(En guise de bienvenue au millier de participants du Bac Bleu Blanc et en hommage à ses infatigables organisateurs)
L’affaire Joseph éclate comme un coup de tonnerre dans le ciel d’un Jacob qui vient tout juste de retrouver une certaine stabilité en Erets Israël après les difficiles épreuves qu’il venait de traverser: la fourberie de Lavan, la rancœur de Essav, la violence du combat nocturne avec son mystérieux agresseur, le viol de Dina et la mort de Rachel.
“Reconnais-tu la tunique de ton fils ?”, demandent les frères. Bien entendu qu’il la reconnait, malgré ce sang qui la souille ! Selon Rav Sacks, ils cherchent en la lui présentant, à lui faire valider la preuve que Joseph a bien été dévoré par un animal, auquel cas, selon la loi d’Israël, ils ne devraient pas être tenus pour responsables de sa disparition, ainsi que le stipule la Thora: “Si quelqu’un confie la garde d’un animal et que celui-ci est dévoré (‘im tarof yitaref’), le gardien devra présenter un témoin pour ne pas avoir à dédommager le propriétaire” (Exode 22, 9à 13). En reconnaissant la tunique et en ajoutant : “c’est bien la tunique de mon fils! Une bête féroce l’a dévoré (‘tarof toraf’) !”, Jacob semble en effet accréditer la version que lui présentent ses fils. Mais y croit-il vraiment, à cette version ?
Paradoxalement, c’est la description de son extrême douleur qui jette le doute sur la sincérité de sa conviction quant aux circonstances de la “mort” de son fils. Relisons le texte : “Jacob déchira ses vêtements, il mit un cilice sur ses reins et porta longtemps le deuil de son fils. Tous ses fils et filles se mirent en devoir de le consoler mais il refusa toute consolation”. Or tout deuil a ses limites. Ceux qui ont perdu un proche connaissent bien la Halakha : plus on s’éloigne du moment du décès et moins les règles sont contraignantes : la semaine, le mois, l’année… et puis la vie reprend ses droits. Mais Jacob refuse de jouer le jeu. Il déclare qu’il refusera toute consolation jusqu’au jour de sa mort ! “C’est en pleurant que je rejoindrai mon fils dans sa tombe” (37,35). Il faut lire le midrash subtil que rapporte Rashi pour comprendre d’où vient cet entêtement du père à devenir le seul endeuillé inconsolable de toute l’histoire biblique : “On ne peut être consolé pour la perte d’un être qui vit encore!” En d’autres termes, Jacob ne croit pas tout à fait à la mort de son fils et c’est bien pourquoi il ne peut “en faire complètement son deuil”. En Israël, nous connaissons bien cette douleur des familles de soldats portés disparus, inconsolables tant qu’ils gardent le moindre espoir de les retrouver vivants ! En déclarant officiellement à ses fils qu’il adhère à la thèse de la bête féroce qui l’aurait dévoré, Jacob ressemble à ces juges qui sont bien obligés de déclarer le suspect innocent sur la base des pièces à conviction présentées à la cour, mais qui au fond d’eux-mêmes continuent à douter.
En réalité, ce que je viens d’écrire n’est pas tout à fait exact. Il existe un autre personnage biblique qui refusera toute consolation. Et Jacob le connait bien. C’est Jérémie qui l’évoquera au moment de l’Exil : ” Une voix retentit à Rama… C’est Rachel qui pleure ses enfants, qui refuse de se laisser consoler pour ses enfants disparus !” (Jérémie 31, 15). Rachel, et nous tous avec elle, refusâmes au moment où nous étions contraints de quitter Jérusalem les mots de consolation, comme Jacob le fit pour Joseph. Arrivés près des rivières de Babylone, nous pleurions encore à la simple évocation de Sion (Psaume137) et c’est alors que nous avons juré que nous préfèrerions perdre l’usage de notre main droite plutôt que d’oublier Jérusalem (verset 5), serment auquel nous sommes restés fidèles d’Addis Abeba à Moscou et de Londres à Marrakech, durant 2553 années, jusqu’au 28 Iyar 5727 où la Jérusalem historique est redevenue notre capitale.
Dans un célèbre article, André Néher rappelait à quel point les Juifs avaient par leur incroyable fidélité fait de Jérusalem le symbole même de l’Irremplaçable. Il citait ce passage émouvant des Frères Karamazov dans lequel Dostoïevski raconte comment le petit Ilioucha, qui va mourir, propose à son père, le capitaine Sniéguiriov, une ultime consolation : “quand je serai mort, prends un bon garçon, un autre ; choisis le meilleur d’entre eux, appelle-le Illioucha et aime-le à ma place…” Mais Sniéguiriov s’écrie d’un ton farouche, en éclatant en sanglots : “Je ne veux pas de bon garçon, je n’en veux pas d’autre… Si je t’oublie, Jérusalem, que ma langue reste attachée…”! Ainsi, l’auteur russe, nourri de Bible, réunit dans une même phrase les deux refus de consolation relatés dans le Livre: celui du père qui refuse de remplacer son enfant et celui du peuple qui refuse de remplacer sa capitale perdue: celui de Jacob et celui de Rachel!
Un peuple qui refuse la consolation est un peuple qui ne perd pas espoir. Israël ne s’est pas laisser influencer par les preuves que lui soumettaient les bonnes âmes en lui conseillant de tourner définitivement la page: la tunique avait beau être tâchée de sang, l’exil avait beau se prolonger, l’histoire, avec ou sans majuscule, avait beau avoir déjà rendu son implacable verdict, Jacob-Israël restait imperturbable: la emouna et la tikva sauront l’empêcher de succomber à la tentation du renoncement, pourtant raisonnable, à ce qui semblait n’être qu’un beau rêve.
La fin de cette double histoire est connue : Jacob retrouvera Joseph et ses enfants reviendront à Jérusalem. C’est en voyant Rachel pleurer que Jérémie lui promet la seule consolation acceptable à ses yeux: “Tes enfants reviendront des pays ennemis… ils rentreront chez eux” (31, 16 et 17).
Et pendant que les communautés juives du monde entier lisaient l’histoire de la fidélité de Jacob pour son fils disparu, le président des Etats-Unis d’Amérique reconnaissait enfin, avec 70 ans de retard, que Rachel avait eu raison de refuser les lots de consolation : ses enfants étaient rentrés chez eux. A en juger par les réactions, le reste du monde n’en est pas encore revenu… !
Arrêtez-moi si je dis des bêtises…
Rav Elie Kling
Ce commentaire est exemplaire de clairete et d`espoire, oui tout se realisera comme l`ont ecrit nos prophetes, nous voyons dejas la lumiere du renouveau quand D` envoi a chaque generation, celui qui fait avancer le monde dans la bonne direction et ce malgres les Montagnes qui nous s`emblent encombrer le chemin.
Le Président Trump me semble mériter d’être un Juste parmi les Justes, en ayant offert au peuple juif le droit d’exiger de nommer lui-même sa capitale, ce droit que toutes les autres nations lui refusent !
Néanmoins, cher Rav, malgré mes 87 ans, le meurtre à Auschwitz-Birkenau de mon père âgé de 44 ans, et de mon frère, âgé de 16 ans, me torturent encore tous les jours et toutes les nuits. C’étaient des Français et des Belges qui les avaient dénoncés. J’avais 12 ans à l’époque, mais cette brûlure ne me quitte jamais. Seule la mort soulagera ma douleur.