Article d’Eden Levi-Campana
En ce soir du 27 janvier 2025, la synagogue Copernic (Judaïsme En Mouvement) ouvre ses portes à une conférence qui, bien au-delà d’un simple événement, s’impose comme un carrefour vibrant d’histoire, de réflexion et de mémoire. Ce jour, où l’on commémore les 80 ans de la libération d’Auschwitz, voit se tisser un dialogue entre le passé et le présent, entre les ombres de l’Histoire et les défis brûlants de l’actualité.
L’ouverture de la soirée est brillamment assurée par Grégory Horn (co-fondateur de EGORA, une école dédiée aux métiers des affaires publiques), qui, avant de laisser place aux orateurs, honore la mémoire des victimes de la Shoah et résume le parcours exemplaire de Daniel Saada, ancien ambassadeur d’Israël en France. Ce dernier, figure emblématique de la diplomatie israélienne, incarne la défense ardente des droits du peuple juif et de son État : « Pour ceux qui comme moi connaissent Daniel, je pense que nous pouvons dire sans aucune démagogie que vous avez en face de vous l’un, voire le meilleur ambassadeur d’Israël en France que nous ayons pu avoir tout au long de ces dernières années. Aujourd’hui, tu poursuis le combat en Israël et sous une autre forme, ce qui nous vaut ta présence ce soir avec l’association QUALITA. »
Daniel Saada prend alors la parole et tisse un tableau aussi vaste que complexe des défis diplomatiques mondiaux, tout en restant fidèle à l’histoire du peuple juif et à la question centrale de la légitimité d’Israël. De la Shoah à la situation actuelle en Israël, il navigue entre les grandes étapes de l’Histoire, sans jamais perdre de vue la réalité du présent. Il insiste sur la leçon que l’Histoire aurait dû enseigner. La voix de l’orateur, tour à tour grave et passionnée, traverse les décennies pour nous ramener à Auschwitz, ce gouffre où l’humanité s’abîme. Ses mots, empreints d’émotion, portent la gravité d’un homme lucide face aux récidives de l’Histoire : « Auschwitz aurait dû être une leçon, une borne indépassable, un cri suffisant pour enrayer à jamais l’antisémitisme. Mais le constat est implacable : ce fléau, loin d’être éteint, renaît avec une vigueur déconcertante, animé par un souffle nouveau que les mots peinent à contenir. »

Il effectue un retour sur le 7 octobre 2023, ce jour funeste où, depuis la Shoah, jamais autant de Juifs n’avaient été massacrés pour le seul crime d’être nés juifs. L’émotion de l’assistance est palpable tandis que Daniel Saada dénonce les silences complices, l’hypocrisie d’un monde prompt à condamner Israël mais étrangement silencieux face aux appels au meurtre contre tous les Juifs : « Le Hamas ne dissimule rien de son intention d’éradiquer l’État juif et les Juifs dans le monde, et pourtant, l’aveuglement persiste, rendant plus crucial encore le combat pour la légitimité d’Israël. »
Il esquisse ensuite un parallèle entre Israël et la Russie, jetant une lumière crue sur un constat inacceptable : l’antisémitisme, ce mal insidieux, persiste là où aucune autre haine ne trouve d’écho similaire. Pourquoi, s’interroge-t-il, les synagogues sont-elles barricadées, protégées, là où d’autres lieux de culte (églises russes orthodoxes, par exemple) traversent les époques sans crainte ni barrière ? Pourquoi cet acharnement contre Israël, contre le peuple juif, alors que d’autres nations en guerre échappent à ce même tribunal de l’opinion ? Les réponses sont dans les silences, dans les non-dits, dans les regards qui se détournent.
