Les anxiétés nouvelles, figurées sous forme de paniques face à la rencontre, sont entendues par les psychanalystes à l’écoute de la souffrance humaine: « il m’est arrivé quelque chose » dit le patient.
Le monde peut être recréé à deux, cette re-création ne se doit pas d’être grandiose ni spectaculaire mais viable, s’ouvrant sur des possibles, inscrits dans un projet à partager, ici et maintenant, dans un espace proche.
Retrouver le sens de l’utopie partielle, atteinte de manière pragmatique, par des êtres qui se savent en escale dans un monde ici-bas et vivent avec intensité.
Redéfinir ce qui rassemble deux êtres et vers quel futur ils veulent marcher.
Le « moi » en quête de «nous». Le nous constitutif du moi, donnant lieu à une célébration annoncée du mot « ensemble ».
C’est l’autre qui me définit comme « personne » et fait de moi autre chose qu’une « marionnette vivante ».
Sans l’autre, je sombre dans la désaffiliation et la désespérance propre à toute solitude. La peur confuse tourne autour des questions de filiation, d’identité personnelle, d’inscription généalogique. D’où le besoin du lien, d’une histoire vraie.
Nous balançons entre le privilège « du choix de soi-même » (selon Kierkegaard) et « le deuil » (D.H. Lawrence parlait de la crucifixion de la solitude individuelle), cette vacuité indéfinissable! Pour rien au monde, nous ne renoncerons à cette précieuse autonomie, mais pour autant nous n’en pouvons plus de ce vide!
Une absolue liberté alliée à un absolu désarroi ! Individus libérés mais pris de vertige devant leur propre victoire! L’individu victorieux bascule dans la crainte de se dissoudre et réagit à cette menace par surcroît de narcissisme organisé.
Inquiétude, distraction, boulimie de travail, tout trahit un manque essentiel.
Le « tchat », véritable phénomène de société: l’anonymat est de mise (pseudo oblige), les corps sont absents. Quel paradoxe que ces relations flashs, denses et furtives entre des « inconnus intimes »! Le tchat ou le déversoir aux solitudes interactives: ni corps ni âge mais un sexe assurément. L’ère du flirt numérique tire son succès du ludisme, jeu avec soi-même, « la chance va tourner, je crois à la loterie ». Jeu avec l’autre : véritable poker, parfois menteur, papillonner à sa guise par des échanges télégraphiques. Ensuite, l’attente courte ou longue. On induit de la confidence, de la séduction, de l’érotisme caractérisé. À un rythme frénétique, véritable ping-pong verbal, le tchatteur veille à garder une certaine tension haletante, garante du plaisir. Le propre du net est de désinhiber, via des raccourcis donnant lieu à un marivaudage assumé : paradis des casaniers et insomniaques. La cyberaddiction ou le zapping relationnel est une pratique superficielle et amnésique : pas de trace ni d’archive du libertinage virtuel et libidineux.
On voit apparaître un nouveau couple : la femme hautement diplômée, intelligente, active qui choisit un homme aux antipodes, plus petit et si possible transparent. Elle est très gentille, douce et tolérante avec lui et ne l’aime pas.
Cette hypogamie, ce choix d’un homme « sous elle » s’enracine dans l’histoire de cette femme désireuse de refroidir ses relations affectives, il s’agit de ne pas répéter le schéma de sa mère pour ne pas se laisser dominer, pour préserver son indépendance. Beaucoup de femmes terrorisées par la domination masculine épousent un homme falot, c.à.d. rassurant !
Le choix du partenaire est une décision très peu individuelle, basé sur un fantasme réparateur, à la place de la mère. Le partenaire « idéal » est repéré au travers des contraintes sociales et éthologiques. Ces fantasmes motivants se fondent sur les empreintes inconscientes acquises au cours de notre développement et du roman familial.
Observer une relation amoureuse, c’est observer la structure de notre langage.
L’odeur et le visuel, deux accès à l’espace érotique :
En respirant son parfum, en regardant sa robe fluide ou stricte, en s’étonnant devant le choix de ses bijoux, ses chaussures austères ou maniérées, en un clin d’œil repère dès la première interaction, l’admirateur recueille infiniment plus de renseignements qu’avec un long discours. D’autant qu’il est difficile de dire avec des mots ce qu’on peut exprimer avec ses cheveux, ses gestes et ses vêtements.
Ses canaux de communication relatent notre manière de socialiser, de penser, d’envisager notre projet d’existence.
Erotiser, c’est révéler notre approche du bonheur et joie de vivre. Erotiser son attrait, c’est soumettre à l’autre, des indices pertinents du plaisir à parcourir à deux. Rien moins qu’une invitation au voyage…
La pénétration amoureuse ne commence-t-elle pas par le regard ?
Du leurre dans la séduction, retenons deux mécanismes dissonants mais jumeaux.
Les femmes savent se transformer en leurre pour attirer leur partenaire, les hommes pratiquent « l’escroquerie sexuelle » : séduite et abandonnée…
En finir avec la « dictature du bonheur ». Il n’y a que des installations de possibles !
Créer du viable semble être la préoccupation de demain. On assiste à une dissidence silencieuse face au schéma conformiste de l’idéologie judéo-chrétienne.
Que veut l’humain ? Vivre une expérience inattendue, avoir le sentiment d’être kidnappé ailleurs.
Il y a des liens qui enferment, qui désolent et qui esseulent dont il faut apprendre à se libérer. D’ou certains divorces inexorables.
Tout dans nos vies dépend de la façon dont nous répondent ceux que nous aimons. A nous de savoir répliquer sans animosité, telle une présentation de soi, en formulant notre désir et nos résistances.
L’affectivité, ce lieu du sentiment, parfois rejoint la réflexion au travers du langage. L’échange de la parole est salvatrice en ce sens ou ce sont des signes de soi que l’on donne à entendre pour contourner le malentendu. Aimer quelqu’un consiste à acquiescer à sa présence, la souhaiter fréquente, en être nostalgique.
A deux, on ne résout pas l’énigme du monde, on tente juste d’adoucir le réel en y égrenant des moments de grâce et de ravissement pour traverser les saisons avec sourire.
Vanessa De Loya Stauber est psychanalyste et poète
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