J’étais devant ma feuille blanche, perdu dans des pensées qui ne menaient à rien. A la vérité, j’attendais cette question un peu avec anxiété. Une question que l’on appelle dans le langage familier, une question bateau, question banale à laquelle il est facile de répondre: “Ecrivez en quelques lignes comment vos vacances scolaires se sont déroulées”. La maîtresse nous avait même donné quelques exemples: ‘Où êtes-vous parti en vacances? A quelle représentation avez-vous assisté? Dans quel hôtel êtes-vous descendus?’. Je regardai mes camarades de classe qui écrivaient avec passion leur voyage à Chypre, en Croatie et autres pays que je ne savais même pas situer sur la carte. Ils décrivaient les monuments historiques et les parcs d’attractions, leur chambre d’hôtel et leur randonnée en bateau.
Quant à moi, ma feuille restait blanche, rien de tout cela. Tout ce que je pouvais écrire, c’est que j’étais allé une fois en deux mois de vacances au bord de la mer, trois jours chez ma tante et que le reste du temps, je flânais dans le terrain de jeux tout près de chez moi.
Evidemment tout le monde n’a pas la possibilité financière de partir en vacances. Malgré les facilités de paiement, les parents n’ont pas toujours les moyens de régler centre aéré ou colonie, pour un ou plusieurs enfants, ou sortir de leur lieu d’habitation pour quelques jours de loisirs.
C’est pourquoi je crois que la maîtresse aurait dû poser une question à laquelle tous les enfants sans exception auraient pu répondre. ‘Qu’as-tu réussi à faire pendant ces vacances que tu n’as pas fait auparavant? Qu’as-tu appris sur toi-même que tu ne te soupçonnais pas? Quels sont les personnes que tu as rencontrées et qui t’ont enseigné quelque chose?’.
Quand je pense à nouveau au simple terrain de jeux tout près de chez moi: un toboggan, une balançoire, un tourniquet, une balançoire à bascule, des cordages à grimper. Plus qu’un jeu, ces accessoires m’ont enseigné une certaine discipline, sans même m’en rendre compte. Du toboggan, j’ai appris à attendre patiemment mon tour de glissade. Du tourniquet, j’ai fait de la place à ceux que je ne connaissais pas cinq minutes auparavant, tout en poussant avec eux des cris joyeux durant les vifs tournoiements. De la balançoire à bascule, j’ai appris à repérer, parce qu’il le fallait, celui qui sera mon contrepoids. Quel merveille cette autre balançoire avec ces envolées toujours plus près du ciel qui me grisaient. Des cordages, j’ai découvert en moi de nouvelles forces physiques et morales, qui m’ont permis de m’équilibrer d’autant mieux. De tous ces jeux, j’ai su mesurer l’agressivité de certains, contrôler mes émotions et utiliser les accessoires d’une façon plus créative. Combien de qualités et habiletés sociales que j’ai faites miennes dans ce simple parc, qualités que je soignerai tout au long de ma vie!
Je ne tiens pas à comparer l’incomparable: un voyage au bout du monde stimule tous les sens et laisse toujours une empreinte indélébile. “Changer d’air” durant les mois d’été fait connaitre d’autres personnes, d’autres horizons, d’autres comportements, mais cela n’intensifie pas pour autant notre vécu et ne nous rend pas nécessairement des hommes d’expérience. On peut découvrir cette expérience tout près de chez soi, sur un terrain de jeux public par exemple. J’aime cette phrase signée par Antoine de Saint-Exupéry dans ‘Pilote de guerre’ et qui résume un peu cela: “Vivre, c’est naître lentement : Il serait un peu trop aisé d’emprunter des âmes toutes faites!”.
Rav Yaakov Levi
Magnifique.
Ne pourrait on pas en faire un sujet de reflexion et le destiner en particulier au corps enseignant. A diffuser sans moderation