Aliza Bloch est née en Israël de parents originaires du Maroc. Titulaire d’une licence en mathématiques, d’une maîtrise et d’un doctorat du Département d’archéologie d’Israël à l’Université Bar-Ilan, elle a créé en 1991 le Département d’intégration des immigrants au Bnei Akiva. Après avoir été éducatrice et directrice adjointe d’une école à Jérusalem, elle a dirigé pendant quatorze ans une école à Beit Shemesh. En 2014, elle a été élue femme de l’année par le Faith Movement, et le 20 novembre 2018, elle est devenue maire de Beit Shemesh. Lauréate du prix Rothschild en 2011 et du prix Moskowitz pour l’éducation, la docteure Aliza Bloch, impliquée dans des activités éducatives et sociales reconnues par toutes les mouvances de la société israélienne, est un modèle de leader sioniste.
PROPOS RECUEILLIS PAR AVRAHAM AZOULAY
LPH New. Combien la ville de Beit Shemesh comptet-elle d’habitants, et peut-on dire que la diversité israélienne y est représentée ?
Docteure Aliza Bloch. Beit Shemesh est une très grande ville de plus de 143 000 habitants et qui est en expansion constante. Répondre aux besoins de chacun, orthodoxes, traditionalistes et laïques, est pour moi un défi. Il y a une grande communauté marocaine à Beit Shemesh ; mais la ville est également devenue une destination de choix pour les olim ‘hadashim français, qui s’ajoutent aux communautés venues des ÉtatsUnis et de l’ex-Union soviétique. Il est beau de voir que tous parviennent à s’intégrer dans la ville et qu’à la fois chaque communauté organise sa propre vie collective.
Quel est votre lien avec les Français de Beit Shemesh ?
A.B. J’ai une relation particulière avec les Juifs de France. Mes parents viennent du Maroc, qu’ils ont quitté dans les années cinquante pour s’installer en France. Lorsqu’ensuite ils sont montés en Israël et que j’y suis née, ils ne m’ont parlé qu’en hébreu, de crainte que je ne réussisse pas à m’intégrer ; alors, contrairement à mes grands frères qui parlent couramment français, je peux seulement le comprendre. Et j’ai aussi appris l’arabe, grâce à ma grand-mère qui ne parlait que cette langue.
Comment vivez-vous le fait d’être une femme non orthodoxe maire d’une ville comme Beit Shemesh ?
A.B. Beit Shemesh est une ville mixte, très traditionaliste – c’est d’ailleurs pour cela qu’elle convient aux Juifs de France. Les moins religieux sont quand même un peu croyants et les orthodoxes sont assez permissifs. On peut y rouler en voiture pendant Shabbat et ensuite aller prier à la synagogue, ce qui se rapproche assez de ce qu’on trouve en France. Personnellement, j’ai été émue en assistant, il y a trois ans, à un mariage à Paris, de voir l’assemblée d’environ trois cents personnes chanter le Birkat Hamazon à l’unisson à la fin du repas. En Israël, même dans un mariage où le public est religieux, les gens ne chantent pas le Birkat Hamazon ensemble, alors que tout le monde connaît cette prière par cœur.
Les débuts de Beit Shemesh ont été compliqués, n’est-ce pas ?
A.B. Effectivement, à l’époque, Beit Shemesh était le symbole des tensions et des violences. Le fait qu’on n’en entende plus parler aujourd’hui ne veut pas dire que c’est fini et que l’amitié règne entre les uns et les autres. Il y a encore des défis à relever, mais nous avons réussi à faire baisser la tension et à apaiser les inimitiés. Je pense que les gens ont compris que les disputes ne mènent à rien
Comment avez-vous réussi à enrayer les violences et à rendre la ville plus calme ?
A.B. Le plus important à mes yeux, pour limiter les tensions, était de m’efforcer de répondre aux besoins de chacun, et surtout de ne pas céder du terrain aux extrémistes. Il y a toujours ceux qui veulent déclencher des conflits pour montrer qu’ils ont raison. Moi, avoir raison n’est pas ce qui m’intéresse ; je veux du calme.
Il y a un an, la communauté orthodoxe de Beit Shemesh était au cœur de l’actualité. Comment votre ville a-t-elle traversé la période du Covid ?
