En l’espace d’une seule semaine, près de vingt-quatre ans après notre alyah, j’ai pris à nouveau conscience du bonheur de vivre en Israël. Cette fois, c’est précisément mon milieu professionnel qui aura réveillé un tel sentiment. Un milieu high-tech qui, a priori, affiche le même rythme endiablé que partout ailleurs dans le monde : la pression d’impossibles échéances calendaires, les surprises qui apparaissent en plein milieu du développement d’un nouveau produit, la négociation avec un client difficile et les longues journées de travail avec des ressources limitées en moyens et en personnel.
Et puis, soudain, au travers de quelques instants seulement, au cas où par hasard nous l’aurions oublié, nous ouvrons les yeux : c’est bien ici en Israël, pour ainsi dire à la maison, au sein de notre grande famille, que tout cela se passe. Parfois, malheureusement, lorsqu’une terrible nouvelle circule : la jeune soldate héroïne qui a sacrifié sa vie à Jérusalem pour s’opposer à un terroriste palestinien et, par là-même, empêcher un très grave attentat, n’est autre que la sœur de la secrétaire de notre département.
Ailleurs cependant, « pointent des lumières » – pour reprendre les termes du Rav Adin Éven-Israël Steinsaltz – au beau milieu de la routine, à la faveur d’épisodes de la vie quotidienne, semble-t-il des plus innocents.
Le premier intervient dans le cadre de la visite d’un général allemand, d’une importance cruciale pour le gain d’un contrat. C’est à moi que revient le rôle de lui présenter des arguments convaincants. La préparation de mon exposé demande plusieurs jours de travail dans cette atmosphère de pression évoquée précédemment. Mais le plus bel encouragement que je reçois me vient de la manière la plus inattendue. Un de mes collègues ingénieurs, authentique sabra et qui – c’est le moins que je puisse écrire – ne se distingue ni par sa ferveur ni par sa pratique religieuse me confie : « Mes grands-parents, originaires d’Allemagne, ainsi que toute leur famille, ont douloureusement traversé l’époque de la Choa. Qu’un juif religieux comme toi, fièrement coiffé de la kippa et portant la barbe, s’en aille présenter un exposé à un officier allemand en uniforme m’émeut terriblement, jusqu’au plus profond de mon être… ». L’expression d’une telle émotion ne vient-elle pas confirmer l’existence de cette cinquième dimension, de ce noyau intime de l’âme juive enfoui en chacun de nous, quelles que soient les apparences ?
Le deuxième épisode a trait à l’un des nombreux mynianim organisés dans l’enceinte de mon lieu de travail. Je prie chaque matin dans un mynian avec des gens de ma division. Ne nous y trompons pas : la force de l’habitude, la répétition quotidienne de la téfilla, les problèmes du travail qui occupent notre tête et nous attendent juste après ne favorisent pas toujours la meilleure concentration. Ce jour-là, je devais rompre la routine et aller prier dans un mynian organisé par les employés à la production. Me voici tout d’un coup plongé dans une prière empreinte de ferveur peu commune, suivant scrupuleusement le rite séfarade, que les soucis professionnels ne semblent en rien déranger. Et c’est à mon tour de m’émouvoir jusqu’au plus profond de mon être !
Un milieu professionnel comme partout ailleurs dans le monde, écrivais-je précédemment ? L’on serait presque tenté de le croire, jusqu’à ce que de tels instants, fussent-ils des plus brefs, vous font prendre conscience, grâce à D-ieu, du bonheur de vivre en Israël. Difficile bonheur, s’il m’est permis de paraphraser une expression d’André Néher, ou simple bonheur ? À chacun d’en décider.
M.A., Jérusalem Adar I 5776