Le Talmud (Nedarim 39b) enseigne la mitsva de ביקור חולים (visite aux malades). La Guémara est très dure envers qui s’y soustrait. Un Grand de la Torah est tenu d’aller voir une personne « ordinaire », et vice-versa. Même cent fois par jour.
Nos Sages disent qu’un visiteur emporte un soixantième de la souffrance. Selon une opinion, peut-être un peu ironique, 60 visiteurs venant en même temps font disparaître la maladie. Selon une autre opinion, chaque visite (une après l’autre), un soixantième de ce qui restait jusque-là s’en va. Il s’agirait d’un simple calcul de suite géométrique, comme celui des intérêts composés, ici avec un pourcentage négatif. Question : en dessous de quel seuil le malade est-il déclaré guéri, puisque même en enlevant 1/60e de la maladie présente à chaque fois, il reste toujours quelque chose. Le processus est infini. Si on quantifie la maladie par 1, après une visite on aurait 1-1/60=59/60=0.98333, après deux visites 0.96694, après trois visites 0.9508. Il faudrait 50 visites pour faire baisser la maladie de moitié. Désespoir du malade ? Les חכמים ne cherchent pas ici une arithmétique précise. En fait le calcul ci-dessus n’est pas très sérieux.
Il est certain qu’un visiteur fait sortir le malade de son sentiment de solitude, d’où le léger mieux qu’une visite entraîne. La Guémara ne se contente pas de prescrire les visites, mais ordonne de prier pour la guérison du malade. Prier en sa présence fait partie de la visite, mais en son absence ?
D’après les uns, la prière (תפילה) du malade pour lui-même ou celle des autres pour lui peut entraîner un changement de décision divine. D’après les autres, il serait présomptueux de penser qu’un être humain puisse faire changer d’avis le Maître du monde. Cependant, ça marche !
Des expérimentations ont été menées aux États-Unis, en Israël et ailleurs. Une des premières est due à un chercheur britannique (fin du 19e siècle). Dans les dernières décennies, de telles études ont été menées dans des établissements de grand renom, comme la Mayo Clinic, l’Université Harvard, le Centre Hospitalier Rabin. Elles ont été réalisées selon des protocoles scientifiques rigoureux, en « double aveugle » et sur des échantillons de population assez importants. On a constaté que le groupe de malades pour qui « on » priait présentait des améliorations non repérées dans le groupe témoin. Certains chercheurs ont noté cela même quand les malades ne savaient pas qu’on priait pour eux. On a aussi constaté que la prière est d’autant plus efficace que le receveur est croyant1
La Guémara nous ordonne donc de prier pour les malades, et nous recevons souvent des demandes de תפילת רבים pour des personnes que nous ne connaissons pas. Les applications pour téléphones dits intelligents et les réseaux sociaux ont amplifié le phénomène. Comment cela marche-t-il ?
Le Rav Azaria Fijo (dans son livre בינה לעיתים) nous explique que la תפילה ne change pas l’avis du Créateur, elle change le receveur. Un bel exemple, lu récemment: une personne se trouve sur un escalier sur le point d’être frappé par une vague énorme. Si on pousse cette personne vers le haut de l’escalier, la vague arrivera où elle était attendue, mais la personne n’y est plus. La תפילה de la personne concernée ou même d’un étranger fait passer d’un niveau où le décret négatif atteint le malade vers un niveau où il ne l’atteint plus avec autant de force, voire ne l’atteint pas du tout. Quand un inconnu prie pour un malade, l’action est la même : il contribue à le pousser hors d’atteinte.
Pr Noah Dana-Picard
http://www.jct.ac.il/cemj
1 Je suggère la lecture du livre du Dr G. Morali: Science, Médecine et Judaïsme (Gallia).