A.B. Il est vrai que les ‘Haredim ont mis un certain temps à comprendre la situation – mais il ne faut pas généraliser pour autant. Rappelons que si, lorsque le Premier ministre prononce un discours à 21h, à 21h30 tous les foyers qui ont la télévision ou Internet sont au courant de ce qu’il a dit – parce que les gens ont vu le discours en direct ou parce qu’ils ont consulté un site d’information –, ce n’est pas le cas des familles orthodoxes, qui n’ont ni télévision ni smartphone. Quand on leur a soudain ordonné de fermer les synagogues et les écoles, pour eux c’était une aberration et il était donc hors de question de mettre cette mesure en application : il n’y avait pas de guerre, les gens ne mouraient pas dans la rue, et toute leur vie ont leur ainculqué que la synagogue est le lieu le plus important de la ville. Il faut aussi avoir présent à l’esprit que ce n’est vraiment pas la même chose d’être confiné avec trois enfants dans un appartement avec terrasse que d’être confiné avec une dizaine d’enfants dans un logement sans balcon – ce qui est le cas de la plupart des foyers ‘haredim, et d’ailleurs également une des raisons pour lesquelles le taux de contamination a été plus élevé chez eux. Les amener à prendre conscience de la situation et à respecter les mesures a été un processus complexe. Il a fallu mener des campagnes d’explication et de traduction, faire évacuer les personnes contaminées, trouver où en héberger… Cela a été une période très difficile pour tout le monde. Mais cette population a été dépeinte de façon injustement négative ; car il faut reconnaître que finalement, la majorité de la communauté orthodoxe s’est pliée aux nouvelles règles, malgré la grande difficulté que cela représentait. Plus généralement, les gens se font souvent une fausse image de la ville.
Beit Shemesh est-elle une belle ville ?
A.B.Tout ce que je pourrais dire ne remplacera jamais votre propre appréciation : pour savoir ce qu’il en est réellement, je vous invite donc à venir voir par vousmême ! Beit Shemesh est depuis longtemps une ville fleurie et de nombreux parcs y valent le détour. Il y a bien sûr toujours de la marge pour mieux faire, mais nous sommes loin de la densité de Bnei Brak.
À l’intérieur de la ville, les quartiers sont-ils séparés ou bien les communautés vivent-elles mélangées les unes avec les autres ?
A.B. Il y a des quartiers plutôt orthodoxes et, en parallèle, des quartiers plutôt non religieux, mais il y a également des endroits complètement mixtes.
La ville a-t-elle connu des tensions dues à l’absence de gouvernement ?
A.B. Pas vraiment, et je pense que c’est parce que les gens sont fatigués de la politique, après quatre élections en deux ans… La Mairie a eu beaucoup de mal à fonctionner convenablement, parce que nous avons besoin de construire et de rénover, mais sans gouvernement nous n’avons pas eu de budget. Dans cette situation, il a été très difficile de gérer une ville en développement comme Beit Shemesh. À mes yeux, chaque instant sans gouvernement est une catastrophe pour Israël. Nous avons un grand besoin de budget, et j’aurais été la plus heureuse si nous n’avions pas eu besoin d’aller voter une seconde fois, ni une troisième et une quatrième ! Chaque nouvelle élection a été une nouvelle paralysie : à peine les nouveaux ministres élus commençaient-ils à intégrer leur rôle qu’il fallait une nouvelle fois retourner aux urnes – une situation impossible !
Récemment, une délégation du Maroc est arrivée à Beit Shemesh : qui a organisé cette visite, et comment se fait-il que cette délégation soit venue chez vous et non dans une autre ville d’Israël ?
A.B. En effet, une délégation de représentants arabes marocains – il y avait l’ambassadeur, le consul et un représentant du ministère des Affaires étrangères du Maroc – est venue à Beit Shemesh : des gens intelligents qui savent que Beit Shemesh est le centre du monde ! Ils sont venus pour connaître la ville et faire la connaissance de ses habitants ; ils ont discuté avec des Juifs marocains et ont, entre autres, visité une synagogue marocaine. Nous y travaillions depuis longtemps et le rav Pinto a été l’entremetteur. Ce moment à la fois très impressionnant et très émouvant a permis de réchauffer et de renforcer les relations, et de tisser des liens avec les anciens de la ville qui viennent eux-mêmes du Maroc. Cela nous a également permis d’envisager un développement de relations commerciales, ainsi que la possibilité d’un jumelage entre Beit Shemesh et une ville marocaine.
Quelques mots pour inciter les Juifs de France à s’installer à Beit Shemesh ?
A.B. Actuellement, nous nous investissons beaucoup dans le développement industriel et technologique – high tech – de la ville. Il y a déjà une présence française dans la ville et elle ne demande qu’à s’élargir.
Si vous étiez ministre de l’Éducation, quelles mesures prendriez-vous ?
A.B. Je pense que la mission la plus importante du système éducatif israélien, de la maternelle jusqu’à la douzième année, est l’éducation à la responsabilité, c’est-à-dire le développement de la capacité de l’apprenant à être un apprenant indépendant et à assumer ses responsabilités, non seulement dans ses études, mais aussi dans le respect des valeurs humaines. Un tel système éducatif fera de l’élève adulte un citoyen responsable de son environnement, de sa ville et de son pays.
PROPOS RECUEILLIS
PAR AVRAHAM AZOULAY