
Puis lors d’un stage dans un hôpital parisien, un chef de service très ouvert m’a ouvert les portes de toutes ses chambres pour ce travail qui s’est avéré être ma juste place.
Le violoncelle est-il un instrument de prédilection pour ce travail ?
Il se trouve que les vibrations acoustiques du violoncelle sont les plus proches de la voix humaine. Son timbre est très chaud, puissant, il induit un champ de vibrations sonores très profondes qui fait dire aux patients qu’ils ont l’impression que c’est une voix sans mots. Il épouse plus rapidement, plus intensément, le contenu de leur vie émotionnelle.
En quoi consiste votre intervention ?
Nous avons observé les effets bénéfiques de la musique vivante, en l’occurrence le violoncelle, dans une chambre de malade au moment des soins douloureux. Quand le violoncelle résonne au moment de la douleur induite par les soignants, l’anxiété et la douleur diminuent. Différents facteurs entrent en jeu, mais la musique opère un détournement de l’attention chez le patient, qui au lieu de hurler et de se crisper, va, dans la majorité des cas, écouter la musique, chanter, diriger, sourire. Cela a d’ailleurs été étudié d’un point de vue cérébral : l’influx douloureux va être diminué, voire stoppé, par l’influx de plaisir alors instauré par l’apport de la musique. Les patients se sentent plus accompagnés, plus détendus. Une circulation énergétique de bien-être se crée entre le patient, le soignant et l’art-thérapeute.
La discipline fait-elle son chemin dans les institutions médicales ?
Nous assistons à une ouverture vers ce type d’approche dite non médicamenteuse. J’ai travaillé pendant 5 ans dans un Ehpad et nous nous sommes rendu compte que la pratique de la musique, telle que je la faisais avec des groupes, alliée à la poésie, la peinture, la danse – je faisais danser 10 patients grabataires avec des foulards -, tout cela contribuait, d’une part, à des manifestations de joie, d’énergie, de reprise de motricité, mais aussi de récupération de la mémoire. Une diminution infime, mais réelle, et à une nette diminution de la prise de médicaments. Les médecins ouverts se rendent de plus en plus compte de cette possibilité. Le problème restant toujours le financement. Beaucoup d’études sont engagées pour montrer les effets bénéfiques de la musique sur les personnes en souffrance.
Vous parlez de mémoire, comment expliquer que la musique s’imprègne autant dans notre cerveau ?
Il existe différents types de mémoires répertoriées par les spécialistes. La mémoire profonde est réactivée dans le champ de la sensorialité. Des patients qui n’ont plus leur tête sont capables de retrouver des mélodies d’enfance, et parfois même les paroles, alors que leur langage est tout à fait incohérent. Cela montre qu’il y a une activation dans le champ sensoriel qui provoque une réactivation dans des zones du cerveau plus sophistiquées. Le moteur du soin – on parle ici de soin, et non de guérison – c’est donc cette revigoration qui prend ses racines dans des ressentis archaïques.
La relation avec les anciens est-elle moins forte en Europe que sur d’autres continents ?
Dans les sociétés occidentalisées et de plus en plus matérialistes, il existe une peur existentielle de la mort, qui est alors de plus en plus gommée. La mort, c’est l’échec absolu de la médecine. Dans le cadre des soins palliatifs, la mort devient une démarche intégrée à la vie, où l’on respecte la personne jusqu’au bout, on la considère comme un vivant dans toutes ses dimensions. Ce soin que l’on apporte consiste en un accompagnement ultime dans une société qui rejette la mort assez puissamment. Les sociétés qui témoignent plus de respect des anciens, sont la marque d’une civilisation plus au cœur de ses racines.
Qu’en est-il en Israël ?
Je n’ai pas encore de recul sur ce qui se passe en Israël mais je suis ravie de le découvrir. J’ai été invitée dans de nombreux pays, comme au Japon. Il existe certes des différences dans l’approche culturelle, mais au fond, l’humain reste l’humain, et les réactions, les demandes, les relations, restent similaires quelle que soit la partie du globe dans laquelle on se trouve.
Il s’agira de votre premier séjour en Israël ? Qu’est-ce qui le motive ?
Oui, c’est mon premier séjour et c’est un immense bonheur que de découvrir ce pays dans lequel je rêve d’aller depuis de nombreuses années. J’avais rencontré Daniel Azoulay qui dirige l’hospice des soins palliatifs de l’hôpital Hadassah Har Hatsofim lors d’un congrès mondial de soins palliatifs qui se tient à Montréal tous les 2 ans et rassemble des milliers de participants issus de 60 pays différents. J’avais été invitée à communiquer sur mon travail et à donner un concert basé sur les paroles des patients – je jouais pendant que défilaient sur un diaporama les paroles prononcées par des patients qui écoutaient ma musique. Nous avions fait rapidement connaissance et il a eu la délicatesse de m’inviter pour les 30 ans de l’hospice qu’il dirige, un événement dans le cadre duquel je vais venir présenter mon travail.
N’avez-vous pas envie, parfois, de quitter le milieu hospitalier pour vous consacrer uniquement aux concerts prestigieux en robes longues ?
D’abord, je n’ai jamais envie de quitter l’environnement hospitalier car c’est le lieu où je reçois le plus de grâce. Car même si les conditions sont difficiles et douloureuses, c’est l’occasion unique d’exercer mon art dans une vue différente. Par ailleurs, j’ai des robes longues et je donne pas mal de concerts ! (Rires) Au fond, je me suis rendu compte que les personnes sont les mêmes, même si la part de mondanités n’existe plus quand on est au chevet d’une personne en fin de vie, où ne subsiste plus que le sens du “pourquoi on est là”. Howard Buten, dont je vous ai parlé, disait souvent que si on lui mettait un pistolet sur la tempe pour lui demander de choisir entre être écrivain, artiste-clown ou travailler auprès des enfants autistes, il privilégierait son travail auprès des enfants autistes. Moi, avec le pistolet sur la tempe, je préfèrerais la chambre d’un malade à une grande salle de concert. Mais pour l’instant je n’ai pas de pistolet sur la tempe, et j’ai la chance de pouvoir faire les 2 !
Bonjour
Je cherche à joindre claire appert
Merci