Au fil de la soirée, Daniel Saada tisse une réflexion sur le combat constant pour la légitimité d’Israël. Il dénonce ce qu’il appelle la « nazification » d’Israël, un phénomène qui consiste à attribuer à l’État d’Israël des accusations de crimes contre l’humanité, une notion née des atrocités nazies. Ce retour moral est pour lui le symptôme d’une inversion des rôles où les coupables deviennent victimes. Daniel Saada martèle cette « nouvelle haine, celle qui, sous les oripeaux du wokisme ou du militantisme anti-israélien, prend les traits d’un antisémitisme travesti. On nous accuse de génocide à Gaza, mais quel rapport avec la définition même de ce mot ? Aucun. » Daniel Saada décrit Gaza comme une forteresse du terrorisme, où le Hamas transforme chaque hôpital, chaque école, chaque maison en infrastructure de mort. « Mais où étaient les Gazaouis pour se dresser contre cette dictature islamique ? » lance-t-il.
À travers ses mots, il ne cherche pas à déresponsabiliser, mais à appeler à une prise de conscience collective, à un regard lucide sur les véritables rouages de cette guerre : « Le Proche-Orient, aujourd’hui, n’est pas celui qu’il y avait la veille du 7 octobre. D’abord parce que nous avons combattu le Hamas et que nous avons porté un coup extrêmement dur aux infrastructures terroristes du Hamas à Gaza. Le Gaza d’aujourd’hui, je ne parle pas seulement des destructions, je parle des capacités opérationnelles du Hamas. Le Hamas est aujourd’hui quasiment détruit. Alors oui, on voit ces images de mise en scène, ces policiers entre guillemets du Hamas reprendre l’autorité dans les zones qui sont… c’est du cinéma tout ça. L’essentiel de l’infrastructure du Hamas a été détruite pendant ces quinze mois de guerre. Il en est de même pour le Hezbollah au nord. Nous avons réussi ce que nous essayons de faire depuis plus de 20 ans, depuis presque 25 ans, depuis le retrait israélien de mai 2000, lorsque Israël avait décidé de se retirer du Sud-Liban. Depuis 25 ans, nous essayons de repousser la menace du Hezbollah au nord du fleuve Litani, 20 kilomètres à l’intérieur du Sud-Liban. Nous avons réussi depuis le 7 octobre et depuis l’opération que nous avons dû mener à partir du mois de septembre sur le territoire libanais, avec la reconnaissance internationale cette fois-ci de la nécessité, puisque c’est cette résolution qui avait été votée à l’issue de la deuxième guerre de Liban, qui a pu enfin être implémentée, mise en pratique avec le soutien américain que nous avons aujourd’hui. Le Proche-Orient aujourd’hui n’est pas le même que la veille du 7 octobre. L’Iran se trouve dans une situation de la plus grande faiblesse, alors que la veille du 7 octobre, c’est l’Iran qui avait commandité le Hamas et qui avait commandité le Hezbollah, en espérant, en rêvant, en nourrissant l’espoir de voir le monde arabe tout entier, le monde arabo-musulman tout entier, se lever contre Israël. Et ce n’a pas été le cas. Le Hezbollah et le Hamas se sont levés contre nous, mais la population arabe d’Israël ne s’est pas levée contre nous, contrairement à ce qui s’était passé dans la précédente opération, et les autres pays, l’Egypte, la Jordanie avec qui nous sommes en paix, les autres pays arabes avec lesquels nous avons signé des accords, souvenez-vous de ce qui s’était passé pendant la seconde intifada. Au moment de la seconde intifada, tous les accords que nous avions réussi à obtenir avec le monde arabe lors des accords d’Oslo ont volé en éclats. Tous ont rompu les relations qu’ils avaient, le peu de relations que nous avions réussi à établir avec le monde arabe, tout a volé en éclats au moment de la seconde intifada. C’est exactement ce que le Hamas aurait voulu qu’il se passe le 7 octobre, et ce n’a pas eu lieu. »
Le climat dans la salle est grave, et l’auditoire reste suspendu aux propos de l’orateur. Face aux défis géopolitiques de notre époque, Daniel Saada esquisse un avenir où Israël, fort de sa résilience et de son unité, pourrait écrire de nouvelles pages de paix. L’espoir d’une réconciliation avec certains pays arabes, comme l’Arabie Saoudite, n’est pas un rêve irréaliste, selon lui. C’est sur cette note d’espoir que son intervention prend fin.
Ariel Kandel, Directeur Général de « Qualita », présente ensuite la campagne d’urgence de l’association, destinée à soutenir les olim francophones face aux défis sociaux et économiques qu’ils rencontrent. Dans l’élégant cadre de la communauté de la rue Copernic, Ariel Kandel, avec son éloquence pénétrante, nous transporte ensuite au croisement de l’histoire et de l’actualité. Comme un tisseur de récits, il évoque avec ferveur l’esprit de résistance, celui des Sabras et des Olim, un esprit forgé dans les flammes de l’épreuve, trempé dans les batailles du passé et ravivé avec éclat depuis les événements tragiques du 7 octobre. Il y a, dans sa voix, une sorte d’urgence contenue, un appel brûlant à ne pas sombrer dans l’oubli. Ariel Kandel rappelle l’audace fondatrice qui marque l’histoire d’Israël, cette « Chutzpah » inimitable qu’il refuse de traduire comme insolence, préférant y voir une audace lumineuse, presque vertigineuse. Il convoque De Gaulle et l’affaire « des vedettes de Cherbourg », qui surgissent comme une parabole de cette témérité héroïque, une métaphore vivante de l’insolence salvatrice qui permet à un peuple de se lever face à l’adversité : « Il y a un 8 octobre, un 9 octobre, un 10 octobre… », répète-t-il, chaque date comme un écho de résilience. Des jeunes, dit-il, comme surgis de la terre d’Israël, prennent sur eux le poids de la responsabilité, un acte de courage et de foi qui transcende les générations, les frontières et les courants.

Ariel Kandel souligne avec émotion l’apport unique des juifs de France, forgés dans la diversité, habitués à vivre avec l’autre dans toutes ses nuances. Ce savoir-faire, dit-il, est une richesse qu’Israël peut embrasser, une lumière à porter dans l’obscurité des crises. Dans cette assemblée recueillie, chaque mot semble porter une charge presque sacrée. On parle de solidarité, certes, mais aussi de transcendance.
Depuis le 7 octobre, une date qui a bouleversé les cœurs et les certitudes, le docteur Bruno Lellouche, s’est mué en acteur acharné de la solidarité. Ce jour-là, comme tant d’autres, il fut saisi d’effroi, sidéré. Puis, à peine remis du choc, il s’est mis en route avec Netsah, son association portant un nom lourd de sens : « l’éternité ». Avec Netsah, un pont s’est tendu vers QUALITA, une organisation dévouée à aider les olim de France en Israël. Ensemble, ces deux forces unies ont œuvré pour alléger les souffrances et apporter un réconfort vital. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, Netsah a versé 194 000 euros à QUALITA. Ces fonds ont permis de soutenir 65 familles durant une année entière, offrant chaque mois des bons alimentaires, finançant des colonies de vacances pour 150 enfants en été, et multipliant les gestes d’attention comme des paniers de Pourim ou des jouets pour Hanouka. A travers QUALITA, chaque euro donné atteint directement ceux qui en ont besoin. Chaque don est intégralement destiné aux familles, aux enfants, aux soldats. Bruno Lellouche souligne que cette aide dépasse le matériel. Elle s’étend au soutien psychologique des enfants traumatisés par les violences, des enfants qui peinent à retourner à l’école. En écoutant Bruno, on comprend que l’humanité de cette mission réside dans la volonté de réparer ce qui peut l’être, de redonner espoir et dignité, un acte après l’autre, un visage après l’autre. Netsah et QUALITA ne se contentent pas de répondre à des besoins : ils incarnent l’essence même de la solidarité. Alors, il conclut, non sans gravité et avec une sincérité désarmante : « Chaque euro que vous donnez est une vie que vous touchez. Une vie que vous sauvez. » Une vérité qui résonne comme un appel, pressant et inéluctable, dans le tumulte d’un monde ébranlé.