Malmené en Syrie et en Irak par les attaques aériennes russes et les frappes de la coalition arabo-occidentale menée par les Etats-Unis qui ont coupé en deux les immenses zones qu’il contrôle, l’Etat islamique (EI) semble bien appliquer son « Plan B » – préparé de longue date – consistant à agir plus loin dans la région (comme au Liban) ou même en dehors du Moyen-Orient pour s’en prendre à ceux qu’ils considèrent comme ses « agresseurs »…
Dans un communiqué publié le samedi 14 novembre en fin de matinée, l’EI explique avoir «pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, Paris ». Et de poursuivre : « Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cible des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française (…à. La France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’Etat islamique et qu’ils continueront à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête de la croisade. (…) Cette attaque n’est que le début de la tempête et un avertissement pour ceux qui veulent méditer et tirer des leçons ».
Un début de recul de Daësh sur le terrain, en Irak comme en Syrie
En fait plusieurs éléments intervenus ces derniers mois et particulièrement ces dernières semaines sur le terrain ont poussé l’EI à actionner certaines de ses « cellules dormantes » en Europe afin notamment de frapper la France.
Ainsi, au nord de l’Irak, les forces kurdes – appuyées pour une assistance aérienne assez musclée de l’US. Air Force – ont-elles expulsé Daësh de la ville stratégique de Sinjar, ce qui a permis de lever le terrible siège subi par la communauté Yazidi. Même recul de l’EI dans le nord-est de la Syrie où les Kurdes n’ont cessé ces dernières temps de gagner du terrain en élargissant leurs territoires autonomes, aidés en cela par les quelques récents progrès de l’armée restée loyale au président Assad, elle-même renforcée par l’intervention russe.
Résultats de toutes ces offensives : la continuité des zones contrôlées par l’EI en Irak comme en Syrie a été mise à mal, ce qui représente pour lui une défaite cuisante en l’empêchant notamment de gérer ces régions en dispensant normalement à leurs populations les différents services sociaux et administratifs qu’il dispensait jusque-là.
Autre élément plus « symbolique », même si ce n’est évidemment la « cause » des attentats de Paris préparés de longue date : il est à peu près certain que le fameux « John le Djihadiste » – la figure emblématique du groupe présents sur tous les vidéos clips de Daësh depuis 18 mois pour annoncer, long poignard en main et cagoule noire sur la tête, la mise à mort des otages occidentaux de Daësh – ait été tué voilà quelques jours lors d’une attaque effectuée par un drone américain.
On peut donc considérer que ces revers subis par Daësh l’ont effectivement poussé à appliquer une sorte de « Plan B » – préparé depuis longtemps au niveau logistique- consistant à mener de cinglantes attaques à l’étranger afin de prouver qu’il reste fort et capable d’infliger de lourdes pertes à ses adversaires. Et ce en recourant à un mode opérationnel très différent de ce que l’on avait connu jusque-là.
Le « long bras » de l’Etat islamique à l’étranger et la compétition avec Al-Qaïda
Pour mieux saisir le « switch » opéré ces derniers temps par l’EI avec la mise en œuvre de son « Plan B », il faut se rappeler que cette organisation n’avait quasiment pas envoyé de membres agir à l’extérieur de son « califat » irako-syrien, sauf dans ses « provinces » (en arabe : wilayat) du Sinaï égyptien, de Libye, du Nigéria ou du Khorasan (au carrefour de l’Afghanistan, du Pakistan et de l’Inde)
Or il est évident que cette dernière offensive de Daësh était bel et bien planifiée d’avance et reposait sur plusieurs types de contre-attaques :
-d’abord contre l’intervention russe en Syrie en faisant exploser en vol voilà deux semaines un avion civil russe qui avait décollé de Sharm-El-Sheikh vers Saint-Pétersbourg avec 217 personnes à bord ;
-ensuite en lançant plusieurs bombes humaines qui se sont faites exploser le 12 novembre dernier dans la banlieue-sud de Beyrouth en plein cœur du quartier de Bourj-El-Barajneh et de l’avenue Hussiniyé, véritables fiefs Hezbollah chiite libanais dont les forces combattent directement l’EI depuis plus de deux ans en Syrie : un quadruple attentat minutieusement préparé qui a tué 45 personnes et en a blessé près de 300.
-enfin en visant Paris et ce que Daësh appelle les « croisés français », considérés comme les fers de lance – aux côtés des Américains – de la coalition arabo-occidentale anti-EI mise sur pied dès l’été 2014 par les Etats-Unis.
Lui-même issu des réseaux Al-Qaïda dont il a scissionné voilà près de quatre ans, l’EI reste toujours en haute concurrence avec son organisation-mère « Al-Qaida-Canal historique », notamment afin de drainer vers lui – et donc prioritairement vers la Syrie et l’Irak – les flux de Djihadistes volontaires venus de l’étranger pour renforcer ses rangs.
Deux exemples sanglants illustrent cette compétition féroce entre Daësh et Al-Qaïda : les deux attentats perpétrés au printemps dernier en Tunisie contre des touristes – sur une plage de Sousse et au musée du Bardo à Tunis – ont été commis par la wilayat libyenne de l’EI, alors que l’attaque du journal satirique « Charlie Hebdo » en janvier dernier en plein Paris fut signée par la branche yéménite d’« Al-Qaida-Canal historique ».
Jusque-là donc, l’EI saluait toutes les initiatives locales – individuelles ou collectives – de ses quelques adeptes qui décidaient de passer à l’action, notamment en alimentant les réseaux sociaux d’une propagande incendiaire appelant au meurtre des « infidèles » et diffusant les « modes d’emploi » les plus simples servant à préparer et à mener des attaques terroristes…
Richard Darmon pour Hamodia