Le Dr Yossef Charvit est professeur à l’Université Bar-Ilan au sein du département d’Histoire juive. Il a fait de la diaspora séfarade et des Juifs en terre d’Islam depuis l’expulsion d’Espagne son domaine de prédilection. Au lendemain des déclarations de Binyamin Netanyahou sur le rôle du Mufti de Jérusalem dans l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, le Dr Yossef Charvit a tenu à réagir. Selon lui, malgré le manque d’exactitude « embarrassante » au regard de l’initiateur de la Shoah, le Premier ministre a mis l’accent sur le nazisme musulman, que l’historiographie n’évoque pas suffisamment.
Le P’tit Hebdo : Binyamin Netanyahou a-t-il énoncé une contre-vérité devant le Congrès sioniste ?
Dr Yossef Sharvit : Ses propos manquaient d’exactitude. Hitler a parlé de l’extermination des Juifs dans « Mein Kampf ». En 1939, il prononce des discours dans lesquels il évoque cette extermination. Ceci étant, il est vrai que jusqu’en 1941, les Juifs allemands avaient la possibilité de quitter l’Allemagne, ce que certains ont fait. Mais la plupart n’avaient pas de visas ou de passeports. Le Mufti de Jérusalem a contribué à cette solution finale en suggérant au Führer de l’étendre au-delà de l’Europe vers les terres d’Islam.
LPH : Quelles étaient les relations entre Hitler et Mohamed Hadj Amin Al Husseini ?
Dr Y.C. : Quand le Mufti vient voir Hitler, il lui fait remarquer qu’il existe un bon nombre d’analogies entre l’Islam et le nazisme. Ces analogies ont été étudiées par Arie Stav, un chercheur qui dégage deux ressemblances majeures et qui nous intéressent au plus haut point pour notre sujet. La première recouvre la notion nazie d’ « Espace Vital ». L’Islam, comme le IIIe Reich, ont la volonté de s’accaparer le monde, de le conquérir. Le Djihad poursuit aussi un « espace vital ». La deuxième ressemblance est dans le statut qu’ils accordent aux Juifs. Les Juifs sont pour les nazis, comme pour les Musulmans, des êtres inferieurs. Hitler a nommé le Mufti Grupper Führer, l’équivalent de Général. Il recevait, à ce titre, un salaire mensuel de 50000 marks, il disposait d’un bureau et d’une équipe. Il a, par ailleurs, largement contribué à créer un bataillon de Waffen SS musulmans en Yougoslavie. Il faut savoir que Al Husseini était beaucoup plus célèbre dans notre région qu’Eichmann avec lequel il a travaillé, et que l’arrestation par le Mossad a permis de faire connaitre.

LPH : De quelle façon le Mufti de Jérusalem a-t-il pris part à l’extermination des Juifs ?
Dr Y.C. : Alors que les Britanniques l’ont expulsé pour sa dangerosité, il fuit au Liban puis en Syrie. Il arrive ensuite en Irak ou il soutient un coup d’État pronazi en juin 1941. À Bagdad 180 Juifs seront victimes d’un pogrom soutenu par Al Husseini. Alors qu’il est refugié en Allemagne, il obtient l’autorisation de diffuser depuis Radio Berlin des messages en arabe, destinés au Moyen-Orient. On dénombre environ 2000 émissions de ce genre. Les Arabes de Yaffo, par exemple, écoutaient attentivement les discours du Mufti par ce biais. Systématiquement, il concluait ses interventions par « Tuez les Juifs » ! On peut s’interroger sur l’impact réel de cette propagande nazie en arabe, mais le fait est qu’au lendemain de la guerre, beaucoup de massacres de Juifs en terre d’Islam sont basés sur ces discours. Ce fut le cas notamment en Lybie en 1945.
LPH : Quelles conséquences cette entente entre Hitler et Al Husseini ont-elles eu en Palestine mandataire ?
Dr Y.C. : Lorsque l’Afrika Korps de Rommel progresse en Afrique du Nord, l’angoisse est à son comble en Israël. Les Juifs s’organisent, les milices comme le Palma’h voient le jour à cette époque. Les Juifs s’abritent dans le nord du pays, c’est le programme Metsoudat Carmel. Ce n’est que la défaite de Rommel à Al Alamein qui a sauvé les Juifs de Palestine du massacre programmé.
LPH : Vous parlez d’une « presque Shoah » en terre d’Islam. Qu’entendez-vous par cette expression ?
Dr Y.C. : Les Juifs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient étaient, eux aussi, visés par le document de Wannsee, qui fixe la Solution Finale. À cela s’ajoute les coups d’État pronazis en Irak mais aussi en Iran. Il est intéressant de noter, d’ailleurs, que le nom Iran apparaît à cette période. Auparavant, cet État s’appelait la Perse. Le nom Iran a été choisi pour sa ressemblance avec le mot « aryen » et donc pour plaire aux nazis. Les Juifs étaient en danger sur toutes les terres d’Islam. La Lybie était collaboratrice parce que sous influence italienne, l’Égypte sous tutelle anglaise était menacée par Rommel ; en Syrie et au Liban, les lois de Vichy étaient en vigueur jusqu’en 1941 et le Mufti de Jérusalem a écrit son intention de créer un camp d’extermination et des fours crématoires à Emek Dotan, en Israël. Les Juifs étaient menacés de toutes parts dans le monde musulman. Al Husseini avait pour ambition de compléter le travail d’Hitler dans cette partie du monde. Ainsi, on peut affirmer qu’il y a pratiquement eu une Shoah en terre d’Islam. Ceci dit, il faut bien souligner que 90% de la population juive dans les années 1940 était en Europe et que ce sont eux qui ont été les plus lourdement touchés, évidemment.
LPH : Binyamin Netanyahou a-t-il bien fait de parler ainsi ?
Dr Y.C. : Ainsi, Binyamin Netanyhou a contribué à faire avancer l’Histoire puisque désormais plus de personnes sont conscientes de la centralité du Mufti de Jérusalem dans la Shoah. Il a mis en avant l’antisémitisme musulman qui existe en terre d’Islam depuis Mahomet. Celui-ci a déjà voulu convertir de force les Juifs d’Arabie, et face à leur refus, les a massacrés. Les Juifs ont toujours énormément souffert en terre d’Islam. Pendant la période colonialiste européenne cet antisémitisme musulman a été muselé, mais il s’est exprimé fortement dès le lendemain de la décolonisation. Des communautés juives vieilles de 2500 ont alors disparu, en l’espace de 25 ans. On estime que les Juifs des pays musulmans ont été pillés d’environ 400 milliards de dollars. C’est la propagande arabe qui veut faire croire que les Juifs et les Arabes ont cohabité dans un âge d’or.
LPH : Comment expliquer que le monde reste hermétique à ces faits et ne voit que la lutte palestinienne contre « l’occupant israélien » ?
Dr Y.C. : Il faut chercher les raisons d’abord dans le patrimoine chrétien de l’Occident qui a voulu pendant longtemps effacer Israël. Aujourd’hui c’est le subconscient collectif qui parle. Ensuite, il y a clairement un politically correct qui veut que l’on prenne le parti de celui considéré comme « le faible ». Enfin, ne négligeons pas la mauvaise conscience occidentale d’avoir laissé faire la Shoah qui serait compensée par la protection des Arabes aujourd’hui.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay