Le Professeur Arieh Eldad publie un livre au titre évocateur : « Ce que l’on voit d’ici » (« Dvarim she royim mi kan »). Il reprend ainsi la fameuse phrase d’Ariel Sharon voulant se défendre de ses positionnements politiques contradictoires lorsqu’il déclara en 2001 : « Ce que l’on voit de là-bas, on ne le voit pas d’ici ». En effet, nous sommes au cœur du sujet de l’étude du Professeur Eldad. Avant tout médecin, chirurgien et ancien officier médical de l’armée, Arieh Eldad a aussi été député du Ihoud Leumi lors des 16e, 17e et 18e Knesset. Aujourd’hui, il s’interroge dans son ouvrage sur le constat que beaucoup peuvent faire : les hommes de droite ne mènent jamais vraiment une politique de droite une fois arrivés au poste de Premier Ministre. Pourquoi, se demande-t-il, de Menahem Begin à Binyamin Netanyahou en passant par Itshak Shamir, Ariel Sharon et Ehoud Olmert ? Les idées de droite seraient-elles vouées à demeurer à l’état de discours d’opposition ? LPH s’est entretenu avec le Professeur Eldad sur les thèses qu’il expose dans son livre.
Le P’tit Hebdo : Comment est venue l’idée d’une telle recherche sur les Premiers ministres de droite ?
Professeur Arieh Eldad : Ces quinze dernières années j’ai eu l’occasion de faire de nombreux débats publics avec des gens de gauche sur le conflit entre les Juifs et les Arabes, notre droit sur cette terre, notre droit de peuplement et tout ce qui concerne l’application de la loi israélienne en Judée-Samarie. Après avoir énoncé tous mes arguments, je m’entendais souvent dire : « La preuve que tout ce que vous énoncez ne peut rester que théorique c’est que quand vous, les hommes de droite, arrivez au pouvoir et êtes confrontés à la réalité, vous changez d’idéologie ». Je me suis alors interrogé sur cette réalité du poste de Premier ministre. Est-elle si différente que celle que l’on voit « d’ici », comme le disait Ariel Sharon avec un certain cynisme ? Ces dirigeants de droite ont-ils vraiment renoncé à leur idéologie ?
LPH : Qu’avez-vous découvert lors de vos recherches ?
Pr A.E. : La principale thèse que je développe dans mon livre c’est qu’il n’y a pas de règle selon laquelle, une fois au pouvoir, confrontés aux réalités et aux pressions internationales, tous ces hommes n’auraient pas eu d’autre choix que de « virer à gauche ». Je me suis aperçu que chacun des Premiers ministres de droite avait son propre parcours et ses propres raisons. Prenez l’exemple de Menahem Begin : il n’a pas changé d’avis quand il était au pouvoir concernant le Sinaï. C’est pour arriver au pouvoir qu’il a changé ses positions. Une fois au poste de Premier ministre, il a simplement appliqué ce qu’il défendait depuis des années, ce qu’il déclarait déjà depuis 1957 : le Sinaï n’est pas si important que ça !
LPH : Vous défendez aussi l’idée selon laquelle Itshak Shamir serait le seul à être resté fidèle à son engagement de droite. Pourtant, c’est bien lui qui s’est assis à Madrid avec les Palestiniens ?
Pr A.E. : Itshak Shamir est le seul à ne pas avoir renoncé à son idéologie, y compris lorsqu’il est allé à Madrid. Il n’a jamais reconnu l’OLP ; il a juste, pour raisons tactiques, décidé de fermer les yeux sur le fait que certains membres de la délégation jordanienne étaient palestiniens.
LPH : Pour vous, Sharon, Olmert et Netanyahou appartiennent à la génération « pragmatique » plus qu’idéologique. Qu’entendez-vous par cela ?
Pr A.E. : Je mettrai Netanyahou à part, je pense qu’il reste chez lui de l’idéologie même si l’on a bien vu qu’il était désormais capable de reprendre à son compte l’idée de deux États pour deux peuples. En revanche Olmert et Sharon ont abandonné toute idéologie et non pas à cause de « ce que l’on voit de là-bas ».
LPH : Pourquoi alors ? On ne peut pas dire que le retrait de Gaza était un choix très pragmatique…
Pr A.E.: On ne peut pas trouver de choix plus pragmatique quand on sait les affaires judiciaires qui collaient à Ariel Sharon et ses fils à cette époque ! Ce qui est intéressant c’est que toutes ces déviances par rapport à la ligne politique de la droite que l’on reproche aux Premiers ministres de droite étaient déjà connues par leurs déclarations et actions avant même qu’ils n’accèdent à ce poste. Le public ne connaît pas suffisamment en profondeur tous les détails de ces personnalités, c’est pour cela qu’il s’en étonne.
LPH : Au final, la droite existe-t-elle aujourd’hui en Israël ?
Pr A.E. : Elle existe mais sous forme de discours, de slogan. Elle n’est pas au pouvoir. Parfois des collaborateurs au sein de la coalition représentent la droite, mais elle ne dirige pas.
LPH : Autant voter à gauche alors ? Finalement la gauche a construit beaucoup dans les yishouvim où la droite aujourd’hui impose un gel, et les expulsions ont plus souvent été le fait de gouvernements de droite…
Pr A.E. : Il est vrai que les différences entre la gauche et la droite sont parfois difficiles à tracer. Il est vrai aussi que beaucoup de yishouvim ont été construits par la gauche. Mais il ne faut pas assimiler la gauche des années 60-70 à celle d’aujourd’hui. La gauche d’aujourd’hui s’oppose fortement au développement des implantations. Et si la droite a pu vider des yishouvim, c’est bien parce qu’elle n’avait pas d’opposition sur ce sujet. La droite reste le porte-drapeau du camp nationaliste.
LPH : Au terme de ces recherches, gardez-vous la foi dans la capacité de la droite à gouverner à droite ?
Pr A.E. : Oui, j’ai de l’espoir dans la droite quand j’observe le processus sioniste sur le plan historique et l’avancée dans la délivrance du peuple d’Israël ces cent dernières années. Je ne pourrais pas designer une personne particulière au sein du Likoud ou de Bayit Hayehoudi qui serait ce dirigeant de droite. Mais comme je le démontre dans mon livre, il n’y a pas de règles. Si demain Naftali Bennett était Premier ministre, rien ne pourrait nous garantir qu’il ferait comme ses prédécesseurs de droite. Il convient de bien étudier l’homme avant de voter. Tout est déjà écrit…
LPH : En tant que médecin et ancien officier médical de Tsahal, quel regard portez-vous sur l’affaire du soldat de Hevron ?
Pr A.E. : J’estime que ce soldat n’est ni un criminel, ni un héros. Il n’y a aucun héroïsme à tirer sur un homme à terre, s’il ne représente plus aucun danger, ce que nous ne pouvons pas encore dire avec certitude. Sur le moment de l’attentat, j’aurais été le premier à tirer une rafale sur ce terroriste, mais 6 ou 8 minutes après, c’est interdit ! On ne tue pas un terroriste blessé. Vous savez, dans ma carrière de médecin, j’ai souvent soigné des terroristes, que cela m’ait plu ou non. À partir du moment où il ne représente plus de menace, nous devons lui apporter les soins nécessaires, il est interdit de le tuer. Je ne peux pas nier que le soldat avait peut-être un doute sur le danger que représentait le terroriste. Mais à vrai dire même si cela était le cas, il n’a apparemment pas agi selon les règles, qui veulent qu’au minimum on éloigne tout le monde autour : la balle aurait pu déclencher les explosifs qu’il soupçonnait le terroriste de porter.
LPH : Pour conclure, quel est votre avis sur le débat quant à la séparation des accouchées juives et arabes dans les hôpitaux et notamment les déclarations du député Betsalel Smotrich ?
Pr A.E. : Le principe de séparation n’est pas légitime mais dans les faits les gens vivent séparément : combien de Juifs seraient prêts à avoir un voisin de palier arabe et vice-versa ? Mais nous ne pouvons pas brandir cet état de fait comme étendard ! Dans notre pays 20% de la population est arabe, nous devons vivre avec, que cela nous plaise ou non. Je n’ai pas compris pourquoi Betsalel Smotrich a fait ses déclarations qui au final apparaissent comme du racisme. Certes, beaucoup de nos manières de vivre sont racistes en vérité, mais nous ne sommes pas obligés de dire tout ce que l’on ressent. Il ne s’agit pas d’hypocrisie, juste de finesse : tout ne doit pas être dit. L’État n’est pas sorti grandi de cette tempête médiatico-politique.
Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay