C’est un autre regard sur la Shoah que nous vous proposons de découvrir. Le sujet est sensible et passionnant: des centaines d’allemands, descendants de nazis pour certains, vivent aujourd’hui en Israël, quelques-uns se sont même convertis au judaïsme. Michael Grynszpan et Marie-Pierre Raimbault ont co-réalisé, en 2010, un film documentaire sur ces hommes et ces femmes: ”Descendants de nazis – l’héritage infernal”.
Penser la question du mal
C’est un article sur les descendants de nazis qui vivent en Israël qui a interpellé Michael Grynszpan. Il nous raconte: ”Ce que j’ai lu m’a beaucoup surpris. On y disait même qu’un descendant d’Hitler était devenu rabbin, mais il s’est avéré que cette information était fausse. Il n’en demeurait pas moins que nous étions face à un phénomène intéressant: qui sont ces descendants de nazis qui se sont rapprochés du peuple juif? Ce sujet m’a rappelé un ouvrage d’Elie Wiesel, ”Le cas Sonderberg”, qui pose la question de la vie avec un passé lourd à porter, celui d’un père ou d’un grand-père qui a tué”.
Michael décide de s’intéresser à la psychologie de ces descendants de nazis et à l’Allemagne d’aujourd’hui, à la troisième génération. ”Il y avait 10 millions de nazis en Allemagne en 1945, toutes les familles y étaient donc mêlées”.
Nous demandons au réalisateur pourquoi il s’est intéressé aux bourreaux plutôt qu’aux victimes. ”S’intéresser aux bourreaux et à leurs descendants est aussi une façon de parler des victimes. Il s’agit d’une autre approche de la Shoah, elle aussi importante: elle pose la question du mal, de la transmission, de la responsabilité et de la culpabilité”.
La culpabilité en héritage?
Le film de Grynszpan et Raimbault plonge dans la conscience humaine et dans ses turpitudes. On comprend que pour les Allemands, ce passé parfois même les noms, sont lourds, trop lourds à porter.
Ainsi, si on trouve des familles fières de leur passé nazi et qui soutiennent jusqu’à aujourd’hui les actes de leurs aïeuls, certaines femmes allemandes après la guerre ont préféré se faire stériliser pour ne pas donner naissance à des monstres.
Pour beaucoup et c’est le cas des quelques 400 Allemands qui vivent en Israël, le questionnement sur leur identité, la part qu’ils doivent assumer dans la responsabilité de leur peuple, la honte d’être allemands parfois, les hantent à jamais.
Michael Grynszpan nous raconte que l’une des difficultés dans la réalisation de ce film documentaire aura été de recueillir des témoignages. Ainsi, la petite-fille de Magda Goebbels, épouse du ministre de la propagande nazie et elle-même nazie convaincue, s’est convertie au judaïsme. Michael devait la rencontrer en Allemagne, finalement, elle n’est jamais venue. La peur? La honte? Difficile de savoir ce qui l’a faite renoncer à témoigner, mais on comprend qu’il n’est pas facile de se dévoiler.
Matthias Goering, petit-neveu d’Hermann Goering, bras droit d’Hitler, a bien voulu être suivi par les caméras. Il s’interroge ”Pourquoi suis-je né dans cette famille?”. Pour autant, il refuse de changer son nom, cet acte reviendrait dit-il, ”à reconnaître une culpabilité”. En effet, né en 1956, Matthias Goering n’a rien à se reprocher. Et pourtant, il ressent pour le moins une grande responsabilité pour ce qu’a fait son peuple. D’ailleurs, il ne vit plus en Allemagne, mais en Suisse. Après une période personnelle difficile, il se tourne vers la religion chrétienne. Puis, il s’aperçoit que la source est le judaïsme; alors il entame un processus de conversion. Il vient souvent en Israël où il est devenu un ami proche d’un rescapé de la Shoah, enfant à cette époque et dont les parents ont été déportés. Cette attirance pour le peuple juif et sa Torah est à dissocier selon lui de tout sentiment de culpabilité. ”Je pourrais très bien manifester mon affection pour les Juifs sans me convertir”.
C’est d’ailleurs ce qu’a décidé de faire Gunther. Dans le film documentaire, il explique qu’il était un tout jeune homme à la fin de la guerre. Il a alors découvert l’horreur dont son pays avait été capable. Sa décision a été radicale: il allait consacrer le reste de sa vie à aider Israël. Mariée à une allemande qui partage ses idées, ils partent s’installer en Israël. Ils ne se convertissent pas, mais leurs cinq enfants sont tous israéliens et juifs aujourd’hui. Son épouse et lui ont été très bien acceptés par l’entourage israélien dont bon nombre sont des rescapés de la Shoah ou leurs descendants. Ils ont également entrainé dans leur sillage d’autres allemands comme cet ancien pilote de la Luftwaffe qui, 70 ans plus tard, a encore les larmes aux yeux quand il raconte le moment où il a compris que les nazis avaient exterminé des millions de Juifs dans des conditions atroces. Ces Allemands se sont sentis chez eux en Israël et non en Allemagne. Gunther a fondé une maison de retraite pour les rescapés de la Shoah et un institut pour les enfants handicapés. Sa descendance est juive.
C’est aussi une unique descendance juive que possède un ancien nazi dont le fils s’est converti au judaïsme. Le film nous présente Yoram Saam, marié et père de quatre filles, vivant en Israël. Knut, devenu Yoram, n’a jamais eu de bonnes relations avec son père. Les ponts sont coupés lorsqu’il décide de se convertir au judaïsme. Lui, tout comme Matthias Goering, ne lie pas sa démarche à une quelconque culpabilité liée à la Shoah. Son père, en revanche, ne peut se résoudre à voir son fils lui rendre visite avec une kippa: ”Tu ne portes pas ça chez moi”, lui lance-t-il un jour. Après plus de 10 ans sans contact, le père de Yoram vient lui rendre visite dans son village de Galilée. Sa femme, dont la famille a été victime de la Shoah se souvient: ”C’était le jour de Yom Hashoah, et voilà que cet ancien nazi a observé deux minutes de silence en mémoire des victimes. J’ai toujours pensé que c’était une petite revanche de l’histoire que le fils d’un ancien nazi soit juif”.
L’un des moments forts du film de Michael Grynszpan et Marie-Pierre Raimbault est le dialogue entre l’une des filles de Yoram et son grand-père. Beaucoup d’affection ressort de la relation entre les deux générations, mais lorsque la petite-fille lui demande ce qu’il aurait fait si elle, juive, avait vécu pendant cette période, il lui répond: ”Tant qu’il y aura des hommes, ils trouveront des raisons pour s’entretuer”, puis, ”Ne sont coupables que ceux qui se sentent coupables. Pas moi”. Michael Grynszpan se souvient d’un homme exécrable: ”Je n’ai pas pu lui serrer la main”, nous confie-t-il, ”personne ne sait ce qu’il a fait vraiment, mais il ne cache pas sa proximité avec les nazis”.
Michael Grynszpan
Un devoir de mémoire individuel défaillant
C’est bien là le nœud du problème, celui que Michael nous explique avoir découvert pendant les deux années de travail nécessaires pour réaliser ce film documentaire: personne en Allemagne ne sait vraiment ce qu’ont fait leurs ancêtres pendant la Shoah. On devine, on suppose, mais on ne sait jamais avec certitude, parce que personne n’a jamais parlé. Même les plus hauts dignitaires nazis, directement responsables du massacre de 6 millions de Juifs, ont plaidé non coupables au procès de Nüremberg!
”Le devoir de mémoire a été réalisé au niveau national”, précise Michael, ”au niveau de l’Etat, dans les écoles, on parle, on raconte. Mais au niveau individuel, cela n’a pas été fait. On se tait. En fait, on parle de Shoah en Allemagne comme si c’était des extra-terrestres qui avaient cela et non son propre père ou grand-père ou arrière-grand-père, parce que personne n’a jamais voulu le raconter à sa descendance”.
Ce silence est un poison qui fragilise l’équilibre de toutes les générations suivantes. ”C’est un peu comme une bombe atomique”, illustre Michael, ”vous avez les dégâts immédiats et ceux à plus long terme. Cette chape de plomb ne laisse pas indemne, surtout si au-delà de se taire, certains nient leur passé. Plusieurs générations grandissent avec beaucoup de questions et peu de réponses”. Pour le Professeur Israël Feldman, victimologue qui intervient dans le film, cette attitude menace même l’Allemagne toute entière.
C’est peut-être pour résoudre une partie de leurs questions restées sans réponse, que des jeunes allemands de la troisième génération, effectuent une année de volontariat en Israël auprès de Yad Vashem et des rescapés de la Shoah. Ces derniers les accueillent avec beaucoup d’enthousiasme. Ces jeunes gens, que l’on voit dans le documentaire, font preuve d’une tendresse et d’un volontarisme envers les personnes âgées dont ils s’occupent, qui forcent l’admiration et va jusqu’à émouvoir.
“La naissance n’est pas une fatalité”
Les descendants de nazis qui se convertissent revendiquent tous des motivations indépendantes d’une quelconque culpabilité envers le peuple juif. Serait-ce tout de même une raison inconsciente? ”Seul D’ peut sonder le contenu des âmes”, nous répond Michael.
Le Rav Oury Cherki, qui rencontre Matthias Goering, livre dans le film documentaire son regard sur ces démarches: ”Dans la tradition juive, le phénomène des descendants de bourreaux qui deviennent une partie de notre peuple n’est pas inconnu. La Guémara dans Guittin nous rapporte le cas des descendants d’Haman qui enseignait la Torah à Bné Brak”. Quant au Professeur Benno Gross, z”l, qui participe lui aussi au documentaire, il insiste sur le fait que ces conversions ou même l’attitude de ceux qui ne se sont pas convertis mais vivent ici, montrent que ”la naissance n’est pas une fatalité”.
”Ce film documentaire pose beaucoup de questions, alerte sur le danger de la négation ou de l’oubli de son passé lorsque celui-ci dérange. Mais le message de ces descendants de nazis est un message d’espoir”, conclut Michael Grynszpan.
En effet, les images de ces descendants de nazis avec leurs enfants et petits-enfants juifs, celles des rescapés de la Shoah dont la vie est adoucie par de jeunes allemands, montrent que si l’homme est malheureusement capable du pire, il peut aussi donner le meilleur.
Guitel Ben-Ishay