Tribune d’André Kaspi publiée dans Actualité Juive numéro 1666
Le 15 novembre, Donald Trump a annoncé sa candidature aux élections présidentielles de 2024. Il reste persuadé que la victoire lui a été volée en 2020, que le vrai, le seul président des États-Unis que souhaite une majorité de
ses compatriotes, c’est lui.
Pourtant, qu’il s’agisse de la Chambre des représentants et plus encore du Sénat, les républicains n’ont pas remporté la victoire que les sondages leur promettaient. Les électeurs républicains cherchent l’explication: si leurs candidats ont été battus ou, dans le meilleur des cas, s’ils ont devancé les démocrates de très peu, n’est-ce pas la faute de Trump?
N’a-t-il pas, par ses excès de langage, son comportement et son obstination, fait perdre des voix à son parti? Pour un nombre grandissant de républicains, l’ancien président n’est plus le leader incontesté. Il est maintenant
encombrant. Le voilà devenu un has-been qui refuse de quitter le champ de bataille.
Les électeurs juifs n’ont jamais été des trumpistes convaincus. Ils le sont encore moins aujourd’hui. Et pourtant, le bilan du président Donald Trump pourrait ou devrait susciter leurs sympathies. Il a favorisé les «accords d’Abraham», reconnu la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan, transféré l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, entretenu d’excellentes relations avec Benyamin Netanyahou. Jared Kushner, son gendre, est juif et a tenu un rôle important dans les relations avec Israël. Les petits-enfants de Trump sont juifs. Quelques donateurs
juifs comme les Adelson l’ont soutenu. En bon New-Yorkais, il ne manque pas d’amis juifs, surtout parmi les orthodoxes qui l’approuvent à 80 %. Bref, que d’arguments en faveur d’un vote juif pour Trump! Et pourtant, 74 % des Juifs jugent que l’ancien président, autant que son mouvement MAGA (Make America Great Again) sont dangereux pour la démocratie – particulièrement pour la communauté juive.
Les trumpistes feraient peser de lourdes menaces sur la démocratie. Une majorité d’entre eux combattent le droit à l’avortement, la défense de l’environnement, l’enseignement des bouleversements sexuels. Ils soutiennent les thèses conspirationnistes. Ils ne désapprouvent pas la violence de l’extrême droite. Trump et ses supporters
seraient responsables de l’antisémitisme ambiant.
Des propos, des déclarations publiques, des attitudes témoigneraient de leur hostilité à l’encontre des Juifs.
La preuve? En 2015, alors qu’il prépare sa candidature à la présidence, Trump dénonce l’influence de l’argent juif et déclare qu’il n’a pas besoin de faire appel au soutien financier de la communauté. L’année suivante, il bénéficie du ralliement de David Duke, l’undes leaders du Ku Klux Klan, et ne fait rien pour le rejeter. Il ne cesse pas de prendre parti contre l’immigration clandestine, que favorise, dit-il, la conspiration des bien-pensants parmi lesquels on compte bon nombre de Juifs. L’attentat contre la synagogue de Pittsburgh en 2018 a fait 11 morts parmi les fidèles. Pour le Président Trump, les immigrants illégaux portent une lourde responsabilité. Les Juifs ont
tort, dans ces conditions, de soutenir la gauche plutôt que la droite.
L’année précédente, les suprémacistes blancs ont défilé dans les rues de Charlottesville (Virginie). Ils arboraient des insignes nazis et faisaient la chasse aux contre-manifestants. Le président Trump n’a condamné l’extrême
droite qu’après de longues hésitations. Dans ses conversations et dans ses discours, il continue d’insinuer que les Juifs américains, trop peu américains, expriment leur loyauté à l’égard d’Israël plus qu’à l’égard des États-Unis. Dans le même temps, il demande que les Juifs le soutiennent, car il serait le meilleur défenseur d’Israël. Une contradiction évidente.
Les Juifs ne cessent pas d’exprimer deux préoccupations. Oui, ils défendent avec détermination l’existence de l’État d’Israël. Ce qui ne veut pas dire qu’ils applaudissent à toutes les initiatives de Jérusalem. Loin de là. S’ils votaient dans les élections israéliennes, ce serait pour des candidats du centre, certainement pas pour la droite, moins encore pour l’extrême droite. Ils n’hésitent pas à critiquer leurs institutions, notamment l’American Israeli Political Committee (AIPAC) qui défend inconditionnellement les intérêts d’Israël aux Etats-Unis. Sur les sujets
qui touchent à la société américaine, ils penchent du côté des libéraux. Ils redoutent les violences auxquelles se
livre la droite extrême, d’autant plus que ces violences sont toujours marquées par un antisémitisme profond –
comme si les Juifs portaient la responsabilité de tous les excès et de toutes les utopies de la gauche.
Depuis la présidence de Franklin Roosevelt, leur fidélité au parti démocrate est restée solide.
La conclusion?
Plus Donald Trump combat Joe Biden et ses soutiens politiques, plus les Juifs américains manifestent leur hostilité à l’encontre de Trump et de son mouvement MAGA. Chemin faisant, ils oublient que la gauche démocrate ne cesse pas de critiquer l’Etat d’Israël, qu’elle réclame inlassablement la création d’un Etat palestinien, qu’elle dénonce l’influence, excessive et dangereuse selon elle, des Juifs sur la société américaine, qu’elle approuve les propos notoirement antisémites de certaines organisations noires. La fidélité des Juifs envers les démocrates est-elle complètement justifiée?
André Kaspi, Professeur honoraire à l’université Paris-Sorbonne, auteur, entre autres, de Les juifs américains (Seuil).
Tribune parue dans Actualité Juive numéro 1666
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