Cette nuit sera un grand jour.
Au même moment, en l’an 2448, ils pensent tous à l’enfant pascal, le doux agneau venu sur terre pour donner sa vie en sacrifice suprême au D.ieu du ciel.
Aujourd’hui 5777, je réunis tous mes enfants d’Itzhak pour mener le plus grand combat contre la fermentation du temps. L’opération “déhametisation” sera acharnée et sans pitié. La bédika sera le couronnement symbolique de toute une servitude familiale. La bougie aura raison des derniers vestiges du hametz, retranché derrière les meubles et réduit en miettes. Le soulagement se lit sur le visage fatigué de la maîtresse de maison. Le combat fut rûde mais la bataille est gagnée. Les hommes libres ne marchent plus à la baguette. Après un long siège, le dernier bastion d’Angel est tombé et l’on m’apprend que les pâtisseries sont dans le pétrin. La poursuite du hametz s’engagera comme dit la Michna jusque dans les caves de mon ivresse et jusqu’à la lie de mes pensées. Je cours derrière mon pauvre orgueil. Mon orgueil, cette enflure de pâte que je suis, je crois pouvoir le détruire en le jetant à l’eau et ainsi le liquider ou bien en le pulvérisant au gré du vent, l’air de rien, ou encore en le consumant enfin dans la paix de ses cendres. Et pourtant, la force de la Thora m’a donné le pouvoir mental d’éradiquer ce hametz par la puissance de ma pensée. L’accélération du temps à pessah c’est qu’en 18 minutes on doit être au four et au moulin car une minute de retard est fatidique pour fermenter un zèle peu empressé. C’est le seul jour où contrairement à l’habitude je sens que tous les juifs sont “besseder”.
Le soir de la différence tombe sur Jérusalem. Accoudés sur les poufs autour de notre table basse, je lis dans les yeux des enfants l’étonnement amusé au moment où le haut plateau, portant les ingrédients de nos tribulations danse sur nos têtes. Il est temps de lancer la compétition des quatre coupes et se soumettre à la question.
La haggadah nous annonce que la Thora a quatre sortes d’enfants comme chaque papa. Trois d’entre eux disent ce qu’ils sont et le quatrième est ce qu’il ne dit pas.
Le Coquin (Noudnik), mon premier, qui veut passer à table avant le rituel ne sait pas que pour goûter à la liberté il a fallu trimer comme des esclaves et qu’on n’apprécie la douceur qu’après avoir bu l’amertume. Comme chaque année je lui ai réservé un rendez vous chez le dentiste au lendemain de pessah. Son désarroi grandit lorsqu’il voit Sapience, mon deuxième fils, malgré la faim qui le tenaille chercher à comprendre la différence entre une loi, un décret et un statut. Je lui réponds que ce triptyque législatif répond aux exigences du corps, de l’esprit et de l’âme.
Mon troisième fils, Candide, affiche une naïve surprise:”mais que se passe- t- il?”. Fraîchement débarqué des sables brûlants d’Eilat, pour lui le séder c’est d’avoir tout sur un plateau. Je lui réponds en soulevant le “zeroa ” qu’on attend ce soir le bras étendu de D.ieu sur tous les pharaons de la terre.
Mon quatrième fils c’est Bouche Bée le plus sensible de tous il n’a pas desserré les lèvres c’est dans son cœur qu’il chante la haggadah. Sa question est dans ses tripes. Je lui sers ma réponse comme sur un plateau pédagogique. Il mâche consciemment le marror sans s’accouder et finit par me dire:” cette année, le marror a le goût de Gouch Katif”. Mon adorable Bouche Bée, il ne pose jamais la question dont papa n’a pas la réponse, surtout lorsqu’il m’a vu tremper le céleri dans les eaux salées de mes larmes. L’ombre de Dotan plane sur les palmiers de Neve Dequalim et obscurcit mes yeux embués. Prendre la porte ce n’est pas sortir.
Moïse l’héroïque absent de notre haggadah nous l’enseigne. En refusant les droits d’auteur pour laisser au D.ieu des esclaves le soin exclusif d’une belle sortie sans honte.
Bientôt minuit l’heure de l’afikoman va sonner, soudain la porte s’ouvre. Il entre. Il n’a pas besoin de toquer pour rentrer à la maison. C’est Pascal, mon exilé de fils, le cinquième, mon doux agneau, il en a marre de travailler dans le musée égyptologique. Il est enfin sorti. Il est accompagné d’un ami qu’il me présente :”c’est Eli, mon copain.”
Alors toute la famille d’Israël lève la quatrième coupe et chante les louanges du Hallel.
Rav Yaakov Guedj