Propos recueillis par Nathalie Sosna-Ofir. Interview parue dans Actualité Juive numéro 1662
Giorgia Meloni, cheffe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, considéré comme postfasciste, est arrivée en tête des législatives italiennes. Nommée Première ministre le samedi 22 octobre, elle a pris la tête du gouvernement le plus à droite depuis la Seconde Guerre mondiale. Que signifie ce choix ? Quelles seront les conséquences sur la vie des Italiens et sur les relations entre Rome et Jérusalem ? Des réponses avec Edoardo Secchi, président fondateur d’Italie-France et spécialiste du développement économique et de la coopération institutionnelle et culturelle avec l’Italie.
Est-ce plutôt la défaite de la gauche ou la victoire de l’extrême droite ?
Edoardo Secchi : Sans aucun doute la défaite de la gauche. D’ailleurs Giorgia Meloni n’a remporté les élections qu’avec seulement 25% des 63,9 % de votants, on ne peut donc pas parler véritablement de majorité. L’ouvrier ne se reconnaît plus dans cette gauche qui a commis de graves erreurs et qui, bien qu’elle soit issue du Parti communiste puis socialiste, n’a rien su lui proposer privilégiant, dans la mouvance mondiale, des sujets qui concernent les minorités agissantes comme LGBT ou les migrants aux dépens de la protection des ménages.
L’Italien moyen s’est senti trahi et a donc voté pour une droite qui s’est engagée à s’occuper en priorité des problèmes internes avant de faire de la politique humaniste.
La devise du parti Fratelli d’Italia est Dieu, patrie, famille. Les Italiens doivent-ils craindre des atteintes aux droits civiques – droits des LGBT, droit à l’avortement ?
E.S. : Les membres de la communauté LGBT disposent dans l’ensemble des mêmes droits que tous les citoyens. Ils peuvent se pacser mais ni se marier ni avoir recours à la PMA en Italie. Meloni ne promouvra certes pas de nouveaux droits mais ne reviendra pas sur les acquis. Quant à la famille, Meloni veut encourager la natalité, l’Italie étant le pays d’Europe qui fait le moins d’enfants. Quant à Dieu, n’oublions pas que l’Italie est un pays farouchement catholique.
On sait Meloni eurosceptique, va-t-elle cependant coopérer avec Bruxelles même si cela veut dire s’opposer à certains de ses partenaires ?
E.S. : Elle l’a affirmé prévenant cependant Bruxelles qu’elle défendrait avant tout les intérêts italiens tout en édulcorant son tropisme europhobe. Meloni sait que si elle ne suit pas Bruxelles, elle va « droit dans le mur » et devrait donc respecter les accords en restant dans l’Otan et en soutenant l’Ukraine. À moins que ses alliés comme
Salvini ou Berlusconi ne réussissent à la pousser en faveur de la Russie.
La communauté juive adopte une attitude attentiste. A-t-elle des raisons de s’inquiéter ?
E.S. : La communauté juive a toujours voté à droite et non à gauche. Bien sûr, là il s’agit de l’extrême droite mais pas la droite fasciste, celle de Mussolini, qui n’a fait qu’1%. Et puis rappelons que les actes antisémites en Italie sont infimes, il n’y a pas de culture antisémite.
Pourtant le logo du parti de Meloni – une flamme tricolore – est quasi identique à celui du MSI, parti néofasciste fondé par des individus qui ont coopéré avec Hitler et Mussolini et par lequel elle est entrée en politique. Pourquoi ne l’a-t-elle pas changé ?
E.S. : Pour ne pas perdre un certain électorat. N’oublions pas que son parti est populiste et elle n’entend pas perdre cette image même si elle cherche à minimiser ses racines néo-fascistes déclarant que la droite italienne avait relégué le fascisme à l’histoire depuis longtemps.
Quelle est sa position envers Israël ?
E.S. : Elle se présente comme une de ses ferventes partisanes se félicitant de ses liens avec le Likoud. Elle a rappelé que son parti était engagé à l’existence et à la sécurité de la seule démocratie du Moyen-Orient et annoncé qu’elle promouvra le renforcement de la coopération avec l’État hébreu, notamment autour de l’approvisionnement en gaz naturel de l’Italie par la Méditerranée orientale.
Pourtant en 2014 elle loue le Hezbollah « qui protège les chrétiens au Liban » et dénonce sur les réseaux sociaux « un nouveau massacre d’enfants à Gaza », sans toutefois mentionner Israël. Est-ce compatible ?
E.S. : Meloni était alors très jeune et s’est sans doute emballée, ce qui reste impardonnable. Mais aujourd’hui, elle a sans aucun doute pris ses distances avec une partie de la droite qui soutient les Palestiniens et le Hezbollah. En tout cas, ni l’Italie ni Giorgia Meloni ne remettront en cause l’excellente entente, à tout point de vue, entre Rome et Jérusalem.
Êtes-vous optimiste ?
E.S. : Espérons que Meloni fasse appel à des technocrates compétents afin de poursuivre les efforts de son prédécesseur Mario Draghi et choisisse le pragmatisme en ne tournant pas le dos à Bruxelles, ce qui augurerait de l’écroulement de sa coalition en quelques mois. Ce qui est sûr cependant, c’est que personne ne va aller acheter des chemises noires en Italie, cette diabolisation de la coalition de droite par la gauche italienne est inappropriée. Voyons ce que Meloni est capable de faire…ou pas.
Propos recueillis par Nathalie Sosna-Ofir
Interview parue dans Actualité Juive numéro 1662
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