La lettre Dalet est la première du mot Daat, la capacité d’intégrer et d’harmoniser des points de vue diamétralement opposés.
La graphie des lettres et leur succession sont riches en enseignement. Au sujet des lettres Alef, Bet, Guimel et Dalet, le Talmud (Chabbat 104a) enseigne : « Le Maître de maison donne aux indigents». En effet, avant le commencement de toutes choses, il y a le Alef – la Cause première qui fait surgir la création et la multiplicité de toutes les composantes de l’univers qui se retrouvent dans la dualité du Bet. Puis apparaît la société et les échanges qui caractérisent les êtres humains entre ceux qui donnent – c’est le Guimel – et ceux qui reçoivent – le Dalet, les pauvres. Enfin, l’harmonie entre les hommes, exprimée par la lettre Hé, leur permet de se rapprocher véritablement de Dieu. C’est Isaïe (I, 15) qui s’exclame : « Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux ; quand vous multipliez vos prières, je n’écoute pas car vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions ; cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé ; faites droit à l’orphelin, défendez la veuve. »
S’OUVRIR A LA TRANSCENDANCE
Le Dalet a deux significations principales : la porte (delet), et celui qui vit dans le dépouillement (dal). Renoncer à nos idées préconçues nous permet d’aller plus loin et de nous transcender afin d’arriver à l’étape suivante, la lettre Hé qui représente le Divin. On comprend dès lors pourquoi Dalet est aussi la première lettre du mot daat, la connaissance.
Rappelons que notre psyché se manifeste grâce à trois facultés intellectuelles que sont hokhma, la sagesse ou l’intelligence créative ; bina, la compréhension ou l’intelligence analytique, et daat, qui est la connaissance ou la capacité de décision et de synthèse. La hokhma est la puissance créatrice et généralement imprévisible de l’âme qui se manifeste par des intuitions ou une inspiration spontanée – un éclair intuitif d’illumination intellectuelle. Celle-ci n’a pas encore été prise en charge ou développée par la force d’entendement de bina. C’est-à-dire que l’essence profonde de la hokhma est l’effacement de soi (bitoul).
Bina, habituellement traduit par « compréhension », est la faculté cognitive qui développe et articule l’énergie séminale de hokhma afin que celle-ci puisse se révéler comme une conceptualisation structurée. Elle permet de comprendre ou de déduire un élément à partir d’un autre.
Daat est la capacité d’intégrer et d’harmoniser des points de vue diamétralement opposés. Une personne qui possède du Daat affichera ainsi un comportement mûr et rationnel qui lui permettra de convertir la compréhension en force vivifiante et inspiratrice des émotions et des actions.
En ce sens, le daat est appelé par le Zohar « la clé des six émotions », à savoir : le hessed (amour, bonté). Abraham est celui qui incarne cette qualité, comme l’indique le verset : « Donne… le hessed à Abraham » (Michée VII, 20) ; la guevoura (détermination, limites), associée à la notion de din qui restreint l’expansivité bienveillante du hessed. Guevoura correspond au patriarche Isaac, comme dans le verset « Celui dont Isaac a peur… » (Genèse XXXI, 42) ; tiféret (la compassion), qui correspond au patriarche Jacob est l’attribut de l’âme qui mélange et harmonise les deux pôles opposés de hessed et guevoura ; netsah possède de nombreuses significations, découlant des divers aspects de l’âme qu’il exprime. Il se rapporte aux notions de « victoire » (nitsahone), d’éternité (nitshiyout) et d’orchestration (nitsouah). Le point commun à ces concepts est qu’ils renvoient chacun à des notions d’initiative et de persévérance, nécessaires pour parvenir à traduire pensées et émotions en actions concrètes ; hod (renoncement, reconnaissance) représente la sincérité ; yessod, enfin, est la qualité qui combine toutes les autres en un acte unique de création. Yessod représente également le tsadik (le Juste), au sujet duquel il est dit : « Le tsadik est le fondement (yessod) du monde » (Proverbes X, 25), car c’est lui qui se voue à réaliser la volonté divine et à concrétiser Son plan pour l’humanité tout entière ; la dernière, malkhout, représente l’acceptation de la Royauté divine. C’est seulement quand un roi accepte humblement la volonté du Créateur qu’il peut trouver la force et la sagesse nécessaires pour diriger intelligemment son pays.
FAIRE LE VIDE
Pour apprendre, il faut faire le vide, c’est-à-dire faire fi de son ego et être disponible. Israël est comparé à la lune, symbole de l’humilité. La lune, effectivement, ne fait que réfléchir la lumière qu’elle reçoit du soleil. Dans les textes de la Kabala, le Dalet représente la dixième sefira, la capacité de l’humanité à recevoir la royauté divine. Le Dalet est également l’initiale de David. Paradoxalement, le roi David est appelé « petit » car ce n’est pas un tyran et qu’il s’identifie de surcroît aux pauvres. C’est d’ailleurs grâce à son humilité que David a reçu la royauté. : « Un cœur brisé, Dieu Tu ne le rejettes pas » (Psaumes LI, 19). La pauvreté exprime ici un sentiment de manque. Lorsqu’on lit les Psaumes, on constate que loin de refléter la tristesse ou la dépression, cette attitude génère chez David un bonheur intense et une joie profonde.
En hébreu, les lettres Dalet et Rech présentent des graphies proches. Leur différence tient à un trait minuscule en haut à gauche qui s’apparente à un Youd, première lettre du nom de Dieu. En effet, si nous sommes libres de croire au Dieu unique (ehad) ou en autre chose – Aher – autre, en vérité il n’y a d’autre puissance que Dieu.
Dalet est aussi la première lettre du mot dira, une demeure. Le Midrach répond à la question : « Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde ? » Parce qu’il désirait avoir « une demeure » ici-bas. Un lieu où, pour ainsi dire « Il se sente à l’aise » : le paradis sur Terre, c’est-à-dire une société juste et harmonieuse où il fait bon vivre.
C’est parce qu’il y a eu le tsimstoum – « un appauvrissement, une diminution » – de la lumière infinie de Dieu que l’univers a pu prendre forme dans ses quatre dimensions, aux quatre points cardinaux, avec le cycle des quatre saisons. La Kabala décrit le processus de la création en quatre étapes : atsilout-émanation, beria-création, yetsira-formation, assia-action.
Dieu, dont le nom se compose de quatre lettres, se manifeste dans les merveilles de la nature et dans les quatre niveaux de compréhension de la Torah : pchat (sens littéral), remez (allusion), drach (métaphore), sod (mystique).
Une porte (delet) est ouverte ou fermée. C’est le symbole du libre arbitre qui permet à l’être humain de faire le tri, de choisir ce qui est bien et de s’éloigner, de se fermer à tout ce qui est négatif. Cette attitude mène à la véritable connaissance, le daat.
On comprend mieux à présent pourquoi la lettre Dalet est courbée. En effet, elle nous enseigne l’humilité et le détachement qui permettent de se consacrer pleinement à l’étude de la Torah et à la pratique de la justice sociale et de la charité.
Rav Yaacov Spitezki
Centre Shorashim pour les étudiants francophones (054 239 97 